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Les billets de July, 2006 (ordre chronologique)

Souvenirs de sex-shops

Les mémoires des vendeuses et patrons de sex-shops du début des années 1970 n’ont jamais été publiés. Peut-être même n’ont-ils jamais été écrits. Cela rend d’autant plus intéressant un livre de souvenirs, paru en 1976 aux “Éditions de la pensée moderne”, Le sexe en vitrine, J’ai été vendeuse de sex-shop de Zaza Dalmas, maintenant introuvable (même en bibliothèque). Elle y relate les quelques années pendant lesquelles elle tint un magasin, rue Saint-Denis, la surveillance policière, les relations avec les prostituées et la clientèle des sex-shops, de manière concrète : les souvenirs sont finalement très proches.
Cette année, sous son nom d’origine, Ivanka Mikitch, elle publie une réédition, Sex-shop blues, dans une maison d’édition suisse. La structure du livre reste la même, mais ce qui l’ancrait dans les années soixante-dix (certains termes, certains noms, certaines choses) a disparu. Un poêle à gaz devient un radiateur mobile, les films en super-8 deviennent des cassettes vidéos. Tout un chapitre sur la fermeture administrative de son magasin est résumé en quelques lignes. Et la position publique difficile des sex-shops, dans les années 1970, est mieux explicitée dans Le sexe en vitrine que dans Sex-shop blues :

La droite nous dénonçait comme des ennemis de la sacro-sainte famille bourgeoise, des rongeurs de la morale et de la civilisation; la gauche voyait en nous les véhicules d’une diversion capitaliste, destinée à démobiliser les militants et à les fourvoyer dans l’impasse d’un renouvellement de la société de consommation.
Tout cela était aux antipodes de ce que je voyais dans mon travail. Pour moi, il n’était en rien honteux. Nous vivions dans une société marchande où tout finit par s’exprimer commercialement.
source : Zaza Dalmas, Le sexe en vitrine, 1976

En 2006, la préface du livre est autre :

Le sexe ne titille que pour faire acheter un produit, c’est à dire qu’il est totalement détourné de son essence. Il est aliéné par le mercantilisme de la consommation.
L’appat de l’acheteur est le seul prétexte qui en autorise, et en propage, la représentation. Sous réserve que l’objet à acheter ne soit pas sexuel. (…)
Ajoutons enfin que le sexe étant le plus beau des loisirs, il faut avoir l’entourage, les moyens matériels et le temps d’en jouir.
source : préface à Ivanka Mikitch, Sex-shop Blues, 2006

La libération par la mise en commerce n’apparaît plus comme une possibilité réaliste.

Des magasins et des écoles…

Depuis 1978, des députés tentent d’interdire les sex-shops à côté des écoles, chose qui a été rendue possible par l’article 99 de la loi du 30 juillet 1987, qui porte à 100 mètres l’interdiction d’installation de nouveaux sex-shops à proximité des écoles.
Depuis, certains députés souhaitent porter à 200 mètres la zone d’interdiction… La réaction la plus virulente à ces projets est venue de Robert Badinter, qui, le 30 octobre 1997, au Sénat, déclare :

Mes chers collègues, véritablement je ne suis pas sûr qu’on ait mesuré la portée de ce qu’on est en train de faire ! Je n’ose penser aux malheureux collègues professeurs de droit qui auront à présenter à leurs étudiants ce texte concernant finalement la suppression pure et simple, par une voie détournée, des sex-shops !

Mais nos députés sont vigoureux et entêtés. Une dépêche de l’AFP tombée aujourd’hui [merci Mathieu T.] le précise :

