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Les billets de September, 2005 (ordre chronologique)

Homosexualité et prostitution masculines

J’accueille aujourd’hui Régis Revenin, actuellement doctorant en Histoire (à Paris 7) et auteur d’Homosexualité et prostitution masculines à Paris (1870-1918) (Paris, L’Harmattan, 2005) qui sort ces jours-ci. Avant de lui laisser la parole, je signale qu’une dizaine étudiants (dont R. Revenin) mettent en place, à la rentrée, un atelier en études lesbiennes et gays (voir ici pour plus d’informations).

Régis Revenin, Homosexualite et prostitutionContrairement à ce que d’aucun-e-s pourraient croire, la Belle Epoque est une période tout à fait méconnue de l’histoire des homosexualités (féminines et masculines) en France, excepté quelques grandes figures lesbiennes ou gays – littéraires le plus souvent (Colette, Lorrain, Proust…). C’est pourtant à la fin du XIXe siècle qu’apparaît à Paris (mais aussi dans de nombreuses grandes villes occidentales, comme l’illustrent très bien les recherches des historiens George Chauncey pour New York et Matt Cook pour Londres notamment) une subculture gay, très visible, avec ses lieux de sociabilité propres dont une grande partie est spécifiquement homosexuelle, ses lieux de rencontre en plein air, ses codes sociaux, ses mœurs sexuelles, ses moyens de résistance à l’ordre social et sexuel…
L’émergence d’un “monde” – à défaut de pouvoir réellement parler de “communauté” – homosexuel parisien (avec ses bains, bals, bars, “bordels”, cafés et restaurants, sa “drague” en plein air et sa prostitution masculine) coïncide avec le développement (depuis le Second Empire et les écrits “scientifiques” d’Ambroise Tardieu) de discours médicaux fustigeant l’homosexualité en tant que perversion sexuelle, au motif de la soustraire à la répression policière et judiciaire, lesquels écrits peuvent être interprétés comme la ré-appropriation pseudo-laïque et pseudo-scientifique de la “question homosexuelle”, autrefois monopolisée par les discours religieux.

Aussi j’ai tenté de démontrer, à partir de rapports de police jusqu’alors inédits, d’articles de presse, d’ouvrages de médecine, de récits autobiographiques et d’écrits littéraires, combien la vie des gays parisiens n’était pas, à la Belle Epoque du moins, systématiquement marquée du sceau de la répression, en mettant en question les mythes qui entourent de manière récurrente l’historiographie gay en France (et plus globalement dans l’ensemble des pays occidentaux) : ainsi, l’homosexualité n’était pas nécessairement cloisonnée dans les “classes” privilégiées de la société française (bien au contraire même…), lesquelles n’étaient certainement pas plus tolérantes que les “classes” populaires ; les gays parisiens n’ont pas tous vécu cachés, honteux, invisibles, isolés et malheureux jusqu’aux années dites de “Libération sexuelle” (après 1968) ; le “monde gay” (comme l’actuel quartier du Marais à Paris, et les “quartiers gays” parisiens qui l’ont précédé : Saint-Germain-des-Prés, puis la rue Sainte-Anne) n’est pas né ex nihilo en même temps qu’apparaissaient le-s mouvement-s homosexuel-s après la Seconde Guerre mondiale (j’ai ainsi recensé quelque cent dix “établissements gays” avant la Première Guerre mondiale) ; enfin, les “quartiers gays” parisiens avant 1918 n’étaient pas principalement situés à Montmartre ou à Pigalle… mais très nettement dans les 2e et 9e arrondissements de la Capitale.

Aussi, si un véritable flot discursif (journalistes, juges, médecins, moralistes, policiers, romanciers) s’abat sur les gays à la Belle Epoque, si la police des mœurs parisienne surveille assidûment les “pédérastes”, les arrestations policières et les condamnations judiciaires, pour autant qu’elles existent, restent tout à fait rarissimes, et les rafles anti-homosexuelles semblent n’être qu’un mythe, du moins entre les années 1880 et la fin de la Première Guerre mondiale (cf., pour les années 1920 et 1930, les travaux de l’historienne Florence Tamagne). Je fais même l’hypothèse que le “monde gay” parisien était sans doute plus développé en 1900 qu’il ne l’était dans les années 1950 et 1960, et que les surveillances policières et la répression judiciaire étaient sans conteste nettement plus fortes dans ces années-là qu’elles ne l’étaient à la Belle Epoque… Ainsi les lectrices et lecteurs sont invité-e-s à se débarrasser de leurs préjugés sur cette période en particulier, et sur les périodes passées de manière plus générale, en oubliant quelque peu le récit militant (qui peut constituer certes une source, un témoignage, mais rien de plus) et la “victimologie” encore trop présente dans l’historiographie gay.
Régis Revenin — auteur de Homosexualité et prostitution masculines à Paris (1870-1918) (Paris, L’Harmattan, 2005) [le lien vous dirigera vers amazon.fr]
Il est possible d’acheter Homosexualité et prostitution masculines à Paris (1870-1918) sur le site de l’Harmattan, en papier ou en PDF.

