La dissolution du sex-shop
En Italie, les pharmacies vendent des vibromasseurs, pendant qu’en Caroline du Sud, un député républicain tente de les interdire.
L’on trouve peu de sources cohérentes permettant de comprendre l’évolution du nombre ou de la localisation des sex-shops. On ne les trouve pas beaucoup dans les guides touristiques, très peu dans les pages jaunes… Les magazines échangistes sont plus intéressants (ils servent de ressources aux échangistes ayant besoin d’adresses), mais souvent trop éphémères : ils ne vivent que quelques années.
Cette carte de Toulouse (parue en 1977 dans le magazine semi-pornographique Elle et lui) est donc bien rare : elle recense une partie des établissements (sex shops, bars “où les couples peuvent élargir le cercle de leurs connaissances”, etc…)
Depuis 2000, un guide touristique spécifique, le “Guide Musardine“, recense et note plusieurs centaines d’adresses. Les “sex-shops” figurent de manière centrale dans ce livre. Au fil des années, c’est à leur dissolution que le lecteur assiste. Voici quelques extraits, entre 2000 et maintenant.
Musardine 2000 :
Il y a plus d’une centaine de sex-shops à Paris, la petite musardine en a visité un grand nombre, furetant entre les rayons, interrogeant les vendeurs, se délectant au passage de belles images, s’extasiant parfois devant le génie des hommes qui surent créer des objets si compliqués juste pour le plaisir de faire plaisir. Autant le dire — sans haine et sans violence –, une bonne partie de ces boutiques ne valent pas que l’on courre le risque de se salir rien qu’en y pénétrant ou de glisser sur quelque Kleenex oublié à l’entrée d’une cabine.
Musardine 2002 :
Comme nous l’avions prévu l’année dernière, les sex-shops sont de plus en plus menacés par la rénovation des quartiers où ils se sont installés. Pourtant la plupart d’entre eux ont bien résisté aux offensives combinées de la morale et de la promotion immobilière. (…) Avouons-le au risque de sembler bégueule, nous préférons aller dans des magasins plus clean, situés dans des quartiers moins ouvertement consacrés au sexe, quand il s’agit de faire nos emplettes intimes – très intimes !
Musardine 2005 :
En l’espace de quelques mois, l’usage des sextoys, en particulier pour les filles, est devenu un véritable phénomène de mode. Ansi en juillet dernier, nous apprenions que Halle Berry en personne était une cliente régulière de la boutique Pleasure Chest de Los Angeles. (…) Donc, plus d’hésitation, on y va ! Et sans hésiter puisqu’aujourd’hui les godes et les vibros sont en vente aux galeries Lafayette.
Le terme “sex-shop” risque de disparaître bientôt de notre vocabulaire. (…) Nous préférons désormais parler de boutiques sexy! (…) Cette révolution que nous avons longtemps appelée de nos voeux dans ce guide est enfin en cours. Le sex-shop nouveau est arrivé!
On le constate, le Guide musardine du Paris sexy n’est pas qu’une simple collection d’adresses, il tient sur les magasins pornographiques un discours esthétique. Pas un discours moral, ni un discours économique (les tenants de l’ordre moral et les promoteurs immobiliers sont dénigrés en 2002). Mais un discours esthétique : ce qui est mis en valeur c’est la propreté, le bon goût et les décisions d’achat d’actrices américaines. Le Guide musardine laisse donc de côté les sex-shops “traditionnels” en valorisant “ces boutiques charmantes, voire élégantes [qui] sont l’exact opposé du magasin sombre et dégoûtant que nous avons souvent dénoncé dans nos colonnes.”
Pas d’ordre moral, donc, mais un beau goût de classe.
Certes, mais y a-t-il encore des oppositions morales aux sex-shops ? Le cas de la rue Saint-Denis est fort intéressant : les oppositions aux sex-shops se font explicitement sur une base non-morale. J’entends déjà certains écrire en commentaire que ces déclarations ne sont que la surface, et que c’est bien un ordre moral que soutiennent les opposants. Mais il me semble au contraire important de comprendre l’abandon du registre moral, ainsi que ce qui le rendait utilisable auparavant. Car les premières oppositions à l’implantation des sex-shops, au cours des années 1970, se fait bien sur une base morale, explicitement. A cette époque, le registre moral n’était pas seulement un registre permettant une mobilisation, ou une “monté en généralité” des arguments, c’était aussi un registre juridique et politique. Certaines forces cherchaient à représenter l’ordre moral. Et la notion de “bonnes moeurs” était protégée par un article du code pénal. Aujourd’hui, le code pénal a abandonné l’outrage aux bonnes moeurs. Le registre moral ne mène plus nulle part.
Les sociologues avaient cependant construit la notion de “croisade morale” (ou, pour citer Howard S. Becker, d'”entreprise de morale”) qui permet assez bien de rendre compte des mobilisations collectives contre ces magasins. Aurait-on donc affaire à une “croisade morale” sans morale ?
Un élément de réponse se trouverait dans le fait que le passage de la mairie du deuxième arrondissement de Paris de la droite (et la droite dure) à la gauche écologiste en 2001 n’a pas changé grand chose à la volonté du personnel politique élu de limiter l’implantation des sex-shops (et des peep-shows) rue Saint-Denis. Le maire du deuxième arrondissement déclare alors qu’il “n’y a pas de volonté de moraliser le quartier” (dans Le Parisien, 27 mars 2006) en commentant son rôle dans le remplacement de certains magasins par des commerces d’un autre type. C’est au nom de la tranquillité publique que les actions sont menées.
Recherche de la tranquillité et croisade esthétique se conjuguent pour faire disparaître les ambiances glauquissimes des sex-shops…
1 commentaire
Un commentaire par ralphy (22/04/2006 à 18:55)
Les “boutiques sexy” semblent avoir une double concurrence. D’une part, la “dé-moralisation” du sexe permettant aux pharmacies, grands magasins et autres hypermarchés d’intégrer la sexualité dans leurs rayons (outre les préservatifs et lubrifiants, on trouve désormais des sextoys comme on a pu le découvrir au travers des colonnes de ce même blog). D’autre part, les enseignes virtuelles, sur Internet, permettent une spécialisation dans la lingerie sexy en premier lieu, et dans les sex toys, d’autre part. D’autres enseignes du web proposent des services tels que la vidéo sur demande.
Dans un cas comme dans l’autre, le consommateur profite de la discrétion lors de ses achats, que ce soit en banalisant l’acte d’achat, ou en le rendant plus confidentiel.
Mais combien de sex-shops évoluent pour se mettre à la page ? Ne font-ils que disparaître pour laisser la place à d’autres, ou bien ont-ils appris à évoluer avec les moeurs et les modes ?