L’université
J’ai hésité un long moment avant d’écrire. Les procédures de recrutement à l’université sont officiellement “bureaucratiques”, au sens de Max Weber (rationnelles, impersonnelles, systématiques…). Dans la réalité, les relations personnelles (le volume de capital social) importent autant voire plus que le volume des autres capitaux (voir à ce sujet l’article de Godechot et Mariot, “Les deux formes du capital social”; dans un numéro récent de la Revue Française de Sociologie —copie de l’article en pdf).
Parfois, comme dans le “cas” exposé ci-dessous, c’est l’indignation qui l’emporte. Le contexte, un département universitaire d’une grande université française. Le recrutement d’un nouveau professeur s’est fait en auditionnant deux maîtres de conférences de cette même université (recrutement local). Le professeur élu est — c’est de notoriété publique mais n’a jamais été mis par écrit — accusé de harcèlement sexuel et a été démis de ses fonctions dans un laboratoire de l’université. La “commission de spécialistes” a écrit au candidat malchanceux qu’il serait recruté dans six mois. De nombreuses protestations se font entendre pour regretter l’élection du mauvais candidat (sans jamais écrire ce dont est accusé le candidat). Je n’ai pas encore lu de réaction quant au fait qu’un poste avait été promis à l’autre candidat.
Il y aura un concours, le poste sera officiellement “ouvert”, il sera publié au journal officiel, il y aura des candidats (qui devront se déplacer à leurs frais)… une commission se réunira… pour finalement élire le candidat local.
Ci dessous, quelques extraits courts de mails reçus récemment, dans lesquels je souligne ce qui m’intéresse.
Extrait d’un mail du candidat non-élu
Permettez-moi de vous dire à quel point […me touchent…] les témoignages de sympathie qui arrivent sur mon mél et mes répondeurs depuis l’annonce de la décision de la Commission de spécialistes hier. Rassurez-vous, je vais plutôt bien ([…] ce n’est pas la mort).
A vrai dire, la décision d’attribuer le poste de professeur fléché […fléchage…] à […un nom…] ne me surprend qu’à moitié. A «qualité égale» des dossiers scientifiques, nos collègues […] ont décidé d’attribuer ce poste sur un critère d’ancienneté de l’HDR et de l’âge, tout en s’engageant, par écrit, à me réserver le prochain poste de prof qui sera à pourvoir dans le département. En principe, il s’agira du support libéré par […un nom…], suite à sa mutation à […une ville…].
[…]
[…le candidat élu…] devient ainsi la deuxième personne en France à occuper un poste de professeur de […la discipline…] fléché […le fléchage…], alors qu’il est, surtout depuis son départ de l’équipe […nom de l’équipe…] en […année…], mais sans doute depuis bien plus longtemps, marginalisé et très contesté dans le milieu académique des […sous discipline…] (même si cette marginalisation et cette contestation demeure relativement «invisible» aux non-initiés; il y aurait sans doute là matière à réflexion collective), comme il l’est au sein de la […discipline…] plus généralement.
Extrait d’un mail du candidat élu
[yarpp]C’est une victoire de la démocratie universitaire. Il y avait un poste de prof de […la discipline…] (sur les budgets Sauvons la recherche), nous étions deux au final. Les mauvaises langues annonçaient une logique de laboratoire dans lequel j’étais perdant. D’avance. Et sans appel possible.
Les collègues de la commission de spécialistes du collège A ont examiné avec soins les deux dossiers, qui chacun, avec ses particularités, était excellent, […coupure…] Mais, au vu des publications (livres et articles), et sans doute aussi des débats (qui restent secrets), j’ai été choisi.
Je devrais donc être professeur […de la discipline…] dès février 2005. Je ne suis plus un […pratiquant de la dicipline…] maudit.
Un autre poste est libre en mars 2005, l’autre personne devrait l’obtenir.
4 commentaires
Un commentaire par cossaw (29/11/2004 à 11:13)
A méditer… et c’est identique partout. On peut aussi rajouter la trop classique tentation qui fait que quitte à favoriser quelqu’un, il suffit aussi d’exiger des compétences que seule une personne ayant eu le parcours du candidat pré-retenu pouvait exhiber…
Il existe tant de biais (tous plus injuste les uns que les autres mais toujours légaux) pour s’assurer du succès (ou de la défaite) d’un favori (resp. d’un empêcheur de tourner en rond)… le plus “drôle” se trouvant être le cas où l’on choisit le moindre de deux maux (un ami a dû son poste à la haine que deux co-responsables se vouaient et donc à sa neutralité face à l’un et à l’autre…)
Reste que publier ce genre de note peut-être dangereux… on ne joue pas avec le status-quo sans impunité :)
Un commentaire par phnk (03/12/2004 à 7:59)
>> les deux dossiers, qui chacun, avec ses particularités, était excellent (extrait du mail du candidat élu)
Ni l’orthographe ni l’humilité ne semblent faire partie du personnage, peut-être faudrait-il remettre au goût du jour certaines valeurs simples que l’école inculque pourtant à chacun dès le plus jeune âge.
Un commentaire par Baptiste (03/12/2004 à 8:32)
En effet…
phnk : je n’avais pas vu ces fautes (trop de virgules)
cossaw : je ne suis pas le seul à protester et je ne pense pas risquer grand chose… enfin, si cette note disparait un jour, il ne faudra pas s’étonner.
Un commentaire par Marsyas (06/12/2004 à 7:53)
Ce qui me chagrine le plus dans cette histoire et qui n’a pas l’air de trop vous déranger (ou bien je n’ai pas compris), c’est le caractère exclusivement local du recrutement dans cette université : deux postes de professeur dans une même discipline auront été attribués exclusivement à des candidats locaux après un simulacre de concours ne visant en réalité qu’à départager deux poulains de la maison. C’est proprement là que réside le scandale. Il devrait y avoir obligation pour les universités de recruter en dehors de leur personnel, de la même façon qu’on ne peut entrer au CNRS comme chargé de recherches dans le laboratoire qui vous a accueilli comme thésard. Il faut réhabiliter la mobilité des enseignant-chercheurs, sans quoi ce sont les plus dynamiques, ceux qui partent plusieurs années à l’étranger par exemple, qui sont pénalisés. Le recrutement local gangrène le système universitaire en favorisant toutes les magouilles comme celle que vous exposez.