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Archive for 2006

Citations

Publish or perish… dit-on parfois. Mais ce qu’on publishe périshe parfois immédiatement, peut-être jamais lu. Ce qui compte alors, c’est la citation : être lu et discuté par d’autres, repris, inséré dans un mouvement de la pensée collective.
Dans cette grande épopée de la science en action, Google Scholar est l’un des (funestes ?) oracles, en ce qu’il classe les articles par leur nombre de citations : les articles les plus cités dans les articles indexés par Google se retrouvent en tête de classement. Cette objectivation peut faire sourire. Par exemple, un sociologue inconnu est principalement cité par lui-même…
Il a certainement eu le petit plaisir de voir qu’un de ses articles s’est vu cité par d’autres sociologues, qu’il ne connaît pas.
Ce fut son acadeaumique de Noël(1).

Notes :
(1) Et il se demanda s’il était cité positivement…

Unions civiles : New Jersey

Après le Vermont et le Connecticut, c’est le New Jersey qui ouvre tous les bénéfices liés au mariage aux couples du même sexe (mais pas le mariage lui-même), en créant un nouveau statut, l’union civile. Le New Jersey, c’est l’Etat situé immédiatement à l’ouest de New York, et il y a deux mois, la cour suprême locale avait demandé que les couples du même sexe aient l’accès aux mêmes droits que les couples de sexes discordants. Comme pour le Vermont et le Connecticut, les membres du clergé sont autorisés à agir en tant qu’agent de l’Etat (agent of the state) et donc à célébrer ces unions civiles. Voici comment la loi, dans le New Jersey, présente la chose :

17. R.S.37:1-13 is amended to read as follows:
37:1-13 Authorization to solemnize marriages and civil unions.
Each judge of the United States Court of Appeals for the Third Circuit, each judge of a federal district court, United States magistrate, judge of a municipal court, judge of the Superior Court, judge of a tax court, retired judge of the Superior Court or Tax Court, or judge of the Superior Court or Tax Court, the former County Court, the former County Juvenile and Domestic Relations Court, or the former County District Court who has resigned in good standing, surrogate of any county, county clerk and any mayor or the deputy mayor when authorized by the mayor, or chairman of any township committee or village president of this State, and every minister of every religion, are hereby authorized to solemnize marriage or civil union between such persons as may lawfully enter into the matrimonial relation or civil union; and every religious society, institution or organization in this State may join together in marriage or civil union such persons according to the rules and customs of the society, institution or organization.
source

On constate qu’un bon nombre de juges et d’élus, voir du personnel administratif municipal, peuvent célébrer des mariages, ainsi que “tout ministre (membre du clergé) de toute religion” ou “toute société, institution ou organisation religieuse” est autorisée à célébrer des unions civiles. La distinction entre “clergé” d’un côté et “société religieuse” de l’autre est nécessaire depuis que les Quakers, organisation sans clergé, sont autorisés à marier (leurs membres, puisqu’un non Quaker aurait de fait des difficultés à être marié par une assemblée quaker).
Dans le Connecticut, la loi se présente un peu différemment, mais pour revenir au même : le premier point insiste sur l’ordination (ou l’autorisation), le deuxième sur les règles internes aux Eglises. Si l’union a eu lieu validement aux yeux de l’organisation religieuse [et si elle répond aux critères fixés par l’Etat], alors elle est valide.

Sec. 4. (NEW) (Effective October 1, 2005) (a) All judges and retired judges, either elected or appointed, including federal judges and judges of other states who may legally join persons in marriage or a civil union, family support magistrates, state referees and justices of the peace may join persons in a civil union in any town in the state, and all ordained or licensed members of the clergy, belonging to this state or any other state, as long as they continue in the work of the ministry may join persons in a civil union. All civil unions solemnized according to the forms and usages of any religious denomination in this state are valid. All civil unions attempted to be celebrated by any other person are void.
source

Pour le Vermont une seule différence existe entre le mariage et l’union civile : le premier est “solemnisé” par une autorité civile ou religieuse, la deuxième est “certifiée”. Cela semble n’avoir d’autre fonction que d’atténuer l’implication du “sujet célébrant”. Je n’ai pas trouvé de texte (ni de trace dans les débats parlementaires à l’Assemblée du Vermont) donnant les raisons de cette différenciation entre mariage et union civile. J’en suis réduit à des suppositions :