Neutralité éthique ?

Pour commencer, “Diane de Nada” raconte sa découverte des vibromasseurs.

Sans transition :
Les “bonnes moeurs” et leur défense constituaient un pilier moral de l’ancien code pénal. La réforme de ce code, effective dès 1994, a mené à l’abandon de cette notion : l’Etat désormais fait preuve d’une sorte de neutralité éthique. Les tribunaux avaient de toute manière, depuis les années 1970, de plus en plus de mal à utiliser l’argument des bonnes moeurs ou de leur outrage pour faire respecter un ordre moral : les juristes parlaient alors de notion “en crise”.
Certains ont pu voir dans certaines décisions de justice la consommation définitive de “l’abandon de la notion juridique de ‘bonnes moeurs’ comme composante de l’ordre public”. Une de ces décisions concerne — comme il est d’usage dans ce blog — les sex-shops. En septembre 1995, le Conseil d’Etat (la haute cour administrative) a rendu un arrêt précisant qu’un chômeur reprenant ou créant un commerce de sex-shop est en droit de réclamer “les aides publiques prévues par les articles L. 351-24 et R. 351-42 du Code du travail”. La pornographie est peut-être “un interdit social”, mais l’Etat n’en a cure. [Voir pour plus de précisions : Claude Champaud, “Sex and lex”, La vie judiciaire, n°2588, 19 novembre 1995, p.2]
On continue cependant à trouver usage des bonnes moeurs dans une série de décisions de justice où elles vont servir de guide. Mais on a quitté le domaine pénal ou administratif pour celui des disputes entre citoyens : ce sont les individus eux-mêmes, et non plus directement l’Etat, qui vont demander un respect des bonnes moeurs. Nombreux sont en effet les règlements de copropriété à réserver explicitement les logements et les commerces de l’immeuble à de “bons pères de famille” ou à des “personnes honorables et de très bonnes moeurs”, à des “bourgeois” et surtout pas à des “ouvriers”. Toutes ces expressions sont aujourd’hui entendues par les juges comme excluant expicitement les sex-shops de ces immeubles, ces commerces étant “fréquentés par une clientèle qui ne peut être classée comme étant constituée de bons pères de famille” (voir le JurisClasseur Copropriété fascicule 65-20, octobre 2000).
Je ne peux résister au plaisir de la citation. Prenons la Cour d’appel de Paris, 23e chambre, section A, le 8 septembre 1999, sous la présidence de Monsieur Bernheim. S’opposaient devant Bernheim deux parties, un sex-shop (l’appelante) et un syndicat de copropriétaire. Le règlement de copropriétait prévoyait :

Les boutiques ne pourront être louées que pour l’exercice de commerce de luxe ou de commerces d’alimentation ou de dégustation de boissons mais à la condition que ces commerces ne s’adressent pas à une clientèle populaire ou ouvrière
Les occupants d’une partie quelconque de l’immeuble ne devront faire ou laisser faire aucun bruit, aucun travail qui soit de nature à gêner les voisins par l’odeur, le bruit ou les vibrations et ils devront se conformer pour tout ce qui n’est pas prévu ici aux usages des maisons bien tenues…

Après examen du règlement, la cour conclut que :

l’activité de sex shop exercée dans l’immeuble est, sans qu’il soit nécessaire de relever des “nuisances particulières” directement contraire à cette clause visant la bonne tenue de la maison

On imagine mal — mais là encore je n’en suis pas certain, je ne suis pas juriste — un magasin Tati obligé de quitter un emplacement commercial parce que trop “ouvrier”. La pornographie semble donc jouer un rôle un peu spécifique, et les bonnes moeurs, même de manière fantomatique, continuent de hanter le droit.

PS : il serait très intéressant de voir si, avant 1981, des personnes suspectées d’homosexualité ont pu être forcées à quitter leur location pour cause de non respect des “bonnes moeurs”…

Justice Kennedy et les lois étrangères

Cette semaine dans le New Yorker : SWING SHIFT, by Jeffrey Tobin, How Anthony Kennedy’s passion for foreign law could change the Supreme Court.

