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L’Erouv de Saint-Brice

Billet publié le 12/05/2006

Un article d’une Agence de presse israélienne datée du 15 janvier 2006 attira récemment mon regard :
Une première en France : Un « Erouv » bientôt installé à Saint Brice !

à l’instar de Philadelphie dont le Maire John Street a signé l’accord pour que sa ville ait son propre « Erouv », une petite localité de la banlieue Nord de Paris, située entre Sarcelles-le- village et Montmorency, un petit bourg d’environ 13 000 habitants dénommé Saint Brice vient, par la voix de son Maire Alain Lorrand, d’accepter l’installation d’un « Erouv » dans la ville.
[…]
Cet évènement exceptionnel et unique en France, est dû à l’obstination d’un Président de Communauté, François Sitruk, de son rabbin Joseph Touitou et de son équipe, qui mettent tout en œuvre pour réaliser les objectifs qu’ils se sont fixés.

Qu’est-ce qu’un érouv (parfois translittéré érouve) ? C’est un un dispositif talmudique qui permet de transformer un espace public en extension d’un espace privé où il est permis aux juifs orthodoxes de porter certaines choses (clefs, livres…) ou d’utiliser certains objets (fauteuil roulant…). A New York et à Montreal, et ailleurs aussi, l’installation d’érouvim a causé de nombreuses polémiques : voir ce billet, et cet autre billet.

Assez rapidement, la presse locale (notamment La Gazette du Val d’Oise) mentionne cette innovation (il n’y a pas d’érouvim urbains en France à part à Strasbourg). Le Parisien, dans son édition du Val d’Oise, mentionne aussi ce qui devient rapidement une affaire :

La ville entourée d’un fil pour le shabbat ?
Emeline Cazi
ET SI Saint-Brice était ceint d’un fil de nylon pour faciliter la vie des familles juives le jour du shabbat ? La communauté juive de la ville envisage sérieusement la question. […] Une mère d’enfant en bas âge reste chez elle faute de pouvoir pousser le landau. Tendre un fil de pêche autour de la commune pour créer un « erouv » (du nom de l’espace clos ainsi formé) permettrait aux juifs de se retrouver dans un domaine privé et donc de circuler librement. « Il n’est pas question de créer un ghetto ou d’élever une muraille autour de la ville, précise d’emblée François Sitruk, président de la communauté juive de Saint-Brice et premier vice-président du consistoire, mais de tirer un fil entre les poteaux électriques. »
Les autorités religieuses se penchent sérieusement sur le sujet.
Rien n’est fait, rien ne sera peut-être jamais fait mais la question est soulevée et les autorités religieuses se penchent sérieusement sur le sujet. Pas plus tard que la semaine dernière, deux grands rabbins du tribunal rabbinique parcouraient Saint-Brice pour en étudier la faisabilité. François Sitruk et le rabbin Touitou attendent l’avis du rabbinat avant d’en faire la demande officielle au maire.
[…]
« Mais c’est loin d’être fait, tempère le maire, Alain Lorand. La question m’a été posée au cours d’une discussion privée. J’ai répondu pourquoi pas si cela peut faciliter la vie des familles. Mais vu les débats que cela suscite… » Les réactions sur Internet sont vives, les propos parfois virulents. Les uns criant au scandale, les autres répliquant « qu’après tout cela ne dérange personne ».
[…]
De l’autre côté de la nationale, à Sarcelles, là où vit l’une des plus importantes communautés juives d’Ile-de-France, on observe l’avancée du dossier avec attention. Car certains imaginent déjà un « erouv » autour du Grand Ensemble.

Le site antireligieux atheisme.org s’en fait l’écho :

maginons une microsociété où une des règles de vie consiste, certains jours, à ne pas transporter des objets depuis son domicile vers le domicile public ou l’inverse. Interdit, c’est comme ça et on ne discute pas. La mesure est, on le comprend bien, fort handicapante et certains plus malins que d’autres ont, avec une autorité empreinte d’un mysticisme obscur, inventé un stratagème pour s’en affranchir : il suffit de délimiter un espace avec des poteaux d’au moins quarante centimètres et de les relier, à leur sommet, par un fil métallique.