§ 5164. PERSONS AUTHORIZED TO CERTIFY CIVIL UNIONS
Civil unions may be certified by a supreme court justice, a superior court judge, a district judge, a judge of probate, an assistant judge, a justice of the peace or by a member of the clergy residing in this state and ordained or licensed, or otherwise regularly authorized by the published laws or discipline of the general conference, convention or other authority of his or her faith or denomination or by such a clergy person residing in an adjoining state or country, whose parish, church, temple, mosque or other religious organization lies wholly or in part in this state, or by a member of the clergy residing in some other state of the United States or in the Dominion of Canada, provided he or she has first secured from the probate court of the district within which the civil union is to be certified, a special authorization, authorizing him or her to certify the civil union if such probate judge determines that the circumstances make the special authorization desirable. Civil unions among the Friends or Quakers, the Christadelphian Ecclesia and the Baha’i Faith may be certified in the manner used in such societies.
source

L’Etat du Vermont est donc bien précis sur le type de clergé autorisé à célébrer, allant même jusqu’à prévoir le cas des Baha’i [Baha’ii ? Baha’is ?].
La création des unions civiles place donc, à chaque fois, les Eglises (les denominations disent les Américains, pour ne pas limiter le discours aux Chrétiens et assimilables) face à la possibilité de célébrer au nom de l’Etat des unions civiles. Pour le droit américain (qui n’a pas eu souvent à se prononcer sur la question), les membres du clergé qui célèbreraient des mariages (ou des unions civiles, maintenant) sont temporairement des officiers séculiers. Mais pour les Eglises ? Imaginent-elles les mêmes fictions juridiques ? Le fait que le “mariage” (dont elles revendiquent en partie la définition) ne soit pas touché par cette loi permettrait-il une accommodation religieuse (avec l’établissement d’une théologie de l’union civile et de rites particuliers) et donc une relative dé-sécularisation du terme ?

Occupations universitaires

nos papiers banderole paris 8 decembre 2006Depuis lundi, des sans-papiers occupent un amphithéâtre de l’université Paris VIII, à Saint-Denis. Ce n’est pas la première fois, il y a eu des occupations au début des années 2000 [voir p. ex. cet article de l’Humanité, 29 mars 2000]. Le principal problème (outre, bien entendu, les questions de papier) semble être, pour l’administration de l’université, la question de la durée. En effet, cette occupation ne gênant pour ainsi dire personne, elle pourrait durer et s’éterniser. Les “Conseil de la vie étudiante” et “Conseil Scientifique” ont donc demandé la fin du mouvement pour vendredi soir :

Le Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire apporte son soutien et approuve sans réserve la démarche entreprise par le Président qui a exprimé publiquement et au nom de l’Université Paris 8, sa solidarité aux
sans-papiers qui occupent depuis lundi les locaux de l’Université.
Il s’est engagé à apporter toute son aide, afin d’obtenir une régularisation des sans-papiers. A cette fin, il a proposé ce matin de transmettre au Préfet, qu’il rencontre cette après-midi, les dossiers que les personnels administratifs et enseignants se sont proposés de remplir avec les sans-papiers.
Le Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire est par ailleurs pleinement conscient des contraintes relatives au fonctionnement de l’Université, aux conditions de sécurité et d’hygiène qui doivent être scrupuleusement respectées.
En raison de la fermeture de l’Université pendant les vacances, il exige qu’un terme soit mis à l’occupation au plus tard vendredi.

Il est vrai qu’occuper une université fermée pour les vacances d’hiver, donc vide (et non chauffée ?) pose questions. Il ne s’agit pas, en effet, d’occuper pour occuper, mais pour essayer d’agglomérer, autour de ses revendications, des acteurs susceptibles de poursuivre la mobilisation. Parmi ces acteurs : un enseignant du département d’anthropologie a lancé un appel à toute la communauté universitaire (le même avait fait grève de la faim dans le cadre d’une autre protestation l’année dernière — il dispose maintenant d’un blog très complet sur l’occupation en court : mes réserves portent principalement sur le style allusif parfois peu aisé à déchiffrer).
On a raison Paris 8 Occupation décembre 2006Cependant, les collectifs de sans-papiers refusent que les conditions de l’occupation soient dictées de l’extérieur, ce dans une déclaration du 21 décembre.
Il semble que certains syndicats étudiants soient opposés à l’occupation, ou trop favorables, et l’accueil nocturne d’un petit nombre de personnes dans un campus éclaté génère toujours des “incivilités” :

A l’attention des membres de la communauté universitaire
Le 20 décembre au soir le local de [syndicat étudiant] de l’université paris 8 a été forcé. Le local a été saccagé et la porte brisée. Tôt le matin, les membres de [syndicat étudiant] ont constaté la disparition du cachet de [syndicat étudiant] ainsi que des fichiers et des documents des étudiants étrangers de l’université Paris 8.
Les membres de la sécurité de l’université ont constaté à 21h30 le saccage et ont vu des individus en fuite avec des documents.
Alerté par des membres de la communauté universitaire, le président de l’université dénonce avec force cet acte et appelle la communauté universitaire à redoubler de vigilance afin d’éviter la répétition de tels actes.