Kennedy has a passion for foreign cultures and ideas, and, as a Justice, he has turned it into a principle of jurisprudence. Over the past two years, he has become a leading proponent of one of the most cosmopolitan, and controversial, trends in constitutional law: using foreign and international law as an aid to interpreting the United States Constitution.
(…)
in 2003, Kennedy drew on several foreign sources in the context of a majority opinion in one of the Court’s most important cases in recent years. In Lawrence v. Texas, the Court ruled, six to three, that states could not criminalize sodomy between consenting adult homosexuals, thus overturning a seventeen-year-old precedent on the subject, Bowers v. Hardwick.

Mariage en Californie

Après le Sénat de l’Etat de Californie, c’est l’Assemblée (la chambre basse) qui vient de voter l’ouverture du mariage aux couples du même sexe (dans une loi qui a pour titre le “Religious Freedom and Civil Marriage Protection Act” (on dirait le titre d’une loi visant à interdire le mariage gay). Si le gouverneur, Arnold Schwarzenegger, signe, alors la Californie suivra le Massachusetts.
Comme le souligne la presse, du New York Times au Washington Post, c’est la première fois aux Etats-Unis qu’un parlement, sans y être obligé par une cour de justice, étend de lui-même la définition du mariage.

Fashion and Passion…

Un petit nombre d’articles et de livres se sont intéressés, ces dernières années, à l’émergence de magasins, virtuels (en ligne) ou en dur, cherchant à développer la vente de gadgets sexuels (godemichés, vibromasseurs…) à une clientèle féminine [une biblio indicative est en fin du billet]. Le dernier en date sera publié dans la revue de sciences sociales Sexualities, en octobre 2005 : Attwood, Feona, “Fashion and Passion: Marketing Sex to Women”, Sexualities, 2005, 8(4), 392-406 DOI: 10.1177/1363460705056617

Dans cet article, Feona Attwood, maîtresse de conférences en Media Studies dans une université britannique, explore les type de discours associés à ces magasins. C’est la mise en place de “nouvelles sexualités féminines” qu’elle remarque.

late 20th-century discourses which foregrounded female pleasure have crystallized in a new form of sexual address to women. Women’s consumption of sexual commodities is regarded as a huge growth area, and erotic products – most notably lingerie and sex toys – are increasingly visible

Les magasins sur internet sont étudiés par l’auteure (Myla, Ann Summers, Tabooboo, Beecourse et ‘Babes n Horny’) non pas de manière ethnographique, en cherchant à comprendre comment les discours qu’elle cherche à comprendre sont construits, mais de manière “herméneutique”, en cherchant à comprendre ce que les productions discursives révèlent. Les capacités interprétatives de Fiona Attwood semblent fort développées et ses conclusions semblent assez justes, mais je reste sur ma faim pour ce qui concerne les méthodes utilisées et, plus généralement, les procédures d’objectification associées à sa démarche.
Je ne prendrai qu’un petit exemple :

One indication of the ways in which women are increasingly addressed
as sexual consumers can be glimpsed in the changing significance of the rabbit. Traditionally a symbol of sexual appetite – albeit in relation to reproduction – the rabbit became a fitting sign of the sexual revolution in the form of the Playboy ‘bunny girl’ where it signified sexual pleasure, recreation and consumerism for men. More recently, the Rampant Rabbit vibrator has made women’s pleasure more visible within popular culture. This appropriation of commodified sexual pleasure for women is particularly apparent in a scene in Sex and the City […]

Il est difficile de contredire ces énoncés, mais il me semble aussi difficile de qualifier la présence d’un godemichet dans une série télévisée d’événement aussi crucial pour la culture populaire [Alain Finkielkraut ferait remarquer qu’il y a une différence entre culture de masse et culture populaire].
L’article d’Attwood reste cependant bien intéressant, pour ce qu’il arrive à décrire de la manière dont souhaite se présenter la sexualité de certaines femmes de classes moyennes et supérieures :

Sexual pleasure is recontextualized in relation to the pleasures of fashion, design, pampering and self-help.

C’est “une féminité construite autour d’un autoérotisme assumé (? self-possessed ?)” qui est affirmée :

the conflation of sex, fashion and beauty through a linking of sexual pleasure with women’s self-fashioning and appearance may make it easier to address women as sexual agents. It allows for the production of codes that are able to signify a safe and confident form of sexuality and to generate a range of practices that make possible the production of a femininity constructed around a self-possessed auto-eroticism.

Attwood souligne donc le rapprochement constant des vibromasseurs avec les jouets et surtout les vêtements, et l’éviction des formes “médiatiques” de pornographie. [T]he marketing of sex products for women maintains such a strong focus on toys and clothing : à la fois une “esthétisation” de la sexualité et une “féminisation” — par différenciation avec une pornographie visuelle (revues, cassettes) — perçue comme typiquement masculine.

