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Les billets de August, 2004 (ordre chronologique)

Sweet home, Alabama ?

La décision récente de la cour d’appel du 11e circuit des Etats-Unis, concernant la vente des sex toys en Alabama (vente interdite sous peine d’un an de prison au plus), a suscité de nombreuses réactions. L’editorial du Decatur Daily du 1er aout est direct :

The three-judge federal appeals court that ruled 2-1 against adult sex toys last week looked a little silly in its reasoning. (…) Whether people have an opinion about adult stores, or don’t care, having federal judges say the government has the right to look under the bedroom sheet should repulse them.

Le même journal (Decatur est une ville de l’Alabama) précise que le combat juridique risque de continuer : Court fight about Alabama sex toy ban to continue, principalement en raison de la décision divisée du panel de trois juges:

Plaintiffs will likely ask the full 11th U.S. Circuit Court of Appeals to rehear the case since a divided three-judge panel issued the decision (…) Depending on what the full court decides, the Supreme Court could be asked to review the case

Le principal quotidien de Huntsville, une autre ville de l’Alabama, le The Huntsville Times titre “Sex-toy business thriving” :

Despite a setback in federal court, the pursuit of happiness continues inside south Huntsville’s Naughty and Spice. “Actually, it’s gotten busier,” said store owner Pearl McIrvine on Thursday afternoon. “I think everybody is running in thinking they are going to shut us down.”

Et certains législateurs alabamais sont directs:

Alabama state lawmaker John Rogers said the law is too ambiguous and unenforceable, not to mention unconstitutional. “In reality, a shower head could be used as a sex toy,” Rogers said. “It’s a useless law. It makes us look like a bunch of yokels.”

Les commentaires de divers blogs, comme AmazonChyck soulignent l’étrange non prise en compte de la décision Lawrence.
Le plus intéressant me semble, en ce moment, le fait que l’interdiction de la vente des godemichés et autres vibromasseurs n’est pas une idée propre à l’Alabama. Instapundit fait le parallele avec un projet de loi au Tennessee qui n’a jamais vu le jour grâce à l’action humoristique de quelques opposants, un article (de Tristan Taormino) d’il y a quelques années dans le Village Voice montrait tout l’amusement qu’il était possible de retirer d’une interdiction texane des mêmes objets.
Alors, pour les personnes intéressées, voici les lois de Georgie interdisant la vente d’obscene devices (Ga. Code Ann. § 16-12-80) et du Texas (Texas Penal Code, §43.21 et 43.23).
En Louisiane, la Cour supreme a déclaré inconstituitionnelle une telle loi, et cela quelques années avant Lawrence, dans une decision (Brenan v. Louisiana, 772 So. 2d 64; 2000 La.). Les décisions sont en ligne sur le site de la Cour Supreme de Louisiane, 99-KA-2291, et le dissent du du juge Traylor
Sur NPR, une interview de Dahlia Lithwick résume le contexte actuel (et aussi dans Slate.
Sur le même sujet ou des sujets proches, voir dans mon blog la décision du 11e circuit et une contextualisation du commerce des sex toys.
Mise à jour : un article très intéressant, fort éclairant, de Michael C. Dorf (Professeur de droit à Columbia), sur FindLaw, une autre analyse (AVN.com) et le site de Sherri Williams (la plaignante) http://www.williamsversusalabama.com/

Eruv, eruvim (1)

Au cours de mes recherches, qui portent en partie sur les manifestations publiques des religions, notamment leurs manifestations spatiales, je suis tombé sur les eruvim, qui transforment l’espace public en espace domestique.
Un eruv (pluriel : eruvim ou eruvin; parfois translittéré erouv ou erouve, voir eiruv ou eiriv, ערוב ? העירוב ?) est une enceinte continue autour d’une ville ou d’un quartier, qui permet le transport d’objets au cours du shabbat (transport interdit aux juifs orthodoxes). Les définitions opératoires proposées par divers universitaires insistent alors sur la conversion de la nature de l’espace réalisé par l’eruv:

a device by which an area that is not a private domaine is halachically converted into one
Peter Vincent & Barney Warf, “Eruvim: Talmudic places in a postmodern world”, Transactions of the Institute of British Geographers Volume 27 Issue 1, March 2002, pp. 30-51

ou

Eruvin, meaning literally ‘mixture’ or ‘mingling’, are Talmudic devices designed to convert public (…) space into private ownership. By reclassifying space, restrictions on the ‘carrying’ (in a legalistic sense) of items such as walking sticks, wheelchairs and prams are removed, thus giving a freedom to people who would otherwise be trapped in their homes over the Sabbath.
Oliver Valins, “Institutionalised religion: sacred texts and Jewish spatial practice” Geoforum Volume: 31, Issue: 4 November, 2000 pp. 575-586

Une dernière définition se concentre moins sur la conversion de l’espace que sur la relaxation des restrictions.

(…) an eruv, or a symbolic extension of the walls of a Jewish home into the public domain. According to rabbinical law, an eruv relaxes certain stringent restrictions against carrying and pushing objects outside the home on the Sabbath and other holy days.
Valerie Stoker, “Drawing the Line: Hasidic Jews, Eruvim, and the Public Space of Outremont, Quebec”, History of Religion, Volume 43, Number 1, August 2003, pp.18 -49

Ces trois définitions ont de plus ceci en commun qu’elles insistent sur le caractère légaliste de l’eruv: ce n’est pas parce que l’eruv est béni, sacré ou autrement “religieux” qu’il possède ses qualités, mais parce qu’il est la conséquence de décisions de droit juif (la halacha, הלכה). Cette nature juridique, et le caractère très controversé de cette création, fait de l’eruv une forme très intéressante à étudier.
Les principales villes occidentales sont dotées d’un eruv voire de plusieurs eruvim : Sydney en Australie, Londres… (google images donne une foule de cartes).
Un eruv est, symboliquement, un seuil. Il s’agit donc, pour former un eruv, de relier entre eux, afin de former une enceinte “close”, des “seuils”. Une vieille muraille peut faire un bon support, mais ce sont surtout des pilônes, des poteaux électriques… qui sont utilisés, et reliés entre eux par des fils. Mais ces fils, afin de constituer un seuil au regard de la halakha, doivent passer par le sommet du poteau, d’où l’invention du “Teichman Adapter” (l’adaptateur Teichman pour pylônes et poteaux). Le Teichman est pratiquement invisible du sol, et le fil qui relie les deux pilônes l’est tout autant.
Les frontières eruviques sont alors vérifiées le plus souvent possible par les rabins “gardiens” de l’eruv attaché à leur synagogue, et l’état de l’eruv est affiché : le site web de l’eruv de Boston propose un numéro de telephone auquel se tenir au courant, le statut de l’eruv de Denver dans le Colorado est rendu public de manière automatique…
Mais comme tout est affaire de frontière, et que l’eruv est quasi-invisible, il arrive que soient précisées les fins d’eruv, comme le montre cette image (prise à shalomnewyork.com):
Eiruv, ShalomNewYork, Boro Park, Brooklyn
(au croisement de l’avenue F et de McDonald’s avenue à Borough Park, Brooklyn)

Annulation des mariages de San Francisco

La Cour Suprême de Californie vient d’annuler les quelques 4000 mariages entre personnes du même sexe célébrés à San Francisco entre le 12 février et le 11 mars dernier. La décision de la cour est ici sur FindLaw. L’annulation des mariages (et l’obligation faite à la ville de rembourser les couples pour les frais de dossier, 82$ par licence) ne “remet pas le dentifrice dans le tube”: l’action du maire de SF, Gavin Newsom, avait poussé d’autres maires ou officiers d’état-civil (dans l’Etat de New York, au Nouveau Mexique, en Oregon) à ouvrir le mariage à deux hommes ou deux femmes.
Et recemment, la cour d’appel de l’Etat de l’Oregon (affaire Li & Kennedy v. State of Oregon, documentation ici) a demandé à l’Etat de commencer à enregistrer officiellement les quelques 3000 mariages “gay” déjà célébrés ; une autre cour de l’Etat de Washington (dans l’affaire Andersen v. State of Washington, décision du juge Downing ici) a déclaré que le mariage du même sexe est légal — mais ne peut être célébré tant que la cour suprême [locale, de l’Etat de Washington] ne s’est pas prononcée…

Et pendant ce temps, dans le Massachusetts, les mariages continuent.

