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Religion et politique

Billet publié le 03/09/2004

A chaque élection présidentielle américaine, les mêmes remarques reviennent, souvent centrées autour du poids électoral et idéologique de la Droite Chrétienne. Certes ces descriptions existent aux Etats-Unis, mais dans la presse française, elles me semblent servir aussi un but “local” : parler des Etats-Unis, c’est parler de la France en creux. Souligner l’influence des chrétiens conservateurs sur le processus politique permet de rappeler qu’en France, ça ne se passerait pas pareil — et non pas à cause de conditions historiques différentes, mais “culturellement”. “Les USA pays religieux” s’oppose à “La France pays laïc/laïque” (et l’on sait combien la laïcité est invoquée en ce moment).
J’ai été contacté récemment par un journaliste (et lecteur occasionnel de ce blog) préparant un documentaire sur les Etats-Unis et souhaitant mes lumières sur la place du religieux dans ces élections. C’est vers Isabelle Richet, l’auteure de La Religion aux Etats-Unis que je l’ai dirigé.
Je me demande comment m’aventurer sérieusement sur un terrain très balisé, par de nombreuses études et enquêtes américaines, que je suis loin de maîtriser, et que je n’ai pas réellement étudié. Mes commentaires, si j’avais à les proposer, tourneraient autour de quelques réflexions:

  • 1- Il me semble qu’une appartenance religieuse fasse partie de la personne politique publique. Il est assez facile de connaître l’affiliation revendiquée des membres du congrès, du sénat ou des gouverneurs (seul Jessie Ventura, ancien catcheur et acteur de série B maintenant chercheur associé à Harvard, refuse apparemment de donner une religion). Les athées publics aiment alors déclarer qu’il est impossible pour eux d’être élus : Ron Reagan, l’un des fils de l’ancien président, et Michael Newdow (PDF), lors de son audition à la Cour Suprême, le répêtent explicitement. (Newdow est cet avocat athée, créateur de la First Amendmist Church of True Science, qui s’oppose à la mention de Dieu dans le serment patriotique que les enfants prononcent tous les matin à l’école publique).
  • 2- Si l”affiliation religieuse est un capital politique, alors il s’entretient, mais peut aussi changer de forme. Le passage d’une forme de christianisme à une autre est possible. Si l’on prend l’exemple de la dynastie Bush. Les ancêtres (Bush 1er et son père le sénateur Prescott Bush) étaient épiscopaliens, la religion classique des banquiers républicains du Nord-Est des Etats-Unis. La génération qui a suivi — et qui a connu une émigration intérieure — n’a pas gardé cette affiliation. George W. Bush, l’actuel président, s’est trouvé une forte affinité avec des groupes de prière méthodistes quand il a du commencer une carrière politique au Texas (sa femme, Laura était déjà méthodiste). Le Méthodisme y est une forme non marquée d’affiliation religieuse, très centriste. Son frère, John Ellis Bush (surnommé “Jeb”), en épousant Columba Garnica Gallo, catholique hispanique, a choisi de devenir catholique romain, ce qui lui ouvrait les portes de réseaux politiques en Floride du Sud. En revanche, il est plus difficile de savoir ce qu’est l’appartenance religieuse des frères et soeur du président (Neil, Marvin et Dorothy). Les Bush ne sont pas les seuls à avoir fait fructifier un capital religieux: Howard Dean, l’ancien gouverneur du Vermont qui fut un moment le candidat virtuel des démocrates, était du même milieu social que les Bush (père banquier épiscopalien), mais, une fois installé dans le Vermont, est devenu congrégationaliste (qui serait la religion des banquiers démocrates, pour dire vite).
    Il existe d’autres manières d’accroître son capital, par exemple par mariage: la religion de Judith Steinberg, la femme d’Howard Dean est pratiquement tout ce qu’on sait d’elle, elle est juive (ainsi que leurs enfants). Les Clinton sont baptiste et méthodiste. Les grands-parents sont parfois invoqués : ceux de John Kerry (du côté de son père) étaient juifs, d’Europe centrale, convertis au catholicisme en arrivant à Boston et en irlandisant leur nom de famille. (Prenons une comparaison : sait-on si Paul Sarközy, le père hongrois de Nicolas Sarkozy, était catholique ou calviniste ?)
    Mais il ne faudrait pas y voir un invariant culturel “américain”: Lyndon B. Johnson ou Richard Nixon ne faisaient pas grand cas de leur affiliation (la famille de Johnson était membre des Christadelphiens et Nixon était officiellement Quaker).
  • 3- Les assemblées locales, les églises (le terme utilisé est souvent congregation) sont aussi des lieux d’engagement politique. Les pasteurs embrassent publiquement des causes (contre la peine de mort ou pour une couverture sociale universelle…) mais ne peuvent soutenir des candidats ou des partis. Les lignes sont ténues, surtout quand certaines causes deviennent identifiées à certains partis. Le risque, pour les pasteurs qui endorseraient un candidat, serait de perdre l’exemption fiscale dont leur église bénéficie. Les Eglises proposent donc des manuels chargés d’aider les pasteurs à faire l’équilibriste : par exemple ce guide, The Real Rules: Congregations and Political Activity proposé par les Unitariens-Universalistes.
  • 4- Je n’ai pas pris l’exemple précédent au hasard. Les pasteur-e-s Unitariens-Universalistes sont considéré-e-s comme une “dynamo libérale” (voir un article fort intéressant : John C. Green, « A liberal dynamo: The political activism of the Unitarian-Universalist clergy », Journal for the Scientific Study of Religion, 42(4), 2003, 577-590). Si l’activisme politique du clergé “de droite” est bien connu (et surtout, relativement efficace), l’activisme de gauche passe beaucoup moins bien la frontière transatlantique. Et les Unitariens sont de toute manière très peu nombreux.

Rien là de bien étonnant ou de bien nouveau, me semble-t-il.

Mise à jour : Une tribune dans le New York Times, A Hidden Swing Vote: Evangelicals, par Andrew Greeley et Michael Hout, est fort intéressante [via: Crooked Timber]

[yarpp]

2 commentaires

Un commentaire par Peter Levine (03/09/2004 à 13:27)

Please pardon me for commenting in English; I would make too many mistakes in French. …

Your summary strikes me as very accurate and perceptive. However, I would stress two large points. First, Americans are very religious, as measured by rates of church attendance and professions of faith. (There is no large-scale organized opposition to religion per se.) Second, there is no dominant religious tradition or denomination.

These facts generate some political consequences: 1) Politicians must appear to be religious–more religious than Howard Dean, who called the Book of Job his favorite part of the New Testament and said that he had quit his church in a dispute over a bike path. But 2) They must be vague about the implications of their faith for policy, because most Americans do not belong to their denomination and will become uncomfortable if they think that some other religious group threatens to dominate. The “religious right” is composed of Calvinists, Catholics, and Orthodox Jews, who can only cooperate if they remain vague. Finally, 3) there is no “clergy,” because pastors, priests, ministers, prayer leaders, rabbis, imams, and others belong to no single organization. Therefore, the clerical/anti-clerical debate (which in some ways goes back to the Guelfs versus the Ghibbelines) is not an issue in the United States. Instead, the question is whether to use explicitly religious reasons to support particular policies. Failing to use religious rhetoric puts a politician outside of the mainstream. But it is equally dangerous to employ specific religious arguments drawn from particular traditions.

Un commentaire par cossaw (06/09/2004 à 4:45)

Bon résumé, en effet, qui permet d’éclairer nos lanternes – même si quelques uns des noms d’Eglises cités me sont parfaitement méconnus – en dehors du nom s’entend.