Sex for women is sold as a set of fashion and design items, rather than as a set of media representations. Clearly, pornography remains a problem in addressing women as sexual consumers.

Mon principal regret, à la lecture de cet ensemble d’articles, concerne le désintérêt dont “bénéficient” les sex shops traditionnels, masculins : ils constituent assurément un terrain bien plus difficile d’accès, peu connu, et qui, dans une perspective d’études féministes ou de genre, forme pourtant la face sombre des sex shops “féminins”.

Bibliographie :
Debra Curtis “Commodities and Sexual Subjectivities: A Look at Capitalism and Its Desires”, Cultural Anthropology, 2004, 19(1):95-121

Meika Loe « Feminism for sale : case study of a pro-sex feminist business », Gender and Society, 1999, 13(6):705-732

Martha McCaughey and Christina French, 2001, “Women’s Sex-Toy Parties: Technology, Orgasm, and Commodification”, Sexuality & Culture, 5(3), 77-96

Malina (Danusia) et Schmidt (Ruth A.), It’s business doing pleasure with you: Sh! A women’s sex shop case, Marketing Intelligence & Planning, 1997, 15(7), 352-360

Merl Storr, Latex and Lingerie: Shopping for Pleasure at Ann Summers Parties (Oxford, Berg, 2003).

Attwood, Feona, “Fashion and Passion: Marketing Sex to Women”, Sexualities, 2005, 8(4), 392-406 DOI: 10.1177/1363460705056617

11 Septembre

in memoriamVue de Wooster St. depuis l’appartement 6K, du 3, Washington Sq. Village où j’ai passé quelques années passionnantes. La photo a été prise quelques mois avant le 11 septembre.
(L’image au second plan, sur Houston St., était une publicité pour Altoids, elle aussi disparue aujourd’hui)

Sociologie des prénoms

 

 

Ce billet a été écrit en 2005 : depuis, j’ai publié un livre, Sociologie des prénoms (2011, La Découverte).

 

 

Depuis les travaux fondateurs de Philippe Besnard en France (et Stanley Lieberson aux Etats-Unis), les sociologues se sont rendus compte du formidable matériaux que constituent les prénoms. Un bien symbolique gratuit dont la consommation est obligatoire offre un objet incomparable pour repérer le goût de classe sous le goût tout court, pour étudier la “mode” sans parler, comme on le fait trop souvent, des vêtements. [voir Besnard, Philippe, “Pour une étude empirique du phénomène de mode dans la consommation des biens symboliques : le cas des prénoms”, Archives européennes de sociologie, 1979, vol.20 p. 343-351]
L’ouvrage de Besnard, constamment remis à jour depuis 1986, La Cote des prénoms est maintenant repris en main par sa fille Joséphine Besnard (Philippe Besnard est décédé en 2003. LE co-auteur, Guy Desplanques, est toujours dans l’aventure). C’est un ouvrage mixte, où le coeur est constituée de la “cote” des prénoms proprement dite, et où la dose de sociologie est présente en début et en fin d’ouvrage. [Je n’ai pas lu les dernières éditions, je me réfère aux éditions d’avant la mort de Besnard père]
Dans un article écrit avec l’historien Cyril Grange [Besnard, Philippe, et Cyril Grange “Prénoms de l’élite et du vulgum” L’Année sociologique, 1993, vol. 43, p. 269-294], Besnard étudie les relations qu’entretiennent les prénoms de l’élite née (celle du Bottin Mondain) avec le reste de la société française. On y voit à la fois une accélération de la diffusion des prénoms de l’élite [les prénoms qui se diffusent se diffusent beaucoup plus vite maintenant qu’avant], mais aussi une segmentation plus importante des goûts [les non-élites développent des goûts indépendants et ne peuvent plus être dites “à la traine”].

J’ai repensé à tout cela en préparant un cours de “L1” (première année d’université). Mais aussi en conseillant à une étudiante qui souhaitait faire son mémoire de licence sur la “perte” de la culture d’origine chez les enfants d’immigrés de travailler plutôt sur les petits-enfants et le choix des prénoms — réalisés par des français nés de parents originaires d’Afrique du Nord. Quand, aujourd’hui, Rachid et Karima, pour prendre un exemple possible, choisissent le prénom de leur enfant, que choisissent-il ? En la faisant réfléchir sur les enfants de ses amies, l’étudiante a produit une liste à laquelle je ne m’attendais pas du tout [un signe que je n’y connais pas grand-chose] : le choix se porte sur Shain, Chinese, Ryan et une poignée d’autres que j’ai oubliés. Ces exemples sont anecdotiques, mais il me semble possible de pouvoir accumuler assez facilement un petit corpus comprenant à la fois prénoms-profession-origine sociale des parents et prénoms des [petits-]enfants : un matériaux doté d’une forte objectivité, plus souple d’utilisation que les discours sur le ramadan ou la “perte” des “traditions”.