Une invitation à Gmail

J’ai une invitation au mail par Google, Gmail. Qui la veut ?

mise à jour : voir http://isnoop.net/gmailomatic.php

Eruv, eruvim (2)

L’eruv (voir mon blog précédent) apparaît comme un outil très utile pour diminuer certains des coûts associés à une pratique rigoureuse du judaïsme. Divers mouvements associés au judaïsme orthodoxe insistant sur une pratique conforme aux Ecritures, tout en cherchant une accommodation avec des pratiques contemporaines, vont alors s’emparer de l’eruv. L’érouve permet d’utiliser une poussette ou une chaise roulante pour aller à la synagogue, par exemple. Il élargit ainsi la marge de manoeuvre des personnes observant shabbat.
C’est peut-être pour cela qu’il est utilisé par les éclaireurs israélites de France: ce document (pdf) peut être un peu trop folklorique, un exemplaire des “Cahiers de la formation” du mouvement des Eclaireuses et eclaireurs israélites de France présente la meilleure manière, pour des scouts juifs, de construire un eruv. C’est peut-être aussi pour cette même raison que les opposants les plus virulents aux erouvim se trouvent à l’intérieur même des communautés orthodoxes: certains refusent toute relaxation des règles littérales.

Mais l’érouv apparait souvent, quand il est établi en ville autour d’un quartier, comme l’imposition d’une forme de sacré “fondamentaliste”, ne respectant pas la neutralité religieuse de l’espace public, même si, en pratique, un eruv est tout bonnement invisible. C’est de cette manière que les opposants à l’érouv d’Outremont, un quartier de Montreal (voir Valerie Stoker, “Drawing the Line: Hasidic Jews, Eruvim, and the Public Space of Outremont, Quebec”, History of Religion, Volume 43, Number 1, August 2003, pp.18 -49), se sont opposés, pendant plusieurs années, à l’érection d’une telle bordure sacrée. C’est aussi un peu de cette manière qu’aux Etats-Unis, des actions en justice ont été intentées quand des eruvim utilisaient du matériel urbain (poteaux électriques ou téléphoniques, lampadaires…) comme supports (une action récente, Tenafly Eruv Association v. Borough of Tenafly, 309 F.3d 144 décision du 3e circuit de 2002, analysée avec d’autres par Schlaff, Shira J. “Using an Eruv to Untangle the Boundaries of the Supreme Court’s Religion-Clause Jurisprudence” (PDF),5 U. Pa. J. Const. L. 831 (2002 – 2003)). Ce matériel urbain est, pour ce que j’ai pu constater récemment à New York, souvent utilisé, souvent pour des fils, plus rarement pour des indications.
Eruv New York Boro Park
(Je suis allé sur les lieux où avait été prise la photo que j’ai utilisée dans mon précédent blog sur les eruvim: ce rare panneau aurait pu être un canular bien forgé, il n’en est rien).

Pour le sociologue intéressé par les manifestations spatiales de la religion, l’eruv est pain béni: les cartes dressées par les synagogues ou les associations permettent de repérer — quand elles sont mises en série dans le temps comme le font Vincent et Warf (Peter Vincent & Barney Warf, “Eruvim: Talmudic places in a postmodern world”, Transactions of the Institute of British Geographers Volume 27 Issue 1, March 2002, pp. 30-51) pour l’eruv Haredi de Jerusalem entre 1962 et 2001 — l’extension ou le rétrécissement de ce qui est hallachiquement un espace privé.