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Eruv, eruvim (1)

Billet publié le 11/08/2004

Au cours de mes recherches, qui portent en partie sur les manifestations publiques des religions, notamment leurs manifestations spatiales, je suis tombé sur les eruvim, qui transforment l’espace public en espace domestique.
Un eruv (pluriel : eruvim ou eruvin; parfois translittéré erouv ou erouve, voir eiruv ou eiriv, ערוב ? העירוב ?) est une enceinte continue autour d’une ville ou d’un quartier, qui permet le transport d’objets au cours du shabbat (transport interdit aux juifs orthodoxes). Les définitions opératoires proposées par divers universitaires insistent alors sur la conversion de la nature de l’espace réalisé par l’eruv:

a device by which an area that is not a private domaine is halachically converted into one
Peter Vincent & Barney Warf, “Eruvim: Talmudic places in a postmodern world”, Transactions of the Institute of British Geographers Volume 27 Issue 1, March 2002, pp. 30-51

ou

Eruvin, meaning literally ‘mixture’ or ‘mingling’, are Talmudic devices designed to convert public (…) space into private ownership. By reclassifying space, restrictions on the ‘carrying’ (in a legalistic sense) of items such as walking sticks, wheelchairs and prams are removed, thus giving a freedom to people who would otherwise be trapped in their homes over the Sabbath.
Oliver Valins, “Institutionalised religion: sacred texts and Jewish spatial practice” Geoforum Volume: 31, Issue: 4 November, 2000 pp. 575-586

Une dernière définition se concentre moins sur la conversion de l’espace que sur la relaxation des restrictions.

(…) an eruv, or a symbolic extension of the walls of a Jewish home into the public domain. According to rabbinical law, an eruv relaxes certain stringent restrictions against carrying and pushing objects outside the home on the Sabbath and other holy days.
Valerie Stoker, “Drawing the Line: Hasidic Jews, Eruvim, and the Public Space of Outremont, Quebec”, History of Religion, Volume 43, Number 1, August 2003, pp.18 -49

Ces trois définitions ont de plus ceci en commun qu’elles insistent sur le caractère légaliste de l’eruv: ce n’est pas parce que l’eruv est béni, sacré ou autrement “religieux” qu’il possède ses qualités, mais parce qu’il est la conséquence de décisions de droit juif (la halacha, הלכה). Cette nature juridique, et le caractère très controversé de cette création, fait de l’eruv une forme très intéressante à étudier.
Les principales villes occidentales sont dotées d’un eruv voire de plusieurs eruvim : Sydney en Australie, Londres… (google images donne une foule de cartes).
Un eruv est, symboliquement, un seuil. Il s’agit donc, pour former un eruv, de relier entre eux, afin de former une enceinte “close”, des “seuils”. Une vieille muraille peut faire un bon support, mais ce sont surtout des pilônes, des poteaux électriques… qui sont utilisés, et reliés entre eux par des fils. Mais ces fils, afin de constituer un seuil au regard de la halakha, doivent passer par le sommet du poteau, d’où l’invention du “Teichman Adapter” (l’adaptateur Teichman pour pylônes et poteaux). Le Teichman est pratiquement invisible du sol, et le fil qui relie les deux pilônes l’est tout autant.
Les frontières eruviques sont alors vérifiées le plus souvent possible par les rabins “gardiens” de l’eruv attaché à leur synagogue, et l’état de l’eruv est affiché : le site web de l’eruv de Boston propose un numéro de telephone auquel se tenir au courant, le statut de l’eruv de Denver dans le Colorado est rendu public de manière automatique…
Mais comme tout est affaire de frontière, et que l’eruv est quasi-invisible, il arrive que soient précisées les fins d’eruv, comme le montre cette image (prise à shalomnewyork.com):
Eiruv, ShalomNewYork, Boro Park, Brooklyn
(au croisement de l’avenue F et de McDonald’s avenue à Borough Park, Brooklyn)

[yarpp]