Les députés veulent interdire certains magasins près des écoles
AFP 06.07.06 | 13h18
Les députés veulent interdire l’installation, à proximité d’établissements scolaires, de boutiques proposant “des publications ou des produits” dont la vente est interdite aux mineurs.
Un amendement en ce sens a été adopté par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, a-t-on appris jeudi de source parlementaire.
Présenté par Bernard Perrut (UMP, Rhône), l’amendement a été voté lors de l’examen du projet de loi sur la “protection de l’enfance” adopté en commission mercredi soir.
Il prévoit l’interdiction, “à moins de deux cents mètres d’un établissement recevant habituellement des mineurs, d’un établissement dont l’activité est la vente ou la mise à disposition du public de publications ou de produits dont la vente aux mineurs est prohibée” comme certaines revues ou les boissons alcoolisées.
L’infraction sera punie de “deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende“, précise le texte.
Adopté le 21 juin au Sénat, le projet de loi vise à améliorer la prévention et le signalement des situations à risque.
Il devrait être examiné par les députés lors de la session ordinaire d’octobre à une date encore indéterminée, a-t-on précisé de même source.
Il n’est pas admissible que des enfants, à la sortie des écoles ou des lieux de sport soient témoins de comportements tendancieux liés aux sex-shops“, a expliqué M. Perrut, dans l’exposé des motifs de son amendement. Il y précise que l’interdiction vise non seulement les établissements scolaires mais aussi “les salles de sport, les lieux culturels, les lieux de culte, les maisons des associations…

Je n’ai pas encore le texte de l’amendement, ni celui de l’exposé des motifs, mais il me semble bien intéressant que les “produits” soient visés avec les “publications” : se dirige-t-on vers une limitation de l’offre de godemichés et autres “sex toys” ? Ils ne sont pas explicitement interdits aux mineurs à ma connaissance, et La Redoute en vend). L’ensemble des lieux ainsi “protégés” (lieux culturels, lieux de culte…) rendrait impossible, concrètement, l’installation de tout magasin pornographique ou semi-pornographique en ville (mais pas à la sortie des autoroutes ou dans les zones industrielles).
Il est cependant possible, à mon avis, de proposer deux commentaires à ce projet.
1- Ordre moral ?
L’abandon de la notion de “bonnes moeurs” par le droit (fort visible dans la disparition des “outrages aux bonnes moeurs” dans le nouveau Code pénal) a rendu difficile la construction d’arguments visant à sauvegarder la moralité publique. C’est donc un groupe particulier qui en vient à être conçu comme en demande de protection, car plus fragiles : les enfants. L’amendement Perrut s’accroche donc à un projet de loi sur la protection de l’enfance. Parallèlement à ce mouvement sont précisés des dangers auxquels pourraient être confrontés les enfants : c’est la sexualité menaçante des adultes, ici, en l’occurrence, celle des clients de ces magasins.
2- Urbanisme.
Simultanément, l’angle d’attaque est urbanistique. Il ne s’agit pas d’interdire totalement — du moins directement — les magasins, mais de restreindre leur implantation dans la ville. Un deuxième objectif peut ainsi être atteint : promouvoir la “tranquillité” de certains quartiers contre les “nuisances” de ces magasins. Des quartiers qui n’apprécient pas toujours l’ouverture des sex shops, comme récemment à Houilles.
mise à jour (16h15) :
Cet amendement s’inscrit à la suite d’une proposition de loi déposée par Bernard Perrut, la Proposition de loi n°3209, Règlementation de l’installation des sex-shops (dont le texte n’est pas encore disponible).
Le texte de l’amendement [PDF] est instructif. L’article 99 de la loi du 30 juillet 1987 visait les établissements dont l’activité principale était la vente ou mise à disposition de publications interdites aux mineurs, manière d’éviter de règlementer les kiosques à journaux versés dans La Vie Parisienne et autres Union ou Hot Vidéo, ou les vidéo-clubs alors en pleine croissance. L’amendement Perrut vise les établissement dont l’activité (tout court) est la vente…
La loi de 1987 se basait sur les “établissements scolaires” pour édicter une zone interdite, l’amendement Perrut sur les “établissements recevant habituellement des mineurs” : “Il convient d’élargir la définition des établissements accueillant des jeunes afin qu’elle [concerne] l’ensemble des lieux fréquentés habituellement par les jeunes”.
Enfin, l’amendement Perrut élargit le champ des associations pouvant se porter partie civile : il fallait depuis 1987 que ce soient des associations de parents d’élèves, ce pourrait désormais être des associations de jeunesse et de “défense de l’enfance en danger”.