N’y connaissant pas grand’chose, j’ai demandé à A. B. [je vais lui demander si je peux la citer avant de mettre son nom en entier] si elle connaissait des travaux portant sur le même corpus. N’en connaissant pas, elle propose une petite sociographie “à la hussarde” — qui ne demande qu’à être testée grandeur nature. D’un côté des prénoms de classe populaire mais néo-arabisants : Lyssa, Shahinez… (Shain de mon exemple) seraient l’équivalent, en terme de position sociale, du choix de Jordan, Kevin ou Jennifer. Les références sont peut-être plus moyen-orientales que maghrébines.
Du côté de populations pratiquantes (ou néo-communautaires), on trouvera une marque identitaire jusque dans le choix des prénoms, coraniques ou prophétiques (révélant à la fois une culture religieuse, mais aussi une appropriation autonomisée, individualisée, du message) : Doua (invocation), Fourqane (discernement et titre d’une sourate), Noh pour Noe, adam etc…
L’augmentation du capital culturel, social et économique produit des Yannis ou des Elias, ou encore la réappropriation de références à la culture classique arabe (les savants, personnages historiques…)

La seule recherche sociologique que je connaisse portant sur le prénom comme signe d’intégration ou d’acculturation est de Liliane Kuczynski [« La dictature du nom. Du patronyme au pseudonyme chez les marabouts ouest-africains de Paris », L’Homme 1997, n°141 : 101-117 : “La dictature du nom” disponible en PDF sur le site de persee]
Dans un contexte de diversité culturelle, sociale et “raciale” (au sens où les Nord-Américains utilisent le terme), le choix d’un “prénom noir” est un désavantage, selon l’étude de Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner, deux économistes. [L’étude entière, The Causes and Consequences of Distinctively Black Names est disponible.
Une autre étude, fort étrange, porte sur le choix des prénoms de personnages par une jeune écrivain contemporaine… Le choix du prénom de son fils mériterait d’ailleurs une étude…

Action collective et passager clandestin

Une des principales questions théoriques des recherches sur l’action collective est : mais pourquoi donc y en a-t-il ? Puisque le plus souvent, agir en “passager clandestin” permet de bénéficier des résultats d’une telle action sans avoir à en supporter les coûts. Je passe sur nombre de textes écrits dessus, forts bien résumés dans Sociologie des mouvements sociaux de Erik Neveu (un très très bon manuel de sociologie que je ne pourrais recommander suffisamment).
Une sorte d’expérience inverse a été mise en place par un “planning familial” de Pennsylvanie : Ils proposent à des donateurs de s’engager à donner de l’argent en fonction du nombre d’opposants à l’avortement qui viennent manifester. Plus il y a d’opposant, plus ils reçoivent des dons, et surtout, la mobilisation des “provies” se retourne contre elles et eux :

Here’s how it works: You decide on the amount you would like to pledge for each protester (minimum 10 cents). When protesters show up on our sidewalks, Planned Parenthood Southeastern Pennsylvania will count and record their number each day from October 1 through November 30, 2005. We will place a sign outside the health center that tracks pledges and makes protesters fully aware that their actions are benefiting PPSP. At the end of the two-month campaign, we will send you an update on protest activities and a pledge reminder.

(source : boingboing.net

Religion / sexualité

Dans le New York Times d’aujourd’hui, un article sur la Unity Fellowship Church, une Eglise dédiée aux gay, bisexual and transgender members of minority groups (alors que l’autre association d’églises gaies, la Metropolitan Community Church, est plutôt blanche.

A gay church in a battered neighborhood led by a black minister with AIDS may sound like something dreamed up by a politically correct screenwriter. But Unity is the very real, raucous spiritual home for hundreds who feel cast out by traditional churches, which for many people serve as the heart of the community and an extension of the family.
“There are churches here and there” that welcome gay worshipers, said Gerard Williams, an assistant minister who teaches the Sunday school course on homosexuality and the Bible at Unity, “but ain’t nobody going to love you like we do.”
Unity also finds itself on the front lines of an emerging cultural battle. Across the country, black clergy members are joining forces with conservatives and white evangelicals over their common opposition to gay marriage. Kenyon Farrow, public education coordinator for the New York State Black Gay Network, said that many black ministers were condemning homosexuality with increasing force, and that unspoken “don’t-ask-don’t-tell” pacts in churches were dissolving.