On remarque assez facilement l’embarras des atheistes.orgs, qui considèrent apparemment que “Saint Brice” est OK, mais qui considèrent l’érouv non pas comme un affaiblissement religieux, mais comme un redoublement pervers de la croyance. Au contraire, des Juifs très orthodoxes vont pouvoir considérer l’érouv comme un affaiblissement impossible des contraintes de vie réglée que demande la Halakha (c’est ce qu’on observe à New York notamment, où le principal conflit est inter-juif, entre les partisans d’érouvims synagogaux et leurs opposants).

Des athées militants, l’on passe rapidement, sur internet, à des sites de presse alternative mais aussi à un site pas vraiment philo-juif (http://quibla.net/protocoles2006/protocoles-erouv.htm), qui, dans une rubrique intitulée les “Protocoles des Fous de Sion” déclare qu’ “une muncipalité française du Val d’Oise (département 95) vient de déclarer que son territoire est sous Erouv : désormais les 13 000 habitants vivent sous une loi juive, alors qu’il n’y a que 700 familles juives dans la commune. Et la laïcité, dans tout ça ? Imaginons un peu la réaction que susciterait une décision de proclamer une commune française comme appartenant à Dar El islam !”

Face à cela, et probablement à d’autres prises de parole, le maire de Saint-Brice s’oppose finalement à l’érection de l’érouv local (en ouverture d’un conseil municipal) :

Mr le Maire tient à faire une déclaration concernant le Erouv qui a fait l’objet d’un article dans la presse avant d’aborder l’ordre du jour du conseil municipal. Il tient à démentir les propos du journaliste qui s’était avancé à dire qu’un Erouv serait installé à Saint Brice. Il explique historiquement que, dans la religion juive, des remparts (Erouv) entouraient les villes de l’antiquité. Dans le cas présent, un fil qui entourerait une ville rendrait l’espace qui est à l’intérieur clos, par conséquent permettrait aux personnes de la communauté juive de circuler librement, et notamment de porter les enfants durant Shabbat. Etant donné les problèmes communautaires actuels, le Maire déclare qu’il n’y aura pas de Erouv à Saint Brice.
source : http://www.saintbrice95.fr/ville/archives/2006/cr230206.pdf

Et dans le journal municipal, intitulé Saint-Brice, d’avril 2006, l’on peut lire :

Le maire vous informe
Lors du dernier Conseil Municipal, j’ai précisé sans équivoque qu’il n’y aurait pas de érouv (fil entourant la ville) à Saint-Brice.
Le Maire.

La journaliste Emeline Cazi, dans Le Parisien du 4 mars 2006, conclue alors l’affaire :

au vu des mails reçus, des courriers d’habitants menaçant de déménager, le maire [Alain Lorand] a coupé court à toute discussion. Hostile « à toute zizanie et aux guerres de clans », François Sitruk [“président de la communauté juive”] regrette la tournure prise par le débat. « On ne cherchait pas à gêner qui que ce soit, répète-t-il. Qui aurait été gêné par un fil de nylon accroché aux poteaux électriques, à la même hauteur que les fils de téléphone ? » Il l’avait annoncé dès le début, il s’en tiendra « à l’avis des élus de la République ».

M. Sitruk devait d’autant plus s’en tenir à la décision des autorités civiles que la validité (religieuse) d’un erouv repose sur l’accord des autorités (séculières), et qu’un acte officiel est nécessaire. (Voici un exemple d’acte officiel, la proclamation (sans valeur juridique) du président d’un comté américain autorisant la construction d’un eruv autour de l’université du Maryland.