mise à jour : Pigeon Perdu
mise à jour 2 : compte-rendu de l’évacuation (le 23 décembre 2006) ; un appel à résistance (au ton épique : “Toute la journée, les autorités universitaires ont exercé d’énormes pressions pour faire cesser l’occupation, maniant tour à tour les promesses frauduleuses, le chantage, la division […]. Malgré toutes ces tentatives de démoralisation, les sans-papiers réunis en AG viennent courageusement de décider […]”)

Blagues d’anthropologues

Marcel Mauss était probablement — en tout cas plus que son oncle — doté d’un sens de l’humour développé, ou au moins d’une certaine ironie. Aussi pensè-je qu’il est l’auteur de ce petit chef d’oeuvre d’érudition :

Bien qu’il soit essentiellement wartwut et particulièrement moiviluk, le Wotjoballuk de M. Howitt est, avant tout, un Krokitch ou un Gamutch.
Emile Durkheim et Marcel Mauss,
« De quelques formes primitives de classifications »

A mon avis, Durkheim a laissé passer la phrase sans y porter attention.
Viola tricolor pierre joseph redoute choix des plus belles fleurs paris 1827Il n’y a probablement que moi que cela amuse. Ce n’est pas le cas de l’illustration de couverture de La pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss, qui, depuis 1962, est, immanquablement, une gravure de Pierre-Joseph Redouté : Viola tricolor, en français, une pensée sauvage.
Mais le plus amusant est sans doute Pierre Bourdieu, qui, dans un article, “Les rites d’institution”, décrit en passant les gestes déplacés que peuvent se permettre certains sans perdre leur rang. C’est le cas de la baronne, qui peut jurer comme un charretier sans que sa noblesse soit remise en question. « C’est le cas, écrit Bourdieu, de l’aristocrate qui tape sur la croupe du palefrenier et dont on dira “Il est simple”, sous entendu, pour un aristocrate. » On a ici, soit une description volontairement amusante, presque au style indirect libre, où l’aristocrate en question reluquerait avec intérêt la “croupe” de son domestique, soit un gasconnisme, où le palefroi et le palefrenier sont un et unique (palafren), et où Bourdieu, voulant décrire un cheval, décrit un écuyer.

Religions, brevets et commerces

Dans un ouvrage érudit, minutieux et très intéressant, La bénédiction de Prométhée, l’historien Michel Lagrée étudiait l’accommodation catholique des technologies : l’invasion des machines était vue par certains comme un risque de déshumanisation. La société industrielle du XIXe siècle n’était pas seulement productrice de modernité idéologique, mais aussi de modernité technologique. Et cette modernité technologique avait des conséquences au coeur du monde religieux. Il n’est besoin que de considérer le cas des Amish pour comprendre combien techniques et modernités sont liées pour des conceptions religieuses du monde. Refuser le progrès technique, ou même seulement certaines innovations, pouvait apparaître comme une résistance face au désenchantement produit par une certaine rationalisation mécanique des objets, des moeurs et des idées.
Prenons un seul exemple, mais plus proche, et plus catholique : le XIXe siècle voit la consolidation d’une industrie textile fortement mécanisée, et produisant en masse de nouvelles étoffes de coton. Certains refusaient les tissus en coton, moins chers que les tissus de lin, au nom du bel ouvrage, au nom d’un régionalisme industriel, mais aussi au nom de symboles puissants. Dans les lieux de culte catholique, le lin régnait en maître, règne renforcé par une jurisprudence de la Congrégation des Rites, qui avait fait du lin blanc le tissu noble par excellence. Un décret de Pie VII, en 1819, interdit même le coton (la «vulgo mousseline») : “les pièces de linge directement en contact avec les saintes espèces devaient être remplacées dans un délai d’un mois”, précise Lagrée : il fallait maximiser la distance entre le sacré et l’inventé, afin, probablement, d’éviter toute contamination.
L’industrialisation de la production d’électricité, et la possibilité pour les églises de s’en servir pour s’éclairer, a donné lieu à des débats semblables, de même que l’invention de la parafine, qui ne fut pas rapidement admise en remplacement de la véritable cire d’abeilles pour la confection des cierges.

