Guerres hassidiques
La mort récente du Grand Rebbe Moses Teitelbaum, de Williamsburg à Brooklyn, a déclenché une sorte de guerre fratricide entre ses deux héritiers spirituels, ses deux fils Aaron et Zalmen. Teitelbaum était le chef des Satmar, un groupe religieux hassidique “ultra-orthodoxe”, fort d’environ 120 000 fidèles. Aaron avait, depuis une vingtaine d’année, pris la direction de Kyrias Joel, une sorte de théocratie communale située à une centaine de kilomètres de New York. Zalmen était rabbin satmar à Jérusalem.
Depuis la mort de leur père, les deux fils tentent de prendre le contrôle du petit empire social et religieux qui avait été confié à Moses Teitelbaum à la mort de son oncle. Les travaux de Jacques Gutwirth, qui, depuis le début des années 1960, a étudié le Hassidisme (d’abord en Europe, puis sa mondialisation), soulignent la permanence des conflits, parfois violents, entre groupes (Lubavitch, Satmar…) et entre héritiers présomptifs. (Son livre La renaissance du Hassidisme est la synthèse en français). Aaron et Zalmen sont théologiquement très proches l’un de l’autre, même si l’un accepte lesEruvim et pas l’autre.
Cette guerre locale a fortement intéressé les médias américains. Le magazine New York y consacre un long article Hats On, Gloves Off, The War for Hassidic Williamsburg, qui relate les coups de force et les coups tordus entre les deux frères et leurs factions, les Aaronis et les Zalis.
Mais c’est un article un peu plus ancien, d’un magazine juif américain, qui permet de comprendre une des raisons sous-jacentes à la dureté du conflit actuel, en s’intéressant plus spécifiquement à la gentrification, l’embourgeoisement, du quartier de Williamsburg : A Plague On All Your Art Houses [PDF] :
a group of ultra-Orthodox Jews known as Satmar Hasidim (…) are waging an ongoing campaign to stem the tide of gentrification in their Williamsburg neighborhood.
(…)
The Hasidim of Williamsburg, in fact, constitute one of the last urban Jewish communities in America with a large working-class population. It’s these working-class Hasidim who are most threatened by the forces of gentrification, and no one has been more vocal about the changes in the neighborhood.
(…)
The gentrification issue, unfortunately, has also threatened to divide the Hasidic community itself, mostly along economic lines
Mais le centre de l’article de Nathaniel Deutsch porte sur la sanctification de l’espace par les Hassidim : “In their struggle for Williamsburg, though, the Satmar Hasidim are motivated by more than just the need for affordable housing, the fear of losing their jobs, or even a powerful sense of home. For them, Williamsburg has become a holy place, and being forced out of the neighborhood is akin to being exiled yet again.”
La gentrification remet donc en cause la possibilité de se maintenir dans un espace vécu parfois comme le Nouvel Israel (les Satmar sont vigoureusement anti-sionistes).
Enfin, aujourd’hui, un long article du Washington Post, Sons of the Father, revient sur l’hostilité entre les deux frères, mais en s’intéressant moins à la gentrification et plus à l’intérieur de la communauté. La fin de l’article est même centrée sur la vie familiale.