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Aristocratisation et féminisation

Billet publié le 15/01/2005

La grande enquête sur la sexualité des Français, effectuée au début des années 1990 (l’enquête dite “ACSF“, voir la bibliographie) ne s’était pas intéressée aux “jouets pour adultes”. Une question cependant portait sur la fréquence de l’usage (ou non) d’un “objet” (indeterminé) pour aboutir à l’orgasme. Seul un petit nombre de personnes répondaient utiliser un tel objet dans un tel but. Il est possible que ces chiffres aient, depuis, évolué, s’il faut en croire certains éléments.
Janine Mossuz-Lavau, dans un article consacré aux évolutions des lois liées à la sexualité, écrivait:

On a aussi beaucoup parlé, dans la période récente, des sex-toys, désormais en vente dans des boutiques de vêtements pour femmes, la précurseure en la matière étant Sonia Rykiel qui propose, dans l’atmosphère feutrée d’un sous-sol d’un de ses magasins, des vibromasseurs et autres godemichés et qui s’en est trouvée très vite, vu les échos médiatiques suscités par cette initiative, en rupture de stock. On a entendu des commentaires, parfois désobligeants, sur le “retour” à des pratiques solitaires, ne tenant pas compte de ce que des couples viennent aussi s’approvisionner dans ce type d’endroits. Et ne tenant pas compte non plus de ce qu’il est beaucoup plus facile pour une femme qui désire faire ce genre d’achat d’entrer dans une boutique de vêtements féminins que d’aller dans un sex-shop glauque où elle risque souvent d’être importunée. Cette mise en vente de sex-toys, même s’ils sont plus chers que dans les sex-shops et correspondent aussi à une opération de marketing, va également dans le sens d’une reconnaissance et d’une légitimation du désir et du plaisirs féminins, le succès rencontré par cette initiative en témoigne.
(source : Mossuz-Lavau, Janine, “La loi et les moeurs”, Cosmopolitiques, 4, 2003, pp.145-156)

Le passage du “sex-shop glauque” à “l’atmosphère feutrée” décrit à la fois un mouvement de classe (une aristocratisation du jouet) et un mouvement de genre (une féminisation du même jouet). Ces mouvements — et cette multiplication des lieux de vente — se sont accompagnés aussi d’une multiplication des producteurs de sex-toys. publicité pour un godemiché design Les designers semblent avoir quitté, récemment, le domaine des brosses à dents et des presse-citrons pour celui des jouets pour adultes. La designeuse Marine Peyre de “Cooked in Marseille” propose ainsi à la vente Enjoy, un godemiché design “en silicone phosphorescent” dont le “look coloré” en fait le “toy […] le plus tendance du moment”.
Dans un mémoire de DEA de l’université Paris 7 soutenu en septembre dernier, Marie Soutlages étudie l’usage des godemichés par des lesbiennes identitaires (recrutées principalement à partir de réseaux militants ou par l’intermédiaire d’associations et de librairies). La diffusion des gadgets les a rendu accessibles (notamment à partir de la deuxième partie des années 1990). Mais l’acte d’achat semble poser quelques problèmes : certaines acceptent difficilement de lier plaisir sexuel et acte commercial, d’autres font part d’un sentiment de honte.

Le sex-shop est d’ailleurs vécu par les interviewées comme une des difficultés majeures à surmonter pour utiliser un godemiché. Claude et Julie nous expliquent les atermoiements qu’elles ont connus avant de pouvoir entrer dans un sex-shop pour essayer leur premier godemiché. L’entrée dans le sex-shop parait encore plus insurmontable par les interviewées qui n’ont jamais utilisé de godemiché.
[…]
« Le truc c’est quand que Val l’a acheté euh, me l’a offert pour mon anniversaire ce truc… Elle est allée dans un sex-shop Gare de Lyon je crois. Je lui ai dit : “Moi j’y vais pas t’y vas toute seule.” [Sourire]. Elle me dit : “Bon d’accord.” Ben oui parce qu’elle entre dans le sex-shop avec sa gueule qui va bien parce que les cheveux jusque là, blonde, gaulée, je te raconte pas, donc euh. Tu vois les mecs alors : “Oui oui oui alors euh, vous voulez ça, quelle couleur euh.” C’était très bien, c’était mieux que j’y aille pas parce que, elle était moins cataloguée sans moi… Voilà. Enfin peut-être. Ouais j’pense quand même. J’pense. Ils ont dû se dire euh : “C’est une petite nana qui veut se faire plaisir [rire]. Rien de bien méchant” [rire]. »
Source: Marie Soutlages, Liberté, Égalité, Godemiché, mémoire de DEA, Université Paris 7, Septembre 2004 [Sous la direction de Sonia DAYAN-HERZBRUN]

Il resterait à avoir quelques élements de contextualisation (historique et sociologique) sur les “sex-shops” en eux-mêmes : leur création (les années 1950 ?), leur localisation, leur contrôle par le ministère de l’Intérieur… et finalement, plus récemment, leur lente diminution. Ou plutôt la stabilisation de leur nombre :
Evolution du nombre de commerces à Paris entre 2002 et 2003, source Données sur le commerce parisien, APUR, 2003, publié dans le magazine municipal 'A Paris', novembre 2004, page 7
Source : Données sur le commerce parisien recueillies par l’A.P.U.R., A Paris (pdf), journal municipal parisien (ISSN 1296-2902), novembre 2004, page 7. [mise à jour du 02/12/2005 : entre 2003 et 2005, le nombre de sex shops parisiens a baissé de 7%]

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