Le monde catholique (probablement plus celui des fidèles, laïcs, que des clercs) participa toutefois pleinement à la diffusion et la production du progrès technique. L’on trouve ainsi sur le formidable Google Patents une série de brevets liés à la cuisson des hosties. On nous propose, dès 1876 un brevet sur l’amélioration de la cuisson du pain de messe, qui sera ainsi d’une épaisseur uniforme et jamais brûlé.
Host dispenserLes revendication d’individualisation des comportements religieux, plus récents, se perçoivent bien dans des inventions qui mettent en lumière les peurs associées aux co-présences liées aux rites communautaires. En 1999, M. Bourque propose un distributeur d’hosties :

Host dispenser Michael P. Bourque, n°6253669
The disclosed invention provides a Host dispenser, which substantially eliminates the possibility of spreading unwanted germs amongst the members of a church congregation.

Comme vous l’avez compris, il s’agit ici d’éviter la dispersion de “germes” (bactéries et virus). De la même manière, l’on trouve des dispositifs permettant de remplacer la coupe commune, dans laquelle se trouve le vin consacré, par des petits gobelets en papier jetables individuels : comme ça, éliminée, la gastro post-messe.
De manière générale, le monde étatsunien semble être un beau producteur de brevets destinés à l’amélioration des pratiques religieuses : pour un début de recherche, rien de tel que ces centaines de brevets proposant du “religious”.

Pourrait-on essayer de faire une typologie des religions en fonction des brevets déposés. Certaines Eglises chrétiennes semblent fortement cléricales, si l’on en croit les inventions portant sur les vêtements liturgiques (n°3486170 ou encore 2102198), sur les dispositifs de transport spatial des hosties consacrées (appelés pyxes : 218262), sur les croix pliantes (1254553 , qui ne sont pas destinées à lutter contre les vampires) ou les autels (1944985).
D’autres religions semblent attirer à elles des brevets destinés plus spécifiquement au vulgum fidèlus : Linda Markfield propose ainsi une Hair and yarmulke clip (D497034) et Jonathan Whitman (6974925) un cache-interrupteur pour Shabbat.
Hassan Faouaz propose, lui, un Muslim prayer counter (6783822) :

A new and improved Muslim prayer counter that is used in displaying the number of times prayers are said through the number of times a switch is contacted by a user’s head

Cet objet se présente comme un tapis un peu spécifique, dôté d’un compteur déclenché par le contact de la tête avec le tapis, qui permet donc de ne pas perdre le compte des prières effectuées. De manière proche, le “clip” permettant de marquer sa place sur un chapelet permet de compter les “Notre-Père” et les “Je Vous Salue Marie” [chose qui était utile quand à chaque péché était associé une mesure et un acte de repentance particulier].
Mais la religion ayant peut-être le plus embrassé certaines technologies modernes, religion fondée comme science-fiction et psychothérapie, est sans doute la Scientologie. Dès 1965, Lafayette Ronald Hubbard déposait le brevet de l’audimètre : DEVICE FOR MEASURING AND INDICATING CHANGES IN RESISTANCE OF A LIVING BODY (3290589). [Les Mormons ont bien déposé un objet Projection device and loop box therefor, mais ce n’est pas un objet cultuel, il restera donc non mentionné ici.] L’audimètre, qui fait l’interface entre le clergé scientologue et les [futurs] fidèles, a ceci d’intéressant qu’il provient du fondateur lui-même [et, non, Vorilhon ne semble pas avoir déposé de brevet].

L’individualisation des pratiques religieuses est-elle inéluctable ? On peut le croire en découvrant de worshipping system (système cultuel) qui

simulates the transfer of the spirit of the deceased from the cinerary urn to the worshipped object. This causes the worshippers of their ancestors to feel that the spirit in the cinerary urn has been united to the worshipped object

En simulant le transfert de l’esprit du décédé de l’urne funéraire vers l’objet cultuel, il permet presque, sans la nécessité d’un clergé (ou même de fidèles), la sacralisation rationalisée d’objets de cultes.

Sans transition
Cette semaine dans le New Yorker, un bel article sur le commerce des Bibles aux Etats-Unis :

The general principle—that Scripture can be repackaged to meet the demands of an increasingly segmented market—is at the heart of the modern Bible-publishing industry. […]
Bible publishing in the twenty-first century involves an intersection of faith and consumerism that is typical of contemporary American evangelicalism.

Le résultat : Revolve, le Nouveau Testament pour les adolescentes (Ton amoureux est-il godly ?) :
Revolve New Testament
Il s’agit d’amener la Bible au Monde, et pas le monde à la Bible.
La chose n’est pas nouvelle, sur un produit différent, le Missel, entre 1935 et 1960, c’est à une explosion commerciale que les Français ont assisté. Dans un article ancien mais amusant, Louis Kammerer déclarait d’ailleurs qu’il y avait trop de missels (KAMMERER, Louis. “Pourquoi il y a trop de missels”. La Maison-Dieu, 1953, 34, p.28-52) :

Les missels se multiplient à un rythme accéléré : il paraît en moyenne deux missels nouveaux chaque année, deux ou trois quotidiens sont en préparation et, sans doute, autant de dominicaux.
Le moment semble donc venu de faire le point.

