Et les Anglais-e-s dans tout ça ?
[Bienvenu aux visiteurs d’Arte – Tracks sur le sexe à Londres]
Au cours de mes explorations sociologiques et historiques des sex shops, je me suis surtout concentré sur les États-Unis et la France. Or il existe en Angleterre, peut-être sous des traits plus accentués, un ensemble de sex shops aux caractéristiques intéressantes.
Sh! est un sex shop lesbien-féministe qui a ouvert à Londres au début des années 1990. Une étude (courte), par deux professeures de management, donne un portrait de ce magasin.
Malina (Danusia) et Schmidt (Ruth A.), It’s business doing pleasure with you: Sh! A women’s sex shop case, Marketing Intelligence & Planning, 1997, 15(7), 352-360 [ doi : 10 . 1108 / 02634509710367926 ]
Sh! a été créé en 1992 à destination spécifique des femmes déçues par les sex shops du quartier londonien de Soho, en s’inspirant de magasins américains comme Good Vibrations : pour les créatrices de ces officines, il s’agissait d’étendre en partie le féminisme au monde commercial, et au commerce sexuel en particulier. Avec une restriction, de taille: si la pornographie “matérielle” est présente au travers des “marital aids” ou “sex toys”, la pornographie visuelle (cassettes, DVD) est absente. Tout un ensemble de cadres, matériels et discursifs, tentent de séparer “Sh!” du “sex shop” : un procès est gagné contre les autorités municipales qui demandaient le paiement d’une licence (nécessaire pour ouvrir un sex shop) et le magasin devient un “women’s erotic emporium“; à l’opposé des sex shops “traditionnels” l’intérieur du magasin est peint en rose, on y entend de la musique, les objets sont accessibles, manipulables, le “staff” vient proposer ses services et le tout est vivement éclairé par de larges vitres.
The design of the store recognizes that for most women sex toy shopping will be inherently embarrassing. The way products are displayed could (potentially) heighten customer discomfort. Whereas in traditional sex shops stock is often on view behind glass, or counters, product in Sh! are unpackaged, batteried and ready to handle and compare before purchase.
Malina and Schmidt, art. cit. p.356
Mais entre le sex shop “traditionnel” et Sh! existe une sorte de particularité anglaise, Ann Summers. Cette chaîne de magasins a été fondée au début des années 1970 par une Anglaise qui s’était explicitement inspirée des magasins allemands ouverts par Beate Uhse. Après un rachat par des investisseurs britanniques qui ont fait croître la marque, en développant simultanément le nombre de magasins et le système de vente par correspondance, Ann Summers a introduit, en 1981, la pratique des “réunions Tupperware”, où le Tupperware était remplacé par de la lingerie “fine” et des jouets sexuels.
Ces “parties” ont été étudiées en détail par la sociologue Merl Storr, dans Latex and Lingerie: Shopping for Pleasure at Ann Summers Parties (Oxford, Berg, 2003).
Cet ouvrage replace fort bien ce type de réunions commerciales/privées dans les divisions de classe et de genre de l’Angleterre contemporaine (ce sont des pratiques de classes populaires, et les hommes sont fortement désincités à y participer). Il décrit avec minutie comment ces parties sont loin de remettre en cause la domination masculine — Storr fait explicitement référence à Bourdieu — et définissent la sexualité “normale” comme devant s’exercer et s’inscrire au sein d’un couple hétérosexuel. La proximité de Storr avec son terrain (deux de ses soeurs ont été organisatrices de telles réunions) en fait parfois un ouvrage de socio-analyse.
Sh! s’est donc développé explicitement contre les sex shops traditionnels et contre Ann Summers (trop “ringard”, trop déclassé, trop “popu”). Plus récemment encore, le champ s’est diversifié. Des magasins comme “Coco de Mer” se rapprochent de la bijouterie fétichiste; et des “stands” comme “Tabooboo” (site très amusant) inscrivent le sex shops au coeur des grands magasins bourgeois de Londres (Selfridges, mais aussi dans la chaîne Urban Outfitters), à côté des stands Levi’s ou Calvin Klein.
Là aussi, le but visé est de s’éloigner de la pornographie :
Tabooboo, which sells products from vibrators to lubricants, challenges people to think differently about the category. ‘People are put off sex toys because they associate them with porn,’ says [the creator of Tabooboo]. ‘But if you take away the porn, there is no problem. We focus on participation and our products are accessories – just like massage oil or condoms – that enable people to have better sex.’
source : BrandRepublic
C’est en séparant pornographie et pornographie que ces magasins tentent de s’imposer : aucun d’eux ne repose sur la vente de pornographie visuelle, tous au contraire ont à leur centre le godemiché.
Liens vers mes autres billets sur les sex-shops.
[yarpp]
2 commentaires
Un commentaire par François (08/06/2005 à 10:42)
Légende pour la seconde photo : magasin Ann Summers, Soho, London (bus 8 ou 12 direction Oxford Circus je crois).
Au bout de la rue de droite, excellente librairie design.
Un commentaire par gardeur (08/05/2006 à 14:27)
bonjour,
Peut on trouver la magazine scarlet en france et en français si oui ou j’habite sur la côte à juan les pins
merci