(Il y a peu de travaux sur les Eglises du Unity Fellowship Church Movement, raison de plus pour signaler : Bates (Aryana), “Liberation in Truth: African American Lesbians Reflect on Religion, Spirituality, and Their Church”, dans Thumma et Gray, Gay Religion, Altamira Press, 2004.

Dans le même NYT, un article sur les activités sexuelles des Américains, et notamment sur celles des adolescents :

The new findings on teenagers and oral sex have been of special interest to health experts.
“After years of provocative headlines and breathless stories based mostly on anecdote, we finally have some solid data,” said Sarah Brown, director of the National Campaign to Prevent Teen Pregnancy. “The news is probably not as bad as adults might have been led to believe, but it is likely not as good as most parents might wish.”
The proportion of teenagers who have given or received oral sex was slightly higher than the proportion who have had intercourse, the survey found, with 55 percent of the boys and 54 percent of the girls having given or received oral sex, while 49 percent of the boys and 53 percent of the girls have had intercourse.
“One thing that surprised me is that we expected, based on anecdotal evidence, that girls might be more likely to give oral sex and boys more likely to receive it, but we didn’t find that at all,” said Dr. Jennifer Manlove, of Child Trends, which, like Ms. Brown’s group, released an analysis of the data, “There’s more gender equality than we expected.”
The government data does not provide any indication of the age at which oral sex first occurred, how often it occurred, or how many partners a teen had had. But the survey found that nearly all teenagers who have had sexual intercourse have also had oral sex: 88 percent of the boys and 83 percent of the girls.
A very significant proportion of teens has had experience with oral sex, even if they haven’t had sexual intercourse and may think of themselves as virgins,” Dr. Manlove said. “We’re not sure whether these teens who have not had sexual intercourse are engaging in oral sex because they view it as a way to maintain their technical virginity or even because they regard it as an easy method of birth control.”

Le Pays tarougne

Le Pays tarougne dont Trougnac est la capitale, est à la fois une création historique et une preuve de l’absence de vérification des informations sur internet. Un certain nombre d’annuaires de lien (dmoz, francité, yahoo…) l’avaient indexé comme site d’histoire locale (pensant peut-être que tout ce qui sortait de l’Ecole normale supérieure était valide). Des sites universitaires avaient repris l’étude du patois tarougne…
Saint Patrocle, les poèmes de Timoléon Dépérier, maire de Frêches… sont autant de preuves de la dissémination des informations.
Et pourtant un “écrivain parisien” vient de rencontrer le véritable Pays tarougne… :

Une brutalité inouïe pour répondre à la violence des mots. Pour avoir trempé sa plume dans du vitriol, l’écrivain Pierre Jourde a failli être lynché par des habitants de Lussaud, un hameau posé à 1 000 mètres d’altitude dans le nord du Cantal. La scène se déroule le 31 juillet dernier. L’auteur vient de retourner dans le «pays perdu», ce coin de France qu’il décrit dans un roman ainsi titré (1), où les odeurs d’excréments entourent des personnages rongés par l’alcool, le labeur et le temps.
(source: libération

Sociologie des prénoms, suite

Le New York Times consacre un article aux nouvelles “tendances” des prénoms donnés aux petits New Yorkais :

In the last several years, New York City has had more baby girls named Fatoumata than Lisa, more Aaliyahs than Melissas, more Chayas than Christinas. There have been more baby boys named Moshe than Peter, more Miguels than Jeffreys, more Ahmeds than Stanleys.
In New York Cribs, Jeff and Lisa Give Way to Ahmed and Chaya

Une petite étude du New York Department of Health décrit les Top Ten Most Popular Baby Name par “race”

La folie fiançailles – Elle Magazine

Un article de trois pages sur les fiançailles se trouve aujourd’hui dans le magazine Elle, et c’est bien agréable d’y être rapidement cité. Je ne sais pas si cette citation va faire venir des lectrices sur ce blog, ou des personnes intéressées par la sociologie des fiançailles. Ces dernières pourront toujours lire des articles (principalement sur les bénédictions catholiques de fiançailles).

Un petit dernier pour la route

Il a pu être écrit, dans le cadre d’une étude sur la ville de Flint, siège de General Motors, dans le Michigan, que « The car made Flint, and the car made Flint’s gay community ». L’auteur précise : « Homosexual life shifted gears from private networks to public commercial establishments almost as soon as cars came off the assembly line » (Retzloff 1997 : 229 et 243). Autour de la voiture, les parkings, les toilettes publiques des aires de repos… deviennent autant de lieux possibles d’une consommation sexuelle entre hommes comme le remarque Humphreys au début des années 1970.
Un article du New York Times s’intéresse à ces parkings :

There is a narrow parking lot in Cunningham Park in Queens surrounded by playing fields for adult softball and youth soccer and baseball. At one end of the lot, retirees arrive to practice their golf and mothers in minivans gather to wait for their Little Leaguers.