Kammerer essaie de comprendre l’explosion misselante :

: le succès incontestable du missel quotidien plus léger du R.P. Morin a poussé plusieurs éditeurs à faire des missels du même type pour tenir leur place sur le marché. Ceci s’est produit d’ailleurs aussi sous l’influence de libraires ou de représentants qui demandaient à leur fournisseur habituel de leur livrer des missels analogues.
C’est ici que les nécessités de la concurrence commerciale risquent de s’opposer à l’intérêt véritable des clients. Il n’est pas toujours facile de trouver un auteur compétent

Le missel est rentable :

Mais si le missel est un livre difficile à réaliser pourquoi en fait-on tant de modèles différents ? C’est sans doute que c’est un article de bonne vente, à condition de garder sa place sur le marché. […]
L’éditeur qui actuellement n’a pas son « missel vespéral », voire son quotidien, risque tout simplement d’être tôt ou tard éliminé du marché, car les missels illustrés se vendent de moins en moins. Or il existe actuellement en Belgique environ sept maisons qu’on peut dire spécialisées dans l’industrie du missel, et six en France. Nous ne comptons pas dans ces nombre les abbayes, ni les éditeurs qui n’ont jusqu’à présent lancé qu’un seul missel.

On le constate donc aisément : la commercialisation du religieux n’est pas proprement américaine ou protestante. Les circonstances réunies, l’édition religieuse embrasse des logiques économiques ou une sectorisation sociale (il y avait des missels pour ouvriers, des missels pour soldats, des missels pour cheminots, des missels pour communiants…).

La diversification des missels de même que la diversification biblique pose problème : trop de choix peut tuer un marché (les acheteurs étant incapables de choisir entre la Bible du surfeur et la Bible des jeunes dynamiques ; les libraires ne peuvent tout stocker…).

The most obvious solution would be fewer choices, but, given the enthusiasm that consumers have shown for a diversified market and the investment that publishers have made in satisfying this demand, that’s out of the question. [article du New Yorker]

La solution catholique fut, apparemment, Vatican II, dont les conséquences furent fatales pour le champ des missels français, qui disparurent en quelques années.

Sur ces mots, ce blog prendra probablement quelques semaines de repos.

Brevetabilité et sexualité

Les ingénieurs de chez Google ont scanné et mis en ligne l’ensemble des brevets accordés depuis la fondation des États-Unis. La recherche est plus facile que sur le site de l’USPTO (U.S. Patents and Trademark Office) [qui permettait déjà d’intéressantes découvertes].
On y trouve, assez facilement, les descriptions d’inventions variées :

The present invention provides a cushion and system of cushions with fabric coverings adapted to provide frictional contact between one or more additional similarly covered cushions for creating a wide variety of body support configurations.
N° 6925669, Support cushion and system of cushions

Dans la vie réelle, ce brevet donne lieu aux Liberator Shapes (probablement NSFW!), des coussins de formes variées permettant d’atteindre certaines positions plus facilement.
On trouve aussi, sur Google Patents, quelques uns des premiers brevets déposés concernant les cabinets de projection que l’on trouvait, vers 1974, dans une partie des sex-shops. La plupart des installations ne semble pas, toutefois, avoir donné lieu à brevet. Ce brevet pour un Movie viewing booth (ancêtre des cabines de projection) cache bien son jeu…
Movie Viewing Booth 245706

La fiche de ce self-heating dildo (godemiché chauffant) :
Dildo 6559236 est intéressante à plus d’un titre, et particulièrement parce qu’elle permet de repérer les ancêtres technologiques de l’appareil, dont un brevet de 1895.
Très récent est cet instrument de torture, breveté en janvier dernier, un personal exercise system qui combine l’aspect de certains objets destinés à muscler les abdominaux sans peine avec l’armature de certains “sex toys” :

A coupling component has laterally and rearwardly extending ends. An intermediate component has free lower and upper ends. A dildo is located above the rearwardly extending end. The dildo has an interior end and a free exterior end located above the rearwardly extending end of the coupling component removably coupling the upper intermediate component to the dildo. A handle extends outwardly and upwardly from each laterally extending end of the coupling component.