L’érouv de Saint-Brice est donc la première affaire récente et signale, sans doute, une volonté de visibilité publique plus grande de la part, sinon d’une communauté dans son entier, du moins de certains leaders. Il y avait des érouvim [à vérifier toutefois, je ne m’appuie pas sur des sources sûres] dans les grandes villes françaises, et notamment Paris, avant la Seconde Guerre mondiale et la collaboration des autorités françaises avec le régime nazi. L’érection de nouveaux érouvim pourrait donc être comprise comme une sorte de retour à un ordre républicain (déjà en régime de séparation). Mais je doute que ce soit de cette manière que seront comprises les futures tentatives d’érouvisation.
Ces tentatives seront très intéressantes à suivre. Non seulement parce que les polémiques sont de beaux objets sociologiques, mais aussi parce que les frontières des érouvim permettent une sorte de visualisation des frontières que se donne une communauté religieuse. Comme ici cet erouv du Queens (un quartier de New York) :

L’erouv est signalé en orange.

Sur Saint Brice, le saint et évêque, voir Wikipedia.

[yarpp]

8 commentaires

Un commentaire par Levi de Leon (13/05/2006 à 11:06)

mais où vous vivez ?c’est le moyen-age dans votre tête!
et pourquoi pas des autels sacrificiels?
c’est à cause d’obscurantistes religieux comme cà que les guerres trouvent un terreau fertile.
visiblement comme on le voit en Palestine tout ces grands sentiments n’empechent en rien d’aller assassiner des gens dans les pays voisins comme c’est le cas en Israël.
au secours arriver au XXIe siecle pour voir des arriérés qui veulent édicter leur loi en France pays laïque!
c’est navrant.
bravo à monsieur le maire qui a su résister aux pressions que j’imagine pesantes.
M. Levi de Leon.

Un commentaire par coulmont (13/05/2006 à 11:46)

Etrange commentaire… Le sujet a l’air brûlant !

Un commentaire par R. Hervé (20/05/2006 à 18:52)

Présenté comme un « dispositif talmudique » en faveur de l’esprit de la Torah par des cercles très influents qui défendent the Jewish Heritage et garantissent les intérêts de la vie juive, les erouvim recevraient aisément l’aval du peuple juif parce qu’ils sont légitimés par une certaine exégèse, et par conséquent sont licites (sinon nécessaires contre le fantasme antisémite). Or, il convient, clament les rabbins très influents, de travailler à la sauvegarde de la mémoire et de la communauté. (Voir Le site du consistoire de Paris http://www.consistoire.org)
Aussi, tant que la question de la mémoire restera réduite à l’histoire partielle d’un peuple confiné, tant que celle-ci n’est pas soumise à un examen collectif (et assurément téméraire), tant que l’histoire du peuple juif restera une psalmodiante commémoration (voir le musée de la Shoah à Paris), nous aurons à affronter de telles pratiques obscurantistes, car les rabbins glissent sur les peurs fantasmées du peuple juif pour servir la cause sioniste.
Enfin, je note la parenté phonique, sans savoir si la racine est la même, entre « er(o)ub-im » et « ker(o)ub-im » qui désignent les chérubins protégeant l’arche d’alliance dans le sanctuaire. RH

Un commentaire par coulmont (20/05/2006 à 19:43)

Je ne comprends rien du tout à votre commentaire…

Un commentaire par Denys (25/05/2006 à 7:52)

Moi non plus.

Cela dit, puisqu’en cette fin de semestre les affaires sont calmes, je me permets une petite intervention complémentaire sur cette question des relations entre une confession religieuse – juive aussi, en l’occurrence – et la puissance publique.
Les Loubavitch ont inauguré voici quelques années rue Petit, dans le XIXème, un important complexe religieux et scolaire.

