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De l’utilisation des prénoms par la réclame

Billet publié le 19/05/2009

Les prénoms sont un indicateur synthétique du sens commun : ils indiquent, immédiatement, un sexe, un âge (plus ou moins “vieux”), une classe sociale (“prénom de bourge”), une “ethnicité” (“celtique”, “basque”, “africain”…). Les romanciers s’en servent pour camper, d’un mot, un personnage. Mais ils ont, ensuite, 500 pages pour préciser la position sociale.
Les publicitaires, eux, ne disposent que du regard distrait des lecteurs, des utilisateurs du métro ou de celles qui dînent en écoutant RTL. Leurs personnages sont parfois réduits à des prénoms.
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Les prénoms choisis par la publicité pour Carrouf’ (Pierrette, Patrick et Pauline) ont pour but d’indiquer des âges différents : “Pierrette” semble avoir presque 60 ans, “Patrick” 35 et “Pauline” en gros 23. Mais collent-ils à la réalité ? La comparaison avec les statistiques du “Fichier des prénoms” de l’INSEE nous indique qu’une “Pierrette” a toutes les chances d’être plus âgée qu’un “Patrick”, lui même plus âgé qu’une “Pauline”. Le graphique suivant représente le nombre annuel de bébés nommés Pierrette, Patrick ou Pauline entre 1900 et 2005 (avec une échelle logarithmique).

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C’est au début des années 30 que le prénom “Pierrette” connaît son plus grand succès. Vers 1955 pour “Patrick” et vers 1990 pour “Pauline”.
Les auteurs de l’affiche ont bien ordonné les prénoms. Pierrette pour la vieille, Patrick pour le jeune plus trop jeune, Pauline pour “l’adulescente”. Mais l’âge donné aux personnages est moins en accord avec les statistiques. Un “Patrick” d’une trentaine d’années est beaucoup plus rare, aujourd’hui, qu’un “Patrick” âgé de 55 ans.
Mais leur but est-il de produire, dans des cas d’espèce, un concentré statistiquement possible, ou simplement de produire du crédible ? Ils étaient de plus contraints ici par le “P”.

Les publicitaires, quand ils tiennent des discours sur leur pratique, présentent les usages des prénoms comme une manière de “rendre proche des gens” les personnages des publicités : parce qu’on appelle nos proches par leur prénom, le prénom aurait par miracle la capacité de rendre proche. Ceci expliquerait pourquoi les publicités utilisant les prénoms se multiplient.
Des sociologues sont parfois critiques et remarquent au contraire que ces prénoms “ne reflètent pas la France” : en gros, que les personnages ne sont pas proches, mais très éloignés (d’une réalité dont les sociologues sont l’interprête). Dans l’exemple précédent, l’universitaire fait état des prénoms dont il a connaissance pour invalider la série des prénoms proposés par une publicité.

Dans les deux cas, c’est — pour parler grossièrement — la place du prénom dans la société française contemporaine que ces personnes pointent. Elles affirment et réaffirment que le prénom peut être lu comme le support de l’identité personnelle (voire même que le prénom suffise, a priori, comme résumé identitaire) et d’une identité collective plus large (la “France”).
Mais cet indicateur, malheureusement, est complexe : un même prénom n’indiquera pas la même chose à deux personnes différentes par l’âge ou le milieu social. (On le voit avec le texte du collègue.) L’image que le prénom a pour une personne est un indicateur de la position sociale de cette dernière. Certains trouveront le prénom “Gaspard” prétentieux, d’autres agréable : il serait même possible d’estimer, à partir d’un questionnaire portant sur un groupe de prénom, la position sociale des répondants (exemple de traitement statistique et pédagogique de cette question). Pour représenter un garçon de moins de dix ans, les publicitaires travaillant pour Carrouf’ ont choisi “Pablo” : un prénom peu répandu, mais en forte croissance, le seul de la série à ne pas être sur le déclin, choix qui indique peut-être que, pour ces publicitaires, “Pablo” peut encore être donné à un garçon… ou a pu l’être il y a dix ans.

Tout discours sur les prénoms expose donc la personne qui parle à en dire un peu sur elle, probablement inconsciemment.

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4 commentaires

Un commentaire par Camille rue69 (20/05/2009 à 23:36)

Ce que j’aime beaucoup, c’est que vous avez mis l’affiche “Camille” où l’on voit bien qu’il s’agit d’un prénom épicène et relativement intemporel. J’aime beaucoup ce prénom

Un commentaire par Myriam 35 (26/05/2009 à 9:30)

Je partage complètement le commentaire de Camille sur l’affiche “Camille”.
Mon second fils de 3 ans se prénomme Camille. Prénom très majoritairement masculin de la Révolution (Camille Desmoulins) au début et milieu du 20eme siècle (en passant par les artistes Pissaro, Corot, Saint Saens) puis donné aux filles depuis la seconde moitié du 20eme siècle, j’ai l’impression qu’il est un peu redonné aux petits garçons aujourd’hui. Cela reste tout de même assez rare, mais cela donne justement beaucoup de singularité. J’attends une petite fille qui va naître d’un jour à l’autre et nous avons choisi de lui donner le prénom de Judith.

Un commentaire par Rollie (27/05/2009 à 0:15)

Tiens, je viens de lire :: Marketing de crise

Un commentaire par 59: Faut-il attirer l’attention pour manipuler ? – Neuromonaco (18/02/2013 à 12:25)

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