Personal exercise system 6991599
Tout cela vous amuse ? La classe 600/38 et ses 274 brevets est pour vous ! Elle est décrite comme rassemblant les “sexual appliances”

means to substitute for or enhance the act of human copulation.
(1) Note. The term copulation, as used in this subclass and those subordinate hereto, is considered to be inclusive of any permutation of gender among participants.
(2) Note. The terminology copulation enhancement is considered to be inclusive of any device, appliance, or parapher-nalia which provides a sexual aid or a substitute genitalia means.
source

La classe 600/39 s’intéresse aux prothèses péniennes : c’est probablement moins amusant.
L’on finit alors par passer des heures en circulant d’inventeur en inventeur, d’objets en objets, de citations en citations, sans bien savoir, finalement, ce que l’on cherche…

Le Guide du mémoire

Mon collègue Charles Soulié a importé du département de sociologie de l’université de Rouen un Guide du mémoire en sociologie reformulé et remis à jour pour Paris 8 :

La réalisation d’un mémoire constitue une étape essentielle dans le parcours de la formation intellectuelle de tout étudiant. En Master, il compte pour une part importante de l’obtention du diplôme final. Mais surtout, le mémoire n’est pas une “super-dissertation”: il est souvent l’occasion de s’initier réellement, et pour la première fois, à la recherche et ce de manière individuelle et approfondie. Un tel travail ne s’improvise pas.
Sans remplacer les conseils que prodiguera le directeur du mémoire, ce document fournit un ensemble de remarques et suggestions destinées à guider les étudiants en sociologie dans leur formation d’apprenti-chercheur. On y trouvera pour l’essentiel deux séries d’enseignements : la première définit ce qu’est une démarche de recherche et fournit des indications sur la façon de mettre en forme un mémoire ; la seconde offre des repères sur les revues de sociologie à consulter, les adresses de bibliothèques utiles, etc.

Ce document est disponible sur le site du département de sociologie de l’université Paris VIII [ici]. Il faut le considérer, pour l’instant, comme une version à améliorer — une version bêta diraient d’autres — (le formulaire de commentaires, sur le site du département, est ouvert à cet effet) — on est très web 2.0 à Paris 8.

Homosexualité et géographie

L’intérêt académique des géographes français pour les espaces homosexuels est récent. Et je ne saurais dire les raisons de ce désintérêt. Les possibilités d’objectivation étaient peut-être jusqu’à présent réduites. Par comparaison, l’étude de Manuel Castells et son équipe sur le San Francisco gay du tout début des années 1980, dans The City and the Grassroots, s’appuyait sur toute une série d’indices, faisceaux couvergents ou non : agents immobiliers, analyse des votes se portant sur les candidatures d’hommes politiques gays, annuaire des commerces homosexuels, ou des associations gaies et lesbiennes, presse communautaire… L’étude portant sur les formes d’organisation communautaires, les lieux de “consommation” (ou d’interaction) sexuelle anonyme n’étaient pas au centre.
Emmanuel Redoutey - Paris Gay - Carte - Revue Urbanisme numero 337L’objectivation par le commerce, aujourd’hui, est un des angles les plus fréquents. Emmanuel Redoutey, dans un article de 2004 [Emmanuel Redoutey, “Le Marais à Paris, un quartier gay ?”, Urbanisme, n°337, 2004, p.20-23.], écrivait par exemple que :

En plus de l’investissement résidentiel, c’est une rapide floraison d’établissements commerciaux qui enclencha véritablement l’homosexualisation du quartier […] Autour de ces lieux ouverts sur l’espace public, une vie homosexuelle plus voyante va ainsi monopoliser le paysage urbain […]

Marianne Blidon, dans un article récent, insiste sur la variabilité des “espaces gays” produits par des procédures d’objectivations diverses :

[S]elon l’échelle utilisée et selon le support (la carte, la photographie ou l’observation), les formes spatiales divergent. […]
À la forme des établissements commerciaux précisément délimitée par la carte à l’échelle de la ville s’oppose la forme des itinéraires beaucoup plus contrastée et complexe.

Marianne Blidon - Paris Gay - Carte - 2006Visibilité paradoxale, donc, de l’homosexualité géographique. Outre les articles de Redoutey (qui analyse le Marais comme le sommet d’un “cône de visibilité” et Blidon), l’on retrouverait la même opposition entre visibilité et invisibilité chez Boris Grésillon [Boris Grésillon, “Faces cachées de l’urbain ou éléments d’une nouvelle centralité ? Les lieux de la culture homosexuelle à Berlin”, L’Espace géographique, 4/2000, p. 301-313] ou dans un article tout récent s’intéressant à Bruxelles [Chloé Deligne, Koessan Gabiam, Mathieu Van Criekingen et Jean-Michel Decroly, “Les territoires de l’homosexualité à Bruxelles : visibles et invisibles”, Cahiers de géographie du Québec, vol. 50, n°140, septembre 2006, 135-150.]
Dans ce dernier article, Deligne et al. écrivent que « [l]a concentration des manifestations les plus visibles de l’homosexualité (par exemple les bars ou associations) au centre-ville, dans le quartier Saint-Jacques en particulier, ne peut masquer une diffusion spatiale à la fois plus large et plus hétérogène d’autres types de territoires homosexuels moins directement visibles dans l’espace urbain. »
Il me semble que cette mise en lumière de l’invisibilité gaie permet plusieurs choses : d’abord de s’opposer à l’idée d’une “invisibilité lesbienne” qui a souvent été extraite des travaux de Castells, et ensuite de relier ces études sur des mobilisation collectives réussies (celles relatives aux constructions communautaires et identitaires) aux études portant plus spécifiquement sur les comportements homosexuels (sans support identitaire). Enfin, porter son regard vers les formes invisibles permet de différencier le monde homosexuel :

