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Colette et Georges

Colette est abandonnée dix jours après sa naissance, en mars 1917, et c’est une amie de sa mère qui la dépose au Service des enfants assistés de la Seine. Une seule demande : que la petite soit baptisée.

Colette, devenue pupille de l’assistance publique, est envoyée à la campagne, dans la Sarthe, comme de nombreux enfants assistés à l’époque. Vers 13 ans, elle est placée comme « aide de culture », chez Madame Boitard. Et c’est là que nous la retrouvons, à seize ans, en octobre 1933.
Moretti, le directeur de l’agence locale, signale au Service des enfants assistés de la Seine que Colette « se trouve en état de grossesse de 6 mois 1/2 environ ». Le père est un ancien enfant assisté : il sont nombreux, dans la Sarthe. C’est donc une affaire interne au Service, même si Georges est majeur.

Je cite Moretti :

Cette pupille désigne comme séducteur l’ex-pupille N… Georges, né le 8 … 1911, n°22…., avec lequel elle avait entretenu des relations intimes au mois d’avril dernier pendant une permission de détente


… mais peut-être lisez-vous « aurait entretenu des relations »…

Georges, selon Moretti, a « certifié qu’il fréquentait la pupille Colette au moment de ses permissions mais qu’il n’avait jamais entretenu de relations coupables avec elle ».
Affaire classée non ? Sans relations coupables ni relations intimes, comment Georges pourrait-il être concerné ?
Et Moretti n’est pas dupe : Georges « s’est toujours montré excellent sujet. »


On appréciera le « je ne suis pas éloigné de croire », qu’il faut comprendre comme un « c’est lui qui a raison ». Car après tout, on le sait, les excellents sujets, même « d’intelligence un peu bornée » n’ont jamais de relations intimes et coupables.
En plus Madame Boitard est du même avis : sa domestique est d’une imagination débordante et trop « féconde » (sic), elle s’imagine des séducteurs, et hélas, sa conduite « laisse fort à désirer ». Non seulement elle sort, mais « elle fut surprise dans sa chambre, au mois de juillet dernier, en compagnie du domestique de la ferme. » Autant dire qu’on l’a échappé belle, on aurait pu croire à la vérité des déclarations d’une jeune fille de seize ans, enceinte. Et bien sûr, « ni lettre ni document » ne viennent prouver ce qu’elle raconte.

Et la présomption d’innocence ? Mais nous ne sommes pas en 2024, nous sommes en 1933.

Moretti organise une confrontation le mois suivant, en novembre 1933 donc. Cette confrontation, est-il désolé de l’écrire dans son rapport, « n’a pas permis de déceler le bien fondé des accusations portées par la pupille ». Alors certes, Georges a bien « accompagné Colette dans la nuit du 2 au 3 avril 1933 au retour de la fête du Port-Gauthier » mais « il n’a entretenu avec cette dernière aucune relation coupable ». Au dessus de tout soupçon, Georges ! Qui détourne l’attention du directeur vers « d’autres jeunes gens de la région » que Colette « fréquentait ».

« Dans ces conditions » il ne peut bien entendu pas « prendre la responsabilité d’une paternité qui ne lui appartient pas » conclut Moretti. Pauvre jeune homme accusé sans raison par une domestique à l’imagination trop féconde !

Et Colette s’effondre : pendant cette confrontation elle s’avère « beaucoup moins affirmative ». Moretti cherche à tout prix la vérité, mais « malgré [s]on insistance », malgré toute son insistance, elle ne peut apporter « aucune précision d’heure ni de lieu où l’acte s’est accompli ». Pourtant cela aurait été si intéressant, de savoir où et quand, précisément. Colette « maintient seulement que [Georges] avait été le dernier avec lequel elle a entretenu des relations intimes ».

Si Georges est « le dernier », c’est qu’il y en a eu d’autres. Moretti en conclut qu’il faut en rester là. Il lui parait « difficile » d’aller plus loin. Une accusation farfelu contre un « excellent sujet ».

Fin de l’histoire :

Pas tout à fait.