Les débauchés ne protestant que peu sur la place publique contre les taxes spoliatrices (je m’inspire de Philippe Saunier, Mœurs et fiscalité, Revue Droits 19/1994) ou les restrictions à l’installation des sex-shops (je n’ai en tout cas rien trouvé autour de la loi de 1987), il est possible (mais pas certain) que cet amendement suive son chemin et devienne la loi…

Ailleurs sur internet : Piex, méchant blog, slovar, et surtout le blog sexe de Fluctuat

Mise à jour (7/02/2007) : La proposition de loi 3209 de Bernard Perrut vient d’être publiée.

Mise à jour du 22 février 2007 L’article 99 de la loi du 30 juillet 1987 a été modifié en février 2007 : l’interdiction d’installation est de deux cent mètres, et la définition des sex-shops change. Pour plus d’informations, consulter cet article.

Interdire « seulement »

Est-ce suite au billet précédent ? une députée de l’UMP précise à l’AFP :

Les députés veulent interdire seulement les sex-shops près des écoles
PARIS, 7 juil 2006 (AFP) – 17h30 heure de Paris – Valérie Pécresse (UMP), membre de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, a expliqué vendredi à l’AFP que le souhait de la commission était d’interdire les sex-shops près des écoles et non pas les cafés ou les débits de tabac, dans le cadre du texte sur l’enfance.
Mercredi soir, la commission avait adopté un amendement de Bernard Perrut (UMP) au projet de loi de protection de l’enfance, destiné à interdire l’implantation de magasins proposant au public “des publications ou des produits dont la vente aux mineurs est prohibée”.
Mme Pécresse a affirmé que dans l’esprit de la commission il ne s’agissait pas d’interdire “les cafés ou les débits de tabac” à “moins de 200 mètres” des établissements scolaires ou des lieux de culte, mais seulement “les sex-shops”.
Elle a estimé que la rédaction de l’amendement pouvait “prêter à ambiguïté” et qu’en conséquence elle en présenterait un autre pour cibler “les sex-shops”.
Adopté le 21 juin au Sénat, le projet de loi vise à améliorer la prévention et le signalement des situations à risque.
Il devrait être examiné par les députés lors de la session ordinaire d’octobre à une date encore indéterminée.

Ouf ?

Rebonds : interdire les sex shops ?

Celles et ceux qui — après avoir lu mon Rebonds dans Libé [un peu édité par le journal] — découvrent mon blog aujourd’hui seront sans doute intéressés par une série de billets portant sur ces magasins bien peu connus que sont les “sex-shops” : Tout d’abord leur préhistoire (entre 1965 et 1973), ensuite leur entrée dans les dessins humoristiques, à l’automne 1970. Mais aussi la question du “zonage”, qui est en lien avec la cartographie des sex-shops, mais aussi avec leur possible dissolution.
Je ne fais pas que m’intéresser à ces officines (même si ce sont des recherches à leur sujet qui m’amènent le plus de visiteurs) : je suis aussi fortement étonné par les fiançailles catholiques [PDF] (d’autres articles sont disponibles), par un dispositif “géo-talmudique”, l’érouve (ou eruv, érouv…). Ma thèse, qui avait pour titre Que Dieu vous bénisse ! portait sur les controverses religieuses autour des cérémonies de mariage des couples du même sexe aux Etats-Unis : pour en savoir plus, vous pouvez lire Do the Rite Thing !.

Blogtorants, doctoblogs

Quelques blogs de doctorants et doctorantes :
http://acathodique.free.fr/ – Pas Cathodique (historienne ?), qui est pacsée au suivant :
http://fautpasresterla.free.fr/ – Faut Pas Rester Là, qui a notamment envoyé un mail à “Howie” (mise à jour : FautPasResterLà n’est plus doctorant)
http://www.teriiehina.net – Teriiehina (sciences dures ?)
http://socionome.free.fr/ – Socionome, probablement sociologue, mais je ne suis pas certain.
http://carnetdethese.blog.lemonde.fr/ – Carnet de thèse, un informaticien.
Il y en a bien d’autres, et des docteurs, dans la Liste des blogs universitaires de François Briatte.