The other end is popular with another set with a much lower profile in this suburban setting: gay men cruising for sex. Their playing field is the parking lot itself and the goal is a sexual encounter, usually quick and anonymous.

Manhattan may have its gay bars and such traditional pickup spots as the woods of the Ramble in Central Park and the piers of the West Village. But in the less-accepting climate of the suburbs and the boroughs outside Manhattan, gay men often resort to courting one another from the relative safety and privacy of their cars. They troll remote parking lots that become de facto pickup spots well known in gay circles but not to the general public.

L’article s’intéresse au monde du parking, à ses règles implicites :

Each newcomer trolls this thoroughfare with all eyes upon him and surveys the other men in cars, who may either perk up and look interested or shut the window and look away. Then with a dramatic swoop, the driver will back his car next to the car of the man he is pursuing.

En France, l’année, dernière, un article du Monde s’était penché sur un parking, à Marmande dans le Lot, en raison d’un fait divers, l’agression d’un homme par un groupe de jeunes militants hétérosexuels:

L’agression homophobe qui a fait de Gérard M. un symbole
LE MONDE | 09.06.04 | 14h53
Marmande (Lot-et-Garonne) de notre envoyé spécial
Ni héros ni martyr. Ni porte-drapeau de la cause gay ni théoricien de la lutte antidiscriminations. Rien ne prédisposait celui que nous appellerons Gérard M., 39 ans, à devenir un symbole de la lutte des homosexuels pour le droit à la dignité et à la tranquillité. Ce modeste employé d’administration au parler ensoleillé et au profil épicurien vivait très discrètement sa sexualité dans une sous-préfecture du Lot-et-Garonne, plus connue pour ses tomates que pour ses lieux de rendez-vous entre messieurs. Jusqu’à cette soirée du 19 mai où, en garant sa voiture sur le parking de la Filhole, connu de tout Marmandais comme endroit de drague homo, il a trouvé sur sa route cette Volkswagen bleue, tous feux éteints, dont les cinq occupants éméchés ont commencé à l’insulter avec une vigueur peu créative : “Sale pédé ! sale pédé !”

Références : RETZLOFF T. (1997) « Cars and Bars : Assembling Gay Men in Postwar Flint, Michigan ». in BEEMYN B. (ed.) Creating a Place for Ourselves : Lesbian, Gay and Bisexual Communities. New York : Routledge, p. 226-252

Un débat trotsko-lénino-chevènementiste

Contre le grand capital, la mobilisation étudiante de la “Renaissance” communiste… (on lira avec intérêt les commentaires).
Toujours dans le monde étudiant, l’UNEF de Paris 8 a un moignon de blog, qui ne demande qu’à se développer.

La commission générale de terminologie vous parle

Lue récemment dans le Bulletin officiel de l’éducation nationale, une recommandation de la “Commission générale de terminologie et de néologie” :

COMMISSION GÉNÉRALE DE TERMINOLOGIE ET DE NÉOLOGIE
Recommandation sur les équivalents français du mot “gender”
NOR : CTNX0508542X
RLR : 104-7
RECOMMANDATION DU 22-7-2005 JO DU 22-7-2005
MCC
L’utilisation croissante du mot “genre” dans les médias et même les documents administratifs, lorsqu’il est question de l’égalité entre les hommes et les femmes, appelle une mise au point sur le plan terminologique.
On constate en effet, notamment dans les ouvrages et articles de sociologie, un usage abusif du mot “genre”, emprunté à l’anglais “gender”, utilisé notamment en composition dans des expressions telles “gender awareness, gender bias, gender disparities, gender studies…,” toutes notions relatives à l’analyse des comportements sexistes et à la promotion du droit des femmes. Le sens en est très large, et selon l’UNESCO, “se réfère aux différences et aux relations sociales entre les hommes et les femmes” et “comprend toujours la dynamique de l’appartenance ethnique et de la classe sociale”. Il semble délicat de vouloir englober en un seul terme des notions aussi vastes.
En anglais, l’emploi de “gender” dans ces expressions constitue un néologisme et correspond à une extension de sens du mot qui signifie “genre grammatical”. De plus, ce terme est souvent employé pour désigner exclusivement les femmes ou fait référence à une distinction selon le seul sexe biologique.
Or, en français, le mot sexe et ses dérivés sexiste et sexuel s’avèrent parfaitement adaptés dans la plupart des cas pour exprimer la différence entre hommes et femmes, y compris dans sa dimension culturelle, avec les implications économiques, sociales et politiques que cela suppose.
La substitution de “genre” à sexe ne répond donc pas à un besoin linguistique et l’extension de sens du mot “genre” ne se justifie pas en français. Dans cette acception particulière, des expressions utilisant les mots “genre” et a fortiori l’adjectif “genré”, ou encore le terme “sexospécificité”, sont à déconseiller.
Toutefois, pour rendre la construction adjective du mot “gende” (sic), fréquente en anglais, on pourra préférer, suivant le contexte, des locutions telles que hommes et femmes, masculin et féminin ; ainsi on traduira “gender equality” par égalité entre hommes et femmes, ou encore égalité entre les sexes.

