Le droit interne des religions est un sujet qui me passionne. Le droit le plus connu est sans doute le droit canon de l’Eglise catholique romaine, ne serait-ce que pour la simple raison qu’il est enseigné dans les facultés catholiques et qu’il est encore en usage dans l’Eglise. Les annulations de mariage se comptent, chaque année, en centaines de milliers (la plus grande proportion venant des Etats-Unis). Et ces annulations requièrent un procès ecclésiastique.
Les droits protestants sont beaucoup moins connus (même s’il existe des ouvrages dessus). Ils sont beaucoup moins formalisés que le droit canon. Il peut être aussi difficile de repérer leur mise en application, et la grande variété des Eglises protestantes rend cette tâche encore plus difficile.
Une série d’événements devrait pourtant permettre une analyse comparative fort intéressante, sur la manière dont des Eglises au fonctionnement “démocratique” arrivent encore à proposer des normes contraignantes. Je m’explique. Parmi les Eglises américaines protestantes dites “mainstream” se trouvent un groupe de trois Eglises (l’UMC ou Eglise méthodiste unie, la PCUSA ou Eglise presbytérienne et l’ECUSA ou église épiscopalienne américaine) aux fonctionnements assez semblables. Ce sont des Eglises à hiérarchie (avec des évêques ou des responsables locaux). Ce sont des Eglises qui fonctionnent un peu comme des associations “loi 1901” en France, avec des assemblées générales où les règlements intérieurs sont soumis au vote.
Depuis la fin des années 1980, ces Eglises sont toutes confrontées, en leur sein, à la visibilité et l’organisation de ministres du culte homosexuels mais aussi au développement de la célébration publique de mariages religieux pour les couples du même sexe. Dans ce cadre, le choix du procès a été fait par plusieurs pasteurs ou évêques. Leur but était de faire “dire le droit” et d’exposer sur la place publique des formes de discrimination ou (pour l’accusation) de non respect des traditions religieuses. En 1987 une pasteure méthodiste lesbienne, Rose Mary Denman a été jugée dans le Maine. Vers 1995 c’est un évêque épiscopalien, Walter Righter, qui est jugé pour avoir ordonné diacre un prêtre gay. En 1998 et 2000, deux pasteurs méthodistes (hétérosexuels) sont jugés pour avoir marié des couples du même sexe. Depuis près de 10 ans, des procès ecclésiastiques presbytériens se succèdent sur les mêmes questions. Plus récemment cette année, toujours chez les méthodistes, ce sont deux pasteures lesbiennes, Karen Dammann (en mars) et Beth Stroud (en décembre) qui sont jugée par le jury d’un tribunal ecclésiastique méthodiste.
La Rev. Dammann a été acquittée alors que la Rev. Stroud vient d’être défroquée.
Ces procès religieux sont tous fort intéressants. Ils se passent dans des bâtiments d’église transformés en courts de justice (reigieuse), le jury est composé de pairs (pasteurs ou évêques), le juge est souvent un dignitaire religieux (qui connaît parfois des rudiments de droit séculier ou qui a été juge “dans le civil” avant d’être ordonné). Des avocats séculiers sont parfois présents (parfois non, mais toute la stratégie judiciaire est pilotée par des avocats professionnels). Les minutes des procès révèlent une partie du déroulement du procès, où des arguments religieux (sur l’inspiration divine ou le rôle de la prière comme moyen de discernement) rencontrent des arguments juridiques (l’alinéa 2 du paragraphe 66 n’a pas été respecté). En bref, on voit assez précisément comment le droit religieux s’accommode de l’hégémonie du droit séculier tout en tentant de garder une spécificité).
Mais ces procès servent aussi à plusieurs choses. Tout d’abord ils visent à consolider le droit religieux. Le consolider “en interne” en demandant qu’un jury se prononce sur une question de droit. Le consolider “en externe” en testant sa solidité face aux épreuves. Ensuite ils visent à mobiliser un groupe de militants et à diffuser largement l’image d’une lutte. Ces procès – relativement rares – sont relatés dans la presse écrite et à la télévision (sur COURT TV par exemple), ils sont souvent publics (et les journalistes sont présents au procès). Au contraire d’un processus “législatif”, routinisé, les procès mettent de plus en jeu le statut social d’une personne : les pasteurs risquent de perdre leur église et leur capacité à effectuer leurs tâches professionnelles (ils perdent leurs credentials, la license délivrée par leur Eglise).
Le sociologue et l’historienne ne sont pas oubliés. Ces procès constituent des sources d’archives formidables qui sont parfois totalement ouvertes à la recherche (archives du procès Dell, archives contenant les minutes du procès Creech).
Quelques références
Procès Dammann (site de l’Eglise méthodiste)
Procès Dammann (New York Times, 1)
et Procès Dammann (New York Times, 2)
Procès Stroud (site de l’Eglise méthodiste)
BethStroud.info, sur le site internet consacré à la Rev. Irene Elizabeth (Beth) Stroud