Amma et l’importation du néo-hindouisme
Véronique Altglas est une jeune docteure, actuellement post-doctorante en Grande Bretagne, auteure d’un ouvrage paru aux éditions du CNRS, Le nouvel hindouisme occidental. En voyant ce reportage sur France 3, qui présentait la venue en France d’une gouroute, Amma (et faisait la pub pour un film de Jan Kounen, Darshan)
lien vers le reportage au format Quicktime
j’ai de suite pensé à contacter Véronique afin de lui demander un petit commentaire-analyse. Et elle a été très aimable et gentille de m’envoyer ceci :
Amma fait partie des nombreux gurus indiens qui parcourent la planète pour diffuser leur enseignement. Sa phrase dans le reportage – « tout le monde a besoin de spiritualité » – rappelle la rhétorique de Vivekananda, pionnier dans la diffusion du Védanta en Occident (Chicago, 1893), pour qui le grand rôle de l’Inde était d’offrir au monde sa « spiritualité », cette affirmation identitaire étant l’un des piliers de ses ambitions missionnaires en Occident.
Cette phrase dénote également un autre aspect fondamental de ces mouvements religieux d’origine hindoue qui se diffusent hors de la péninsule indienne, à savoir l’universalisation de l’enseignement proposé. Ainsi, l’hindouisme s’adresse à tous quelque soit la culture, la nationalité ou la religion d’origine, cette « indifférence » vis-à-vis des frontières religieuses et culturelles étant partagée par les disciples et sympathisants occidentaux qui peuvent ainsi interpréter l’enseignement proposé à la lumière de leur propre univers religieux. C’est ce que fait la seconde interviewée qui suggère qu’Amma pourrait être considérée comme une sainte par l’Eglise catholique mais que, surtout, « elle est, c’est tout ». L’ancrage culturel n’est pas important mais, ajoute-t-elle, « elle est l’incarnation de Dieu », télescopant ainsi l’image du Christ messager de Dieu, de l’avatar hindou tel Krishna, du guru et du sauveur christique. C’est précisément cette indifférence aux frontières culturelles et religieuses qui permet les réinterprétations et les appropriations de ces religiosités étrangères que sont les mouvements néo-hindous.
Dans ces transferts et télescopages, il y a des ressources symboliques qui jouent particulièrement bien le rôle de « passeur ». Ici, le véhicule clef est la notion d’amour. On retrouve l’amour universel et inconditionnel dans de nombreux enseignements néo-hindous mais ici, compte tenu de la pratique particulière d’Amma, elle est centrale. Elle satisfait les disciples occidentaux, en quête d’une religion intime où prime l’expérience individuelle qu’exprime souvent tout un champ sémantique relatif au « coeur » et à l’« amour divin ». Le reportage dévoile, tout comme certains entretiens que j’ai pu mener, combien cette notion d’amour résonne avec intensité dans un univers de sens chrétien. Elle permet de voir en Amma une « sainte », une « mère Thérésa hindoue » et de considérer son enseignement original comme une « religion de l’amour ». Mais surtout, et c’est ce point qui m’a particulièrement intéressé dans ce reportage, il me semble que la reconnaissance d’une certaine christianité de l’enseignement d’Amma, via cette notion d’« amour », est au principe des commentaires élogieux des reporters et du présentateur. Elle fonde la légitimité que les journalistes concèdent ici à Amma, dont l’enseignement se rapproche à bien des égards de celui des autres mouvements néo-hindous connus en Occident, souvent associés à un « dévoiement de l’Orient », une falsification éclectique et une « dérive sectaire » d’un enseignement traditionnel et véritable. Faux gurus ou vrais sages de l’Inde ? A mon sens, c’est la construction des frontières entre « secte » et « religion » du sens commun et plus largement la question de la normativité religieuse qui se joue ici*
(signé : Véronique Altglas).
Pour plus d’information sur Véronique Altglas et son livre, Le nouvel hindouisme occidental, vous pouvez consulter son blog, http://altglas.over-blog.com/ et un article dans le Journal du CNRS : 3 Questions à Véronique Altglas.
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10 commentaires
Un commentaire par MatooBlog » Darshan - L'étreinte (11/12/2005 à 23:44)
[…] L’avis des copines : Oli et Baptiste (pas vraiment mais c’est intéressant). […]
Un commentaire par paris8 (27/12/2005 à 13:55)
un nouveau blog d’étudiant de paris 8
http://runtv.mabulle.com
Un commentaire par Jonas (10/03/2006 à 7:56)
Je pense que la différence entre une secte et une religion n’est pas énorme dans le sens ou la religion est juste une secte qui a réeussi à convertir des millions de gens.
Amma se distingue des nombreux gourous qui viennent en occident car il faut le rappeller son action humainitaire est énorme, elle représente la une des 30 plus grandes ONG du monde, c’est aussi cela qui lui vaut les honneurs de l’ONU et d’une partie du monde médiatique.
Un commentaire par Michel (24/04/2006 à 22:50)
Analyse bien intellectuelle et mentale…
L’enseignement d’Amma me semble beaucoup plus dans ses actions (humanitaires et caritatives) que dans ses paroles..
Un commentaire par coulmont (25/04/2006 à 13:12)
Vous dites “Analyse bien intellectuelle et mentale”… ce que je prends (et je suis certain que Véronique aussi) comme un compliment. Difficile d’imaginer une analyse autre !
Un commentaire par lili (09/09/2006 à 9:35)
la difference c’est que le propre d’une secte est de “séduire” alors que libre à vous de vous interressez à un religion en particulier et de laisser tomber par la suite si ça ne vous branche pas . on ne trouve pas forcement le personnel ecclesiastique sympa au premiere abord tandis que ceux de sectes, si
Un commentaire par Baptiste Coulmont » Archives » Journalismes, hindouismes (02/11/2006 à 16:22)
[…] Je suis toujours flatté quand des journalistes s’adressent à moi — vanité… — encore plus quand elles ont lu mon blog, et doublement quand ce sont des travaux d’autres personnes qui ont été remarqués. Ici, en l’occurrence, c’était la réflexion de Véronique Altglas sur Amma qui avait été appréciée. Dans ma réponse (immédiate, “dès réception de ce mail“) j’ai donc redirigé France2 vers la Professeure Altglas (en fournissant adresse, téléphones, mails)… qui n’a pas été contactée, semble-t-il. Pourtant Véronique est la spécialiste du néo-hindouisme occidental. Au lieu de cela, dans le reportage, on a droit à une étrange théorie psychiatrique rapprochant l’embrassade de la communion. […]
Un commentaire par myriam (07/06/2007 à 11:51)
Amma a également reçu un prix nobel de la paix, il me semble que l’on est bien loin d’une secte, aucun don n’est obligatoire et tous les bénéfices sont reversés a des actions caritatives. Dire que ce mouvement est une secte releve d’un manque d’information ou d’ouverture d’esprit…
Un commentaire par Baptiste Coulmont (07/06/2007 à 12:35)
>Myriam : Amma n’a pas obtenu de prix Nobel (ni celui de la paix, ni celui de physique…), vous faites erreur.
Un commentaire par Michel (09/11/2007 à 10:03)
Amma n’a pas reçu le prix Nobel de la Paix. Elle a reçu le prix Gandhi-King, prix décerné pour son action en faveur de la paix et de la non violence. Ce prix avait été décerné auparavant à Nelson Mendela Koffi Anam et Jane Goodall.
Le MA Math (MAM) qu’elle a fondé est une des plus importante ONG en Inde et bénéficie du statut de consultant à l’ONU.