Roumanie
Entre avril 1999 et juillet 2000, avant la thèse, j’ai travaillé à Bucarest, au Bureau du Livre de l’Ambassade de France en Roumanie. Au cours de cette année et demi j’ai beaucoup appris. Outre le roumain (Da, vorbesc un pic româneşte !), le travail dans une administration expatriée fut une grande découverte, que je ne peux recommander à personne.
Très récemment, c’est un peu de Roumanie que j’ai rencontré, par hasard. A part Dragostea din Tei, bien sûr. Je suis tombé dans la rue nez à nez avec Tanguy Viel, un romancier que j’avais invité à Bucarest sur les conseils de François Bon. Tanguy Viel est l’auteur de L’Absolue perfection du crime, mais aussi de Cinéma, un roman dans lequel un narrateur raconte un film, mais pas n’importe quel film. De retour en France, il a écrit une sorte de carnet de voyage, commençant par :
La Roumanie, c’est un peu comme le Pérou ou la Sibérie
et dans lequel j’apparais sous les traits à peine voilés d’un jeune normalien.
Je ne suis jamais retombé sur Pierre Le P***ër, lui, avait obtenu l’une des prestigieuses “Mission Stendhals” pour venir en Roumanie écrire (je ne l’ai même jamais rencontré). Le projet de ce poète était lié à une démarche personnelle: dès qu’il entrait en contact avec le signifiant ou le signifié “moulin”, il se mettait à écrire et à décrire la situation dans laquelle “moulin” était apparu. Toutes les formes de “moulin” semblaient concernées: Commissaire Moulin, moulin à parole, images de moulin sur les emballages de pain de mie… Et il avait, dans son projet de mission, défini le choix de la Roumanie de la manière suivante: plutôt que de demander New York comme tous ces écrivains qui veulent des vacances payées au frais du contribuable, il demandait la Roumanie, où il aurait le plaisir, au moins, de distribuer des devises à des gens qui en manquent. Il espérait même, à mots couverts, ne pas rencontrer “moulin” dans la contrée mythique des Daces. (Je n’invente pas, c’est dans ces termes que sa demande avait été déposée au Ministère des Affaires Etrangères et avait été acceptée).
Pierre Le P*** est aujourd’hui le principal responsable d’un site de poésie, dans lequel il fait part de ses états d’âme littéraires. A l’époque, son ordre de mission, en provenance directe d’un des responsables du ministère, avait beaucoup amusé. Dans mes correspondances avec Le Poète, je m’efforçais de ne pas prêter au déclenchement littéraire (tout “moulin” était proscrit) tout en précisant qu’un des chefs d’oeuvres (que je n’ai pas lu) de la littérature roumaine était Moara cu noroc (de Ioan Slavici, mare prieten al lui Eminescu) et qu’il y avait, à Sibiu, un musée en plein air dont l’attrait principal était les Moara de vânt.
Pierre Le P*** raconte son voyage en Roumanie, de manière souvent hilarante (à son insu et sans le vouloir).
[yarpp]Jeudi 10 août, (…) je vois une immense pancarte sur le bord de la route, à fond blanc, sur lesquelles se détachent les lettres vertes du mot “BOROMIR” et, juste en-desssous, j’ai le temps de lire “moara” qui signifie “moulin” en roumain ; c’est un attaché culturel de l’Ambassade française qui me l’a appris dans un e.mail: il me disait que mon choix de la région de Sibiu était excellent puisque s’y trouvent de nombreux moulins et me donnait le titre d’un livre où les mots de “noroc” et de “moara” étaient associés (“Le moulin de la chance”) si bien que lorsque nos hôtes ont dit “noroc” en levant leur verre le jour de notre arrivée, j’ai cru qu’ils disaient “moulin” ; à cette occasion (…)
Je demande à nos jeunes amis ce que signifie “Boromir”, ils me disent qu’il doit s’agir du nom d’une firme, ce dont je me doutais. En-dessous du mot “moara”, j’ai eu le temps de lire également “abbator” et l’association de ces deux activités me laisse perplexe.