Le retour de Phersu

Voix étrange, Phersu est revenu, et s’est doté de son propre domaine, phersu.fr. Il y a encore des petits problèmes dans les “liens permanents” (phersu.fr est pour l’instant une sorte de coquille qui renvoie sur free.fr), mais tous les pingouins célèbrent son retour !
Signalons qu’il revient sur la pointe des pieds, “toujours pas tellement envie d’écrire, à vrai dire” (même s’il écrit probablement sans avoir besoin d’avoir envie, ce qui fait en fait tout l’intérêt).

Pauvre université

Après la fin des cours dans une université (appelons-la Bêta Psi), et la remise des notes aux étudiants, voici ce que certains reçurent il y a peu :

Objet: URGENT – PB SAISIE DES NOTES
A l’attention des Directeurs, des Responsables administratifs et des Secrétariats pédagogiques des UFR et Instituts, A l’attention des Enseignants
La saisie des résultats pédagogiques 2005/2006 s’effectuait depuis le 14 juin via une nouvelle application web. A la suite d’un problème informatique, il apparaît que des notes attribuées antérieurement ont été modifiées indépendamment de la décision et de la saisie de l’enseignant.
Après en avoir informé le Président et le Secrétaire Général, nous avons décidé de désactiver la fonctionnalité de saisie des notes de l’application web. Cette saisie doit désormais s’effectuer via l’application précédente (FELIX).

Ce sont tout d’abord quelques étudiants hackers qui furent soupçonnés, avant qu’un deuxième message rectifie :

Un bug informatique, qui à ce jour a été identifié, a modifié a posteriori et aléatoirement des résultats saisis via la nouvelle application web entre le 14 juin et le 6 juillet, et ce tant pour des EC du 1° semestre dont des modifications ou des secondes notations auraient été saisies dans cette période, que pour les EC du 2° semestre saisis dans cette même période.
Le caractère aléatoire de ce bug ne permet pas de détecter les listes de résultats qui ont été affectées.

Les bugs aléatoires rectifiant les notes… hmmm, intéressant. Il a quand même fallu aller vérifier les notes des étudiants, en comparant quelques archives à la liste informatisée.
L’université n’est pas seulement pleine de bugs aléatoires informatiques, elle est aussi remplie de bugs immobiliers. Il y a plusieurs semaines, une lettre de protestation relative à l’état sanitaire d’un bâtiment a été envoyée autorités de l’université (dont son président, le biographe d’un célèbre mercenaire français) par le responsable de l’UFR :

Je ne vous infligerai pas l’inventaire des déficiences dans ce domaine, depuis les vitres opacifiées par la crasse jusqu’aux matériels dégradés (fenêtres, huisseries, etc.) en passant par les détritus accumulés ici
et là… Elles sont connues. Le ménage, réalisé superficiellement, ne parvient pas à donner de ce bâtiment une image digne d’une université; et plus encore, les conditions de vie quotidienne des personnels qui viennent y travailler chaque jour deviennent, du fait de ces nuisances, particulièrement pénibles.

Pour l’instant, aucune réponse n’a été envoyée, à ma connaissance, et aucune forme de nettoyage n’a été réalisée. Cette série de photos, prise il y a quelques jours, en témoigne — et n’aurait eu aucune raison d’être si quelque action avait été entreprise :
Dans la salle B336 :
Bureau, salle des enseignants, bâtiment B, université Paris 8
Une salle de cours, jamais repeinte, au plafond qui se détache :
Salle de cours, université Paris VIII
Les graffitis de l’ascenseur, jamais nettoyés (depuis au moins deux ans) :
Ascenseur de l'université Paris VIII
Des graffitis dans un escalier :
Université Paris 8, des graffitis
Ces quelques photos montrent bien l’état de délabrement dans lequel se trouve l’université. Les descriptions de Pierre Christin, dans Petits meurtres contre les humanités ne valent pas seulement pour la fac de Tours ou d’Amiens, mais s’appliquent aussi aux marches [def] de Paris.