L’analyse du cas bruxellois nous permet également de suggérer qu’à la structuration d’un quartier commercial gai correspond également une certaine segmentation sociale des milieux homosexuels. En effet, la consommation occupe une place centrale dans la fréquentation de ce quartier. Or cette consommation permet d’affirmer des différences sociales par le double jeu des différences de revenus et de l’affirmation de modes de consommation différenciés.

Il en va de même chez Stéphane Leroy [“Le Paris gay. Eléments pour une géographie de l’homosexualité”, Annales de Géographie, n°646, 2005, p.579-601], qui parle d’une “géographie invisible des lieux de rencontres anonymes” :
Stephane Leroy - Paris Gay - Carte - Annales de geographie - 2005

L’analyse des espaces créés ou appropriéts par les gays et les lesbiennes révèle, à côté du nécessaire quartier-vitrine du Marais, une géographie aux centralités multiples, réticulaire et partiellement invisible

Pour aller plus loin et lire en entier les articles que je ne fais qu’effleurer ici :
Marianne Blidon, “Entre visibilité et invisibilité, les formes spatiales gays dans la ville”, dans La forme en géographie (2006) 59-63. Version en ligne : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00118542/en/
Chloé Deligne, Koessan Gabiam, Mathieu Van Criekingen et Jean-Michel Decroly, “Les territoires de l’homosexualité à Bruxelles : visibles et invisibles”, Cahiers de géographie du Québec, vol. 50, n°140, septembre 2006, 135-150. Version en ligne PDF : http://www.cgq.ulaval.ca/textes/vol_50/no_140/02-Deligne.pdf
Boris Grésillon, “Faces cachées de l’urbain ou éléments d’une nouvelle centralité ? Les lieux de la culture homosexuelle à Berlin”, L’Espace géographique, 4/2000, p. 301-313
Stéphane Leroy, “Le Paris gay. Eléments pour une géographie de l’homosexualité”, Annales de Géographie, n°646, 2005, p.579-601
Emmanuel Redoutey, “Géographie de l’homosexualité à paris, 1984-2000”, Urbanisme, n°325, 2002, pp. 59-63
Emmanuel Redoutey, “Le Marais à Paris, un quartier gay ?”, Urbanisme, n°337, 2004, p.20-23.

Et avant les sex-shops ?

Qu’y avait-il donc avant les sex-shops à la place des sex-shops ?
La réponse à cette question révèle différentes conceptions historiographiques. Soit l’on insiste sur l’importance de la libération sexuelle, voire de la révolution sexuelle, qui eut lieu au cours des années soixantes, et l’on relie assez facilement diminution de certaines formes de contrôle social et émergence de magasins spécialisés dans la diffusion d’une forme (commerciale, capitaliste) de révolution sexuelle. Dans ce cadre, les sex-shops ont une certaine spécificité.
Soit l’on insiste sur un temps plus long, et l’on découvre que nos (arrières-)grands-parents étaient peut-être tout aussi “libérés”, cette libération prenant des formes différentes. Dans les années vingt et les années trente existaient, ouvertement, non seulement des maisons closes, qui généraient un commerce sexuel contrôlé et encadré, mais aussi des librairies libertines proposant “caoutchoucs intimes”, “dragées Forsex” et “photos réalistes”. Il suffisait d’acheter Paris Sex Appeal, Fantasio ou Pages Folles, ou même simplement de feuilleter La Madelon, Paris Plaisir ou Audaces pour découvrir tout un monde destiné à l’excitation sexuelle.
Ainsi les préservatifs faisaient-ils l’objet de publicités :
La librairie d’Antin, ci-dessous, grâce à “l’accueil chaleureux de Mlle Ginette, vendeuse”, propose divers caoutchoucs et “articles spéciaux” :
librairie d'antin
Plus explicite, Laitex prévient : “évitez tout accident” :
Laitex
On le voit, la contraception était loin d’être ignorée, et le “coït interrompu” n’était pas la seule méthode utilisée [les méthodes contraceptives développées dans les années cinquante et soixante donnent en fait le contrôle de la contraception aux femmes, et non plus seulement aux hommes, et c’est ce changement des normes de genre qui posa parfois problème]. Et ces préservatifs (lavables et réutilisables !!) semblent aussi variés que ce que l’on peut trouver aujourd’hui : la compagnie “Black Cat” proposait ainsi un “bout américain” ou un préservatif “crocodile”…
Le commerce des “photographies amoureuses” allait bon train. L’on peut supposer que “Domptage avec bottes en cuir verni“, de Mlle Yvonne (librairie de la Lune) fut un beau succès :
librairie la lune
Il était aussi possible de combiner “photos vécues” et livres, pour varier les plaisirs :
photo vécues
Ce n’est pas tout : alors qu’aujourd’hui, certaines formes de sado-masochismes (femmes menottées, ligotées, baillonnées), même les plus douces, peuvent être censurées — principalement interdites d’affichage public — pour atteinte à la dignité, il ne semblait pas tout à fait en être de même dans les années vingt ou les années trente, si l’on considère le nombre non négligeable de publicités pour les Esclaves d’Amour (qui présente “le suppice le plus curieux qui rend les femmes folles et damnées”), ou d’autres productions…
Il semble donc bien qu’avant les sex-shops, existaient des sex-shops, sans le nom… Qu’est-ce qui a donc rendu si moderne, nouveau, inédit, l’ouverture de magasins spécialisés au cours de l’année 1970 ? [réponse au prochain épisode]

