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Sexe, genre, etc…

Billet publié le 23/04/2006

Certaines distinctions apparaissent naturelles ou essentielles jusqu’au moment où l’on essaie de les préciser. La distinction entre “homme” et “femme” semble a priori évidente, mais il est possible de remarquer assez vite que les bases de la distinction sont assez floue.
Prenons l’exemple de la signalisation des toilettes et autres gender signs (signes et panneaux rassemblés par Eszter Hargittai de Northwestern University.
On sait que la plupart des toilettes demandent une répartition des êtres qui les fréquentent en deux classes. La répartition a une origine technique (le mobilier est adapté à l’appareil urinaire) et pratique (certains usages sociaux du corps). Mais en droit la répartition s’opère selon l’appartenance sexuée des êtres (les plus jeunes peu autonomes étant dispensés).
Les signes les plus courants opèrent une distinction vestimentaire. Le sexe de la personne est désigné par des normes vestimentaires (robes / pantalons) apparemment exclusives l’une de l’autre.
DSC00014
Le caractère conventionnel est évident : les personnes ne basent absolument pas leur comportement suivant le pictogramme. Cinq minutes d’observation attentive révèlent qu’un bon nombre de personnes en pantalon choisissent d’entrer dans des toilettes pour robes.
D’autres signes s’appuient sur une distinction grammaticale (Il/Elle, Lui/Elle, He/She, Him/Her…)

Photo Kosmar

Ici encore c’est à groupe d’appartenance que se réfèrent les affichettes.
D’autres sur des formes habituelles de comportement (certaines personnes urinent debout, d’autres assises) :

Photo Delta Avi Delta


Photo Olijfblad

ou encore :

Photo jakebouma

Et les panneaux indiquent le mobilier le plus probablement disponible à l’intérieur. Mais ce n’est pas en fonction d’un choix personnel que la répartition doit se faire : c’est en fonction de ce que les personnes s’imaginent être le choix de comportement de la grande majorité de ses congénères. Il n’y a pas de sujet citoyen, créateur de ses propres règles ici.
Rares sont les panneaux à s’appuyer sur l’apparence physique de l’appareil urinaire pour en déduire une appartenance sexuée (et donc un WC plutôt qu’un autre) :

Sans doute pour clarifier, c’est le “sexe chromosomique”, le sexe déduit de la composition chromosomique des personnes, qui est choisi comme base de la répartition des individus en deux catégories séparées :

Photo Kosma

Mais le sexe chromosomique est invisible à l’oeil nu, et fait rarement partie des connaissances immédiates (comme le niveau de radioactivité, il n’est visible qu’indirectement, grâce à un appareillage spécifique).
Ce signe, humoristique, qui provient du musée de la science fiction de Seattle, essaie de proposer une répartition universelle :

Photo Liz Henry

Mais ce n’est pas très clair : ce panneau se présente comme une pierre de Rosette, où les hiéroglyphes sont traduits et groupés en deux classes d’équivalence (robe, XX, “female sign” ♀ — Unicode U+2640 –) où sexe (biologique, social, chromosomique, etc…) et genre sont finalement similaires.
Le fait que rares soient les personnes à se tromper de toilettes (qu’elles aient le sentiment de se tromper ou que des observateurs aient ce sentiment) est une belle preuve de la naturalisation des normes sociales, qui apparaissent immédiates et évidentes. Et leur remise en cause nécessite un important travail politique, du type de celui que propose le Sylvia Rivera Law Project, qui parle “the persistent discrimination, harassment, and violence that people who transgress gender norms face in gender segregated bathrooms

Dans le même ordre d’idée : Une histoire des bonshommes de feu rouge

[yarpp]

11 commentaires

Un commentaire par Olenka (24/04/2006 à 10:09)

Très intéressant !

Un commentaire par xavier (25/04/2006 à 11:55)

Voir, en forme de clin d’oeil, la page d’accueil du site du film TransAmerica, à sortir demain, l’histoire d’une transsexuelle qui, au moment de l’opération qui la fera devenir définitivement “femme”, découvre qu’elle a un fils désormais adolescent (avec, dans le rôle principal, Felicity Huffman, la Lynette Scavo de Desperate Housewives):

http://www.transamerica-movie.com/

Un commentaire par kosmar (01/05/2006 à 20:44)

nice roundup. in poland they use circles for female and triangle for male, which really is irritating.