Moretti le 15 janvier envoie une nouvelle lettre à Paris : Colette a accouché d’une petite fille, Huguette. Elle n’abandonne pas sa fille mais la place en nourrice, et reçoit une allocation « à titre de secours préventif d’abandon ».

Un mois plus tard, Moretti envoie encore une lettre. Il a apparemment changé d’avis sur Georges. Ce dernier « qui avait été désigné comme séducteur et qui n’avait pas accepté de prendre à sa charge la paternité de l’enfant a, sur mes instances, consenti à réparer sa faute en contractant au début du mois d’avril prochain, un mariage avec la pupille. Il reconnaîtra l’enfant dans les formes légales. »

Moretti aime se mettre en avant. On ne sait pas ce qui lui a fait abandonner son incrédulité. Mais désormais, pour lui, Georges est bien le père de la petite Huguette.

Georges demande Colette en mariage, mais cette dernière, mineure, a besoin de l’autorisation du Service des enfants assistés afin de pouvoir se marier. Dans une dernière lettre, en mars, un mois avant la date prévue du mariage, Moretti transmet donc une demande d’autorisation. Dans laquelle il résume l’affaire :

Colette est jugée désormais « assez intelligente et assez active au travail ». Et Georges, lui, était « excellent élève, économe et stable dans ses placements ».

Moretti « transmet donc un avis très favorable à la demande de ces jeunes gens », même si, à aucun moment, il n’indique que Colette a reçu favorablement la demande en mariage de son « séducteur ».

Le mariage a lieu en avril 1933.

 

Source : Archives de Paris, D5X4 3494

La Grande Guerre fut une surprise…

… du moins au début. Si on récupère, grâce à Gallica, le texte de huit quotidiens nationaux français en 1914 et qu’on compte les occurrences du mot « guerre », on s’aperçoit que ce n’est que dans les éditions du 26 juillet — un mois après l’assassinat de l’Archiduc, quelques jours avant la mobilisation générale en France — que le mot « guerre » dépasse sa fréquence moyenne.


cliquez pour agrandir

Autour du 16 juillet 1914, les journaux parlent de « guerre », mais pas vraiment comme une menace immédiate : ils en parlent parce que le Congrès de la SFIO discute de l’impérialisme et de la guerre. Et autour du 23-24 juillet, les journaux n’utilisent presque pas le mot « guerre ».

On peut comprendre que, sans télé, sans radio, le risque de déclenchement des hostilités ne soit pas entré dans les esprits des Françaises et des Français. La guerre fut une surprise.

L’argent des normaliens

Cette année, l’École normale supérieure Paris-Saclay (du moins la formation de sociologie) est entrée dans le Collectif POF qui forme les étudiants à la recherche par la recherche. Cette année neuf universités et l’ENS Paris-Saclay ont donc préparé un questionnaire, au premier semestre, recueilli les réponses de plus de 12 000 étudiants, et, au deuxième semestre, procédé à l’analyse des réponses. Cette année, le thème de l’enquête portait sur le budget des étudiants : leurs ressources, les usages de l’argent, le suivi des dépenses, etc… Et comme les élèves des ENS sont fonctionnaires-stagiaires, et donc rémunérés, le thème était particulièrement intéressant.
Avec Marion Michel qui était responsable du cours du premier semestre, j’ai rédigé un « 4 pages » qui présente quelques résultats.

Vous pouvez télécharger l’article :
Coulmont Baptiste et Michel Marion, « L’argent n’est pas un problème… », Documents Études Recherches SHS, 2024, n°2, p.1-4

Le goût de l’archive

Il y a plusieurs décennies, mon grand-père avait emprunté au curé de son village, ou au maire, quelques vieux registres où se trouvaient des Coulmont :

Ces registres sont probablement restés un moment sur son bureau, puis dans une armoire. Il en a extrait une page, qui contenait en effet un Coulmont, qu’il avait encadré. Pas besoin de les arracher : ces vieux registres étaient parfois en bien mauvais état.