La Commission générale de terminologie et de néologie recommande, plutôt que de retenir une formulation unique, souvent peu intelligible, d’apporter des solutions au cas par cas, en privilégiant la clarté et la précision et en faisant appel aux ressources lexicales existantes.

La même commission (3 femmes sur 19 membres, aucune au titre des “personnalités qualifiées”) s’est attaquée au mot “coach” et au préfixe “e-” (comme dans e-mail) et l’on peut trouver ses conclusions dans le même Bulletin officiel.

Divers droite

J’ai retrouvé ce dessin perdu au fond d’un livre. Il m’a fait penser au repositionnement politique du baron de Villiers.
Divers droite, par Leiter

Les bisous

Certaines formes de discrimination sont plus rentables que d’autres. Les organisateurs du salon du commerce homosexuel, Rainbow Attitude en savent quelque chose, qui ont vu leurs affiches, où s’embrassaient deux hommes et deux femmes, mais l’un avec l’autre et l’une avec l’autre, refusées par la régie de publicité du métro de Paris. L’affaire a fait grand bruit médiatique (article dans le quotidien Metro, dans Le Monde, dans de nombreux blogs : deux que je lis fréquemment, cossaw et gratyn et d’autres qui me sont inconnus : alscyl, provisoire, sam qui propose une analyse syllogistique, skinnyboy… et tant d’autres que le GoogleBlogSearch n’a pas trouvé… Je joins ma contribution avec ce reportage de France3 (format .mov Quicktime) sur le sujet.
Pour tous, c’est un scandale, une forme de censure, et il est vrai que si l’on compare les projets d’affiches à celle que Le Printemps avait utilisé dans le métro, où le visage d’une jeune femme en extase recevait une sorte de liquide sirupeux… l’on ne peut que supposer un traitement inégal des affiches en fonction du degré d’hétérosexualité supposé.
publicité pour Le Printemps
source de l’affiche du Printemps

Persee et la revue “Vingtième siècle”

La revue d’histoire Vingtième siècle arrive sur www.persee.fr. On signalera un article de Martine Sevegrand, Limiter les naissances: le cas de conscience des catholiques français (1880-1939).

La Redoute et ses objets intimes

La Redoute et les Trois Suisses proposent depuis très longtemps des vibromasseurs, et depuis moins longtemps des godemichets. Il est souvent remarqué que ces objets sont présentés de manière désexualisée, une jeune femme pressant contre sa joue les vibratiles… (quelques exemples où les lecteurs du catalogue ont remarqué cela : ici, ou encore ou ici encore).
Mais les choses ont changé et certains trouvent même que Ca n’est plus ce que c’était, quand ils remarquent que la jeune femme a disparu et que les objets présentés ne dépareilleraient pas à Pigalle :

(Catalogue La Redoute, hiver 2005-2006, p.438, image empruntée chez stefirst)
Mais les objets présentés (de 1 à 4) se trouvent dans le catalogue depuis 1994 au moins : en 1994, les Trois Suisses, et jusqu’en 2003 La Redoute, présenteront une partie de ces objets sur la joue, en effet, d’une jeune femme.
Les débuts du vibro-masseur avaient, cependant, été un peu différents :
Vibromasseur La Redoute 1967
Cette photo du catalogue de 1967 ne présente pas de jeune femme ni de joue, mais s’adresse à une femme assez agée, pleine de “rides”, de “bourrelets superflus”, de “sciatiques” et de bronchites…
Au milieu des années 1970, les “Trois Suisses” proposent, en accompagnement, sur la même page (la page “hygiène intime”), un livre, Amour sans carré blanc, décrit, je cite, comme “Un livre clair, précis, traitant de l’initiation sexuelle. 150 pages agrémentées de nombreuses illustrations”.
La jeune femme et ses joues n’apparait en fait qu’au début des années 1980… Pourquoi ? mystère !

D’autres billets sur des sujets connexes : “tupperware sex toys parties”, localisation des “sex shops”, histoire administrative du contrôle de ces magasins, jurisprudence récente…