Un commentaire par le blog du cadre (08/06/2006 à 9:18)

la mixité jusqu’où ? un exemple : les toilettes…

Depuis maintenant 3 jours, une partie du bâtiment se retrouve sans toilettes : fuite de conduits d’évacuation ! Beurk !!!!! Un bien pour un mal, la porte de mon bureau jouxte celle des dernières toilettes dames valides. Soit dit en passant, il…

Un commentaire par Une (09/06/2006 à 10:14)

Et souvent, quoique pas toujours, on a les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, et les personnes handicapées d’un troisième…
Que peut-on en conclure sur la question, mais est-ce une question, du genre des personnes handicapées ?

Un commentaire par Une (09/06/2006 à 10:20)

Décidément, ce billet m’inspire..
Mais j’arrête là, promis :
http://multimedia.uqam.ca/sites/imedia/2004/02/26/inf_ms_toilettes.html

Un commentaire par guiguilerennais (09/06/2006 à 15:23)

Pour Judith Butler, dans son livre Trouble dans le genre, traduit l’année dernière en français, le simple fait de vouloir binariser l’humanité par les mots “homme/femme” “homo/hétéro” “masculin/féminin” ne fait qu’asservir l’économie d’une politique régie par une obligation : celle d’être hétérosexuel-le.
Vouloir scinder l’humanité en deux permet de contrôler les gens en favorisant une érotisation hétérocentriste des corps et des désirs.
Cette signalétique, qui est présente dans la plupart des cultures, résume le concept de la “matrice hétérosexuelle” selon Butler, c’est-à-dire une espèce de grille d’intelligibilité qui nous dit à quels critères doit correspondre une personne pour être considérée comme telle, et qui ne conçoit pas une humanité autre que celle de l’hétérosexualité.
Il faut désintégrer cette vision binaire. Et ça commence par une réflexion sur les codes graphiques qui rythment notre vie quotidienne, qui, à force d’être répétés, sont reconnu comme étant “naturels”.
L’image du film TransAmérica est vraiment pertinente.
bien à vous.
guiguilerennais

Un commentaire par coulmont (10/06/2006 à 11:05)

Merci Mlle Une pour votre question et votre lien canadien.
M. Guigui, je ne suis pas certain que Butler s’applique aussi bien à ce billet, qui insiste au contraire sur la difficulté qu’il y a à binariser. Et si deux sexes arrivent à être différenciés de différentes manières, cela rend les toilettes bien plus homosexuelles qu’hétérosexuelles (voir Tearoom Trade de Laud Humphreys pour une belle analyse des relations sexuelles entre hommes dans les toilettes publiques).

Un commentaire par Fabiani (28/03/2007 à 12:42)

Excellente présentation sur la production de normes divisant les sexes. J’ai vu l’an dernier à Martin-Gropius Bau lors d’une exposition Art et football, une oeuvre troublante dont j’ai malheureusement oublié l’auteur. Il s’agissait d’une longue rangée d’urinoirs pour femmes, qui supposaient qu’elles urinent à califourchon. Le projet était de raccourcir le temps de séjour par personne, qui crée des embouteillages aux toilettes femmes. L’oeuvre était présentée en salle, mais l’impression était si forte que j’ai cru être entré par mégarde dans des toilettes d’un nouveau genre, d’un troisième sexe.

Un commentaire par Baptiste Coulmont (28/03/2007 à 13:21)

Merci bien ! La signalisation des toilettes — et le mobilier intérieur — essaie en effet de produire deux groupes bien distincts, sans savoir à quelles normes se fier… tout en évitant la plupart du temps les erreurs d’affectation. Je pense de plus en plus à utiliser ces exemples comme illustration d’un cours (ou d’un TD) sur sexe et genre !
Sur les urinoirs pour femmes, une collection parmi d’autres : http://www.urinal.net/archive/Womens.html

Un commentaire par Jastrow (29/03/2010 à 11:01)

Je me souviens d’un metteur en scène de théâtre expliquant qu’au cours d’une de ses tournées en Australie, il s’est retrouvé dans la station-service d’un coin archi-paumé et a trouvé un aborigène très, très perplexe face aux panneaux des toilettes, représentant l’un un homme en frac et haut-de-forme, l’autre une dame en crinoline. Il n’a pas précisé si l’aborigène avait finalement fait le bon choix.