Représentation et destination : pornographie et gestion spatiale

La récente initiative du député Bernard Perrut visant à interdire les sex-shops à proximité des lieux fréquentés par des mineurs m’a conduit à relire les quelques propositions de loi (six) qui, entre 1983 et 2000, ont cherché à limiter l’implantation de ces magasins [texte des six propositions de loi [PDF, 2 méga]]. Avec celle de Perrut et de Christian Philip, son acolyte, cela fera sept. [Signalons que ni le secrétariat de Perrut, ni celui de Philip n’ont daigné répondre à mes mails demandant copie du texte qu’ils ont déposé.]
Six propositions de loi, mais quatre déposées entre 1993 et 1996; cinq dont les auteurs sont députés et une en provenance d’un sénateur; cinq déposées par des parlementaires parisiens (Dominati, Gloasguen, Assouad), une par un provincial ; aucune par un parlementaire de gauche.
Elles sont assez semblables les unes aux autres. Cela s’explique en partie — en partie seulement — par une certaine continuité des promoteurs. En 1983 Jacques Dominati dépose une proposition (n°1787) cosignée notamment par Francisque Perrut et Yves Lancien. En 1993, c’est le fils Dominati (Laurent), qui, ayant pris la succession de son père, dépose un nouveau projet (n°557). En 1995, Laurent Dominati cosigne — notamment avec Francisque Perrut — une proposition (n°1998) déposée par Claude Goasguen. En 1996, Dominati fils toujours cosigne une proposition (n°2924) déposée par son collègue du XIVe arrondissement, Lionel Assouad. En 2000, Laurent Dominati, toujours, dépose une proposition (n°2439) cosignée notamment par Bernard Perrut (fils de Francisque Perrut, qui a succédé à son père à l’Assemblée nationale). En 2006, c’est Bernard Perrut qui fera une proposition de loi (n°3209). La continuité, familiale et partisane, des promoteurs, explique donc la stabilité des textes proposés.
La similarité vient aussi du fait qu’elles suivent le même modèle de gestion spatiale des sex-shops. Pour comprendre, rien de tel qu’un petit schéma :
deux modèles de gestion urbanistique des sex shops
Dans les années soixante-dix, le modèle implicite suivi avait pour but d’éloigner les mineurs de la pornographie : revues interdites aux mineurs, vitrines opacifiées, magasins interdits aux mineurs… Une série de barrières symboliques, administratives, juridiques… sont dressées, presque de manière concentrique. C’est un traitement micro-géographique, étendu à l’espace du magasin et à sa frontière extérieure. Dans les années quatre-vingt et jusqu’aujourd’hui le modèle poursuivi s’appuie au contraire sur une volonté d’éloigner les magasins d’une classe de lieux (jardins publics, écoles, églises, salles de sport) et d’éloigner les magasins entre eux. Les propositions de loi souhaitent une distance de 200m entre les lieux fréquentés par des mineurs et les sex-shops ainsi que 75m entre deux sex-shops. C’est un modèle urbanistique.
Ce changement de modèle nécessite un changement juridique. Le “modèle 1” s’appuyait in fine sur la loi du 16 juillet 1949 sur la presse (la justification ultime des arrêtés préfectoraux et autres règlementations était cette loi qui règlementait non seulement la presse pour enfants, mais aussi la presse licencieuse). Le “modèle 2” oublie la presse : ce que visent les propositions de loi, ce sont les “objets et services pornographiques”. Ces “objets et services” ne sont jamais décrits par les députés, aussi peut-on penser qu’ils concernent certains spectacles de dénudage, certaines formes de “massage”, certains godemichets, fouets, culottes… Cela implique un changement de ce qui est considéré comme pornographique : si l’on a comme modèle la presse, alors la pornographie est une forme de représentation ; si l’on parle d’objets pornographiques, alors le porno est une forme de destination. Beaucoup plus menaçante, la pornographie est plus ou moins partout. Mais comme, pour l’instant, aucun de ces textes n’a été transformé en loi, on ne peut connaître avec certitude comment ils auraient été appliqués. La loi de juillet 1949 sur la presse fonctionnait à partir de la notion de “bonnes moeurs” : les outrages devaient être interdits ou sanctionnés. Il en va différemment maintenant ou ces “bonnes moeurs” n’ont plus trop d’efficacité juridique (il existe toute une littérature à ce sujet : depuis les livres de Iacub, Lavau-Legendre, Pierrat jusqu’à ceux de Lochak et alii). Les