Conformément à leur doctrine, la séparation des sexes est totale, et dès le plus jeune âge. On trouve ici une vidéo présentant l’établissement, où l’on vérifie ce fait (bien que la video ne montre que des filles, un unique plan de garçons a échappé aux ciseaux du censeur, pardon, à la sagacité du monteur. Sauras-tu le retrouver, ami lecteur ?).
A la synagogue, les hommes sont au parterre, et les femmes en mezzanine, cachées derrière un rideau. Dans ce bâtiment, on trouve donc des couloirs pour les filles, et des couloirs pour les garçons. S’agissant d’un établissement sous contrat, avec, si je ne me trompe pas, un bail de 99 ans, il est partiellement financé par la puissance publique. Je me suis toujours demandé comment on pouvait concilier une topographie si particulière et le principe de neutralité laïque et républicaine.

Un commentaire par coulmont (25/05/2006 à 8:33)

Cher M. Denys,
Vous n’êtes sans doute pas sans ignorer que la République laïque a inscrit cette topographie dans bon nombre de villes et de villages : l’école de garçons et l’école de filles, séparées par la Mairie… Cela avant et après la Séparation de 1905. La mixité n’est pas réellement un principe laïque (sauf depuis les questions de foulard/voile, peut-être) et elle est même fort récente dans les institutions de la République (écoles, collèges, lycées, Ecoles normales supérieures, Ecole polytechnique…). Les Compagnies Républicaines de Sécurité sont encore mâles… Dans bon nombres d’institutions de la République laïques, les toilettes sont “monosexe” (inscrivant dans l’espace une bipartition sexuée)…
Autre exemple encore, la “Maison d’éducation de la Légion d’Honneur”, à Saint-Denis, est un “lycée de filles”…

Un commentaire par verede (26/09/2007 à 9:32)

que de blas-blas
encore une fois la religion juive et les affaires s’y affairant fait couler beaucoup d’encre et parler beaucoup de personnes qui sont encore au stade “des protocoles des sages de Sion”
on parle de laïcité …et les jours fériés en France (pays laïc) qu’en pensez-vous: le jour de Pentecôte, le jour de Pâques, la Toussaint?….etc

Un commentaire par Majo (11/09/2012 à 5:13)

Je suis née catholique, mais en vérité agnostique. J’ai un profond respect pour toutes les religions, mais en ma qualité d’habitante de Saint Brice depuis 16 ans, force m’est de constater que le communautarisme juif fait force de loi. Il n’y a rien d’agressif dans les propos que je tiens, je constate.
J’ai eu l’occasion d’assister à des scènes étonnantes au sein de mon lotissement : des groupes de personnes de confession israélite psalmodier dans les ruelles privées, ne nous laissant rejoindre notre domicile qu’après de longues minutes d’attente, impossible de circuler librement les jours de shabat, les rues étant systématiquement bloquées par des familles marchant au pas et peu enclines à laisser passer les misérables goys que nous sommes. C’est une tendance que je remarque depuis 5 ou 6 ans. Mes amis juifs (nombreux) de la première heure ont des pratiques beaucoup plus tolérantes à notre égard tout en étant de fervents pratiquants. Chacun est libre d’exprimer sa foi, je ne reviens pas sur ce principe, mais je pense que ma famille est autant digne de respect qu’une autre quelle qu’en soit la confession.
Devant ce phénomène, nous nous sentons intrus et lésés, voire méprisés dans notre intégrité.
Nous avons donc décidé de déménager dans quelques mois, regrettant les années où nos enfants naturellement amis, s’appelaient Arnaud, Arthur, Ouasfi,, Yonni, Francesco, erwann, Emmanuel, Mathieu, Omar, Juifs, chrétiens, musulmans, étrangers, métis etc Que c’était beau !
Dans le plus grand respect, chaque maman les recevait tous, en prenant bien soin de respecter les interdits de chacun, quitte à cuisiner dans une maison et servir dans une autre. C’est ça la mixité !
Je suis fière que mon fils ait été éduqué dans cette atmosphère, recevant des cours d’instruction religieuse d’une grand mère juive et partageant toutes les fêtes de chaque communauté !