Sources : ces images, des publicitées, parues entre 1920 et le début des années 1940, sont extraite d’un ouvrage publié en 1977 : Sous pli discret, préface de Gilbert Simon-Berger, Paris, Edition Futuropolis, coll. G-String, que l’on trouve encore, et pour pas cher du tout, sur amazon.

Ecole normale

Après plusieurs petits articles dans Le Canard Enchainé (29 novembreEthique nerveuse ; 22 novembreLa hussarde de Normale sup ; 15 novembre), c’est Libération qui propose un article, assez long pour une fois, sur l’ENS.
Normale sup d’excellence :

L’ENS de la rue d’Ulm est confrontée à l’essor de la concurrence mondiale entre universités. Nouvelles disciplines, création d’un diplôme, intégration d’étudiants étrangers… Les exigences de la modernité bouleversent cette vieille dame née de la Révolution.

La journaliste propose un portrait de la vie normalienne :

Payé 1 240 euros par mois durant quatre ans, il loue 250 euros une chambre sur le campus d’Ulm, en plein Quartier latin. L’ENS en compte au total 600, réparties sur trois emplacements également boulevard Jourdan, à Paris, et à Montrouge, en proche banlieue. Selon des règles édictées par les élèves, un normalien ne peut être logé plus de deux ans rue d’Ulm, le campus le plus recherché. Dès les beaux jours, on s’y presse sur les bancs du jardin des «Ernest» les poissons du bassin de la cour intérieure.

Le conflit actuel est folklorisé… Ce serait finalement l’actualisation d’une sorte de culture de la “libre parole” toujours en puissance chez chaque Ernerst normalien :

Parmi l’héritage des intellectuels engagés passés par l’école, il y a aussi un goût de la libre parole. La directrice, la philosophe Monique Canto-Sperber, nommée en novembre 2005, en a fait les frais. Le jour de l’inauguration de l’exposition Dreyfus à l’école, le 15 novembre, les élèves lui ont fait une haie d’honneur, portant des pancartes : «Un an ça suffit.» Hostiles au nouveau diplôme et aux frais d’inscription à la bibliothèque, ils se sont solidarisés avec les directeurs des départements littéraires qui ont démissionné début novembre pour protester contre «la gestion chaotique» de la directrice.

Mises à jour :
1- une question orale d’un sénateur, le 1er décembre 2006.

Monsieur le ministre, je tiens à vous interroger sur le budget que le projet de loi de finances pour 2007 consacre à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, qui n’est pas un établissement d’enseignement supérieur parmi d’autres : le poids de Normale Sup dans notre histoire est si considérable que toute crise ou, même, tout risque de voir son rayonnement affaibli est intolérable […]

2- une dépèche de l’AFP, relatant les propos du directeur adjoint de l’ENS :

“Contrairement à ce que l’on peut lire dans la presse depuis quelques semaines, il est inexact d’écrire que le désordre règne à l’Ecole normale supérieure”, écrit Yves Guldner dans un communiqué.
“L’Ecole scientifique avec ses six départements est restée à l’écart des évènements récents car elle ne se sent pas concernée”, selon le directeur adjoint de l’ENS

3- Un article sur la sortie de crise dans Le Monde.