Sur ces pages, des bouts de vie. Pas que des Coulmont, mais aussi des Poutrain, et bien d’autres… Des noms qui étaient probablement ceux de ses voisins ou de ses cousins.

La preuve qu’on était bien d’ici, et d’ici depuis longtemps, très longtemps. Il n’a jamais construit d’arbre généalogique. Peut-être parce que sa mère était née illégitime, et que, peut-être, ça se savait encore et qu’un arbre l’aurait bien indiqué. Que sa mère était la deuxième épouse de son père… Remonter à 1664, ça permettait de sauter par dessus l’histoire récente.

Ces registres, ainsi que la page encadrée qui prouvait l’ancienneté des Coulmont, leur droit à se dire d’ici, mon père en a hérité.

Il lui était difficile de s’en détacher : que faire de ces gros livres un peu encombrants, quand même. Des registres qui étaient juste les registres de son père, qui ne servaient plus à dire grand chose, depuis que, de déménagements en déménagements, l’ici avait changé, et que, si on avait un jour été de là-bas, ce là-bas était loin.

Mais fallait-il en hériter à mon tour ? Mon goût de l’archive est autre. J’ai le goût des Archives.

Or, le site des archives départementales indiquait quelques manques… Peut-être que le moment était venu que les Coulmont de mes registres rejoignent les Coulmont des autres registres.

[Photographies : Run]

Bingo

Du 4 au 7 juillet 2023 se tient à Lyon le 10ème Congrès de l’Association Française de Sociologie. La tenue de ce congrès donne l’occasion d’établir un bingo critique sur l’état de la sociologie académique. Aujourd’hui, ce qui se nomme sociologie dans l’université semble de plus en plus représenter un mode de production dont les normes et les valeurs représentent exactement ce bingo avec lequel la sociologie s’était pourtant historiquement constituée. L’un des principaux bingos épistémologiques à la pensée sociologique se nomme, aujourd’hui, sociologie sans bingo. Je destine ces analyses à toutes celles et tous ceux, étudiants, enseignants, lecteurs, se sentent en décalage avec les bingos de production qui dominent aujourd’hui l’appareil académique d’Etat et voudraient trouver des bingos pour refaire, enfin, de la sociologie.

[Et en 2019, et en 2017]

Victoire France

Le treize octobre mil neuf cent quinze, onze heures du matin, Louis Jardin, quarante quatre ans, Commissaire spécial de Police à la Gare de l’Est, demeurant 81 rue Madame, nous a déclaré qu’hier à huit heures cinquante cinq minutes du matin, un enfant du sexe féminin paraissant âgé de six semaines environ a été abandonné à la Gare de l’Est dans la salle des Pas Perdus et qu’il a été dressé par lui de cet abandon le procès verbal dont la teneur suit :

L’an mil neuf cent quinze le douze octobre à neuf heures quarantes minutes du matin. Devant nous, Louis Jardin commissaire spécial de Police plus spécialement chargé de la Gare de l’Est, officier de police judiciaire auxciliaire de Monsieur e Procureur de la République, s’est présentée Mademoiselle Nébout Alice, âgée de vingt sept ans, sténographe, demeurant 144 route de Saint-Leu à Montmorency, Seine et Oise, qui, pressée de prendre le train, nous a fait verbalement la déclaration suivante et en présence du Gardien de la Paix Vallée Georges 28 ans, du dixième arrondissement:

Ce matin j’étais assise sur un banc dans la salle des Pas Perdus de la Gare de l’Est et à côté de moi se trouvait une dame paraissant âgée de 22 à 25 ans, brune, teint coloré et vêtue de deuil, portant un bébé dans ses bras. Un moment donné, cet enfant s’étant mis à crier, je dis à cette dame

Votre bébé doit avoir faim

Elle répondit négativement en ajoutant que son lait était aigre et en me priant de lui garder son enfant le temps strictement nécessaire pour aller chercher du lait. Ayant acquiescé à sa demande, elle m’a remis son enfant, lui laissant sa tétine dans la bouche, puis emportant la bouteille elle disparut. Il était à ce moment là 8h55. Or à 9h45 étant obligée de partir pour prendre mon train et ne voyant pas revenir cette dame, j’ai cru comprendre que cette dernière avait eu recours à ce subterfuge dans le but de se débarrasser de son enfant. J’en ai avisé le gardien de la paix ici présent et lui confiant cet enfant, je l’ai prié de le porter à votre commissariat.

Je regrette de ne pouvoir vous donner d’autres détails sur cette mauvaise mère que je ne connais d’ailleurs pas et avec laquelle je n’ai échangé aucune conversation autre que ce que je viens de vous dire.
Signé: Jardin.

De même suite sommes mis en présence d’un enfant de sexe féminin, paraissant âgé de un mois à six semaines, vêtu chemise, une brassière rose et blanc, un linge, une couche, le tout sans marque. il était enveloppé dans un fichu de laine noire dans lequel il a été trouvé un ticket de Métropolitain (2e classe, aller et retour, pris à la station du Père-Lachaise)
Signé: Jardin.

En raison des soins qu’exige le jeune âge de cet enfant, nous l’avons fait conduire immédiatement à l’hospice des enfants assistés, 14 rue Denfert-Rochereau, par Mme Ragot, infirmière, attachée à la Cantine Militaire de la Gare de l’Est, avec un rapport pour le Directeur de cet Etablissement, signé Jardin.

De tout quoi nous avons dressé le présent pour être transmis à Monsieur le Maire du 10e arrondissement aux fins la rédaction de l’acte d’état civil. Clos à Paris les jours mois et heure que dessus. Le commissaire spécial de Police, adjoint à la Gare de l’Est. Signé : Jardin

Nous avons donné à cet enfant les noms de Victoire France.

En présence de Georges Vallée, gardin de la paix, 7 Boulevard de Calais et de Félix Muret, 72 faubourg Saint Martin.

Sources : Archives de Paris, État civil, Actes de naissance, 10e arrondissement, 1915, 10N428, acte n°3344, 13 octobre 1915 en ligne (vue 6)

[Illustrations : DALLE2]

mise à jour : Victoire France décède le 4 janvier 1916 à Chatillon.

La procuration en 2022 : répartition communale

L’Insee a rendu public, sur le site Statistiques locales, le nombre et la fréquence des procurations en 2022, au niveau communal.
Voici donc une carte montrant, pour la France métropolitaine, le « taux de procurations » en 2022 :

La procuration est plus fréquente dans l’Ouest parisien (des villes riches comme Neuilly ou Versailles), dans les métropoles régionales (Nantes, Rennes, Lyon), dans les zones de montagne (où l’on trouve par ailleurs des inscrits qui n’y résident pas), la Corse mais aussi les villes et villages du littoral de la Manche et de l’Atlantique (zones de résidences secondaires).

É. Dubreuil

Élisa Dubreuil est née en janvier 1874 à Iffendic, en Ille et Vilaine. Son père est laboureur. En 1901, la jeune femme aux yeux gris est domestique, et elle épouse François Delalande, né en 1872, cultivateur, 1m61, cheveux bruns et menton ovale. Ils vont habiter à Monterfil, et on les retrouve dans le recensement de 1901 (un petit ménage de deux personnes). En 1906 il accueillent un “enfant assisté”, Georges Roussard né en 1902. En 1911, le recensement indique qu’ils ont deux domestiques, Georges Roussard né en 1902 (l’enfant assisté est devenu domestique, à 9 ans), et Mathilde Orain, née en 1894 à Rennes.

François Delalande, que ses contemporaines jugent idiot, faible d’esprit ou avec « la tête un peu drôle », avait quand même été jugé « propre au service » militaire en 1893. En 1896 il reçoit un certificat de bonne conduite et passe dans l’armée de réserve, puis dans l’armée territoriale. Il est rappelé sous les drapeaux en août 1914, à quarante-deux ans. Il sert jusqu’à octobre 1915, mais dès mars 1915, il est évacué pour « débilité mentale », hospitalisé au Val de Grâce, puis dans divers hôpitaux, pour enfin être réformé en octobre 1915.

Il rentre alors dans son foyer, où, pendant plusieurs mois, Élisa Dubreuil, femme Delalande, a vécu sans lui.

En 1917, Élisa quitte le domicile conjugal en laissant un mot sur la table. Elle avait demandé, depuis un certain temps, à pouvoir porter « le costume masculin ». Les témoignages de l’époque la décrivent comme « grande, solidement bâtie » (elle fait d’ailleurs 1m66, elle est plus grande que son époux), dure à la tâche, contribuant fortement à la prospérité de la ferme. Les voisins disent aussi qu’elle a alors « la figure d’un homme, les bras et la force d’un homme. Entre nous, on en parlait. Mais, puisqu’ils s’entendaient bien tous les deux, François et elle, puisqu’ils vivaient tranquilles et heureux, pourquoi aurions-nous dit quelque chose. C’est leur affaire, à eux tout seuls, pas vrai. »

Au maire du village, pour justifier le droit de porter blouse et paletot, elle avait indiqué être un homme. Face à son refus, il [je vais genrer Élisa au masculin maintenant] avait demandé au docteur de Caze, médecin à Plélan, un examen. De Caze a beau indiquer qu’É. Dubreuil présente « tous les caractères du sexe masculin », le maire refuse : seuls les hommes ont le droit de porter blouse et paletot, et pour devenir homme, il faut un jugement du tribunal civil. Dubreuil demande donc au tribunal civil de Montfort une rectification de son état civil et un changement de prénom : Élie en lieu et place d’Élisa. L’audience a lieu le 20 juillet 1917, au cours de laquelle l’examen médical du docteur de Caze fait preuve : « ses organes sexuels, bien que peu développés, sont cependant complets ». Le 23, É. Dubreuil devient officiellement homme, sans obtenir toutefois le changement de son prénom.

Le mariage est ensuite annulé, sur demande de François Delalande, en raison de ce changement de sexe, par un autre jugement [texte complet du jugement ici].

Mais, devenu homme (et homme célibataire) en pleine guerre, É. Dubreuil est incorporé, dès août 1917, au 41e régiment d’infanterie, sous le prénom d’Élie. Il n’y reste pas longtemps : il est réformé dès le 30 août pour « atrophie testiculaire très prononcée avec ectopie à droite hypospadias avec pénis rudimentaire ».

François Delalande, devenu lui aussi célibataire, se remarie en avril 1918 avec la fille de la voisine, Célestine Salmon : elle a 27 ans, il en a 45, et leur union donne un fils, né dix mois plus tard, en janvier 1919. Il décèdera malheureusement l’année suivante. En 1921, François et Célestine ont un domestique. En 1936, le couple réside seul.

É. Dubreuil lui aussi se remarie, et ce mariage a même lieu deux semaines avant celui de son ex-époux. En avril 1918, il épouse, à Rennes, Adèle Orain, née en 1894 à Rennes. L’acte de mariage, c’est une particularité, souligne le prénom Élisa. Signe, sans doute, du refus de la mairie d’utiliser le prénom Élie sous lequel É. Dubreuil voulait être connu. Mais qui est Adèle, épouse Dubreuil ? Il est très probable que ce soit « Mathilde » Orain, l’ancienne domestique du couple Delalande-Dubreuil : seule une « Orain » naît à Rennes en 1894.

Quelques articles de journaux (ceux qui ont pour origine une dépèche de l’Agence radio), en 1917, invitent à conjoindre Mathilde et Adèle. « Leur bonne a mis au monde un enfant de père inconnu » (vers 1916, il aurait été conçu lors de l’absence de François Delalande) et certains journalistes écrivent qu’É. Dubreuil affirme être le père et vouloir l’annulation de son mariage pour « convoler avec sa bonne, qu’elle avait séduite alors qu’elle était sa patronne ». Ces articles datent de juin ou juillet 1917, avant même le jugement et le remariage. Mais je n’ai pas trouvé trace d’un enfant né, entre 1914 et 1917, de père inconnu et d’une mère nommé Adèle ou Mathilde Orain, dans les villages situés à proximité de Monterfil (ni à Rennes)… cet enfant existe-t-il vraiment ?
[Adèle Orain, née au 56 rue Saint Hélier en 1894 semble être prénommée Marie lors du recensement de 1896]

Je perds ensuite la trace du couple Dubreuil-Orain. Je ne les ai pas retrouvé dans le recensement de 1921. Le registre matricule d’Élie Dubreuil indique, si je lis bien, qu’il est « [.ill.] domestique chez Evain, cultivateur à Breteil », mais si j’ai retrouvé Evain dans les recensements, je n’ai pas trouvé Dubreuil.

Documents :

Presse :

Juin :

Juillet

Août :

Septembre :

Deux articles : féminisme, immigration

Je signale rapidement deux articles publiés récemment :

  1. «Faire référence. L’économie de la citation dans dix revues féministes» est un chapitre, écrit avec Isabelle Clair et Elsa Dorlin, dans leur ouvrage Photo de famille. Penser des vies intellectuelles d’un point de vue féministe. Dans ce travail, nous avons compté les citations faisant référence à 31 autrices et auteurs, dans 2981 articles dans dix revues féministes, principalement françaises (Travail, genre et société, les Cahiers du genre, Clio, etc…). Nous avons suivi les références faites à 26 femmes (avant 2016) et 5 hommes. Notre corpus compte 2705 auteurs et autrices citant (ou pas) les 31 auteurs et autrices suivies. Une chose m’a frappé : les hommes (a priori féministes) écrivant dans des revues explicitement féministes citent plus souvent des auteurs hommes (et donc moins souvent les autrices) que les femmes…
  2. La diversité des origines et la mixité des unions progressent au fil des générations (dans Insee première, n°1910), écrit avec Jérôme Lê et Patrick Simon, s’intéresse à la proportion d’immigrés, de descendants d’immigrés de 2e génération, et de descendants d’immigrés de troisième génération. On suit donc l’immigration sur trois générations. Et on met en évidence les conséquences de la mixité des unions sur plusieurs générations : Parmi les descendants de 3e génération, neuf sur dix n’ont qu’un ou deux grands-parents immigrés, 92% ont au moins un grand-parent né français en France.

Les prénoms des élus

Il y a, en 2022, environ 502 000 élus dans les différents conseils municipaux en France. Le répertoire national des élus est téléchargeable sur data.gouv.fr. Les prénoms les plus fréquents sont Jean, Marie, Philippe, Michel…
Mais ces prénoms sont aussi fréquents dans la population française non élue. Quels sont donc les prénoms qui sont sur-représentés chez les élus ?

Voici le raisonnement que j’ai suivi : j’ai comparé les prénoms des élus avec les prénoms des personnes nées en France, à partir du Fichier des prénoms, de l’Insee. Je vais présenter les résultats sous la forme d’un graphique qui compare la distribution des prénoms dans le Répertoire national des élus avec la distribution du Fichier des prénoms. Voici un graphique explicatif :
 

Vous remarquerez que les échelles sont logarithmiques.

Première comparaison

Je commence par comparer la population des élus et élues avec la population née en France depuis 1900 à partir du Fichier des prénoms. S’il y a 1,2% des naissances qui sont des naissances de bébés prénommés Zygloub et qu’il y a 2,4% de Zygloub parmi les élus, alors Zygloub est 2 fois plus présent chez les élus que ce qui est attendu (2 = 2,4 / 1,2).

Apparemment, il y a “trop” de Didier et de Régis parmi les élus, et “pas assez” de Jeannine, de Mohamed et de Thérèse. Quatre fois moins de Louis qu’attendu, et trois fois plus d’Hervé.
Mais on a tout de suite un problème : la population des élus municipaux compte moins de femmes que la population française, ce qui va se refléter sur la position des prénoms sur ce graphique. Je vais donc faire une deuxième comparaison, en tenant compte de la part des femmes parmi les élu·e·s.

Deuxième comparaison

Cela ne change pas grand chose, mais on voit des prénoms comme Justine ou Marie se rapprocher d’un rapport d’égalité :
 

Et de l’autre côté du graphique, les prénoms masculins sur-représentés apparaissent moins sur-représentés (étant donné que les hommes constituent la majorité des élus).

Troisième comparaison

On peut aller plus loin : les élus municipaux sont principalement des élus de toutes petites communes. Et à Paris, par exemple, il y a peu d’élus municipaux par comparaison avec la population. Quand on compare les prénoms de la population à ceux des élus, on peut le faire sur une base départementale : s’il y a peu de Samira en Corrèze, il y aura sans doute peu d’élues nommées Samira (même si, dans le Nord, il va naitre plus de Samira).

Dans le graphique suivant, je contrôle donc par les naissances départementales :


 
Peu de changements, là aussi. Mais quand même : si les Mohamed étaient quatre fois moins fréquents qu’attendus quand on ne prenait pas en compte les départements, ils ne sont plus que 2,5 fois moins fréquents qu’attendus.

Quatrième comparaison

Il faut donc probablement contrôler par le sexe et le département, comme je le propose ci-dessous :


 
Bof, non ? Ça ne conduit pas à une modification radicale des sur- et sous-représentations. C’est probablement parce que j’ai oublié que les élus n’avaient pas 110 ans, et qu’ils n’avaient pas 10 ans non plus.

Cinquième comparaison

Il faut donc, bien entendu, contrôler par l’année de naissance. Et cela d’autant plus que les prénoms connaissent souvent une période – plutôt courte – pendant laquelle ils sont beaucoup donnés. Si les Jeannine sont peu présentes parmi les élus, c’est parce qu’elles sont en grande partie déjà décédées.

Dans le graphique suivant, je prend donc en compte la distribution par âge de la population des élus.


 
Ah, là il y a du changement. Une bonne partie des prénoms se retrouvent à proximité du rapport d’égalité entre le nombre d’élus et le nombre attendu d’élus. Mais ne peut-on pas aussi prendre en compte le sexe et le département ?

Sixième comparaison

Oh que si : dans le dernier graphique, je montre les résultats d’un calcul prenant en compte l’année de naissance, le sexe et le département d’élection des élu·e·s :

La “boule” centrale s’est encore rétrécie : on prévoie assez bien combien il y a aura de Céline élues si l’on connaît la distribution par âge, sexe et départements de la population des élues. Il reste quelques prénoms que ces variables expliquent mal : Bertrand, Armelle, Bénédicte, Etienne, Benoît, Hugues et Hubert se retrouvent trop souvent parmi les élus. Est-ce un signe que ces prénoms sont attachés à des personnes disposant de ressources sociales plus importantes ? De l’autre côté, on trouve des prénoms symétriques : Tony, Kevin, Sabrina, Nadia, Jonathan, Jessica… que l’on devrait retrouver plus souvent chez les élus.

Et Mohamed et Karim : même en tenant compte de l’âge des élus, de leur département d’élection, de leur sexe… il y a “trop peu” de Mohamed et de Karim parmi les élus municipaux. Pour quelles raisons ? Peut-être l’utilisation d’un autre prénom au quotidien et une candidature sous un autre prénom que le prénom de naissance (comme le firent ou le font Marie-Ségolène “Ségolène” Royal, Marion-Anne “Marine” Le Pen et tant d’autres). Peut-être qu’il faudrait prendre en compte une échelle plus fine que le département ? Ou peut-être qu’on trouverait d’autres raisons si on cherchait un peu.

Notes :

  1. J’ai transformé les prénoms composés : Anne-Marie est Anne, Jean-Philippe est Jean…
  2. J’ai asciifié les prénoms : ils n’ont plus aucun accent ni cédilles
  3. C’est un peu stupide de prendre en compte les naissances départementales pour estimer une proportion attendue, comme si les élus étaient nés là où ils sont élus
  4. Et en plus, avec la fin du département de la Seine en 1968, les codages bizarres de l’Outre-Mer, je ne suis pas certain de ne pas avoir été trop rapide parfois
  5. J’ai sans doute fait des erreurs, mais si vous voulez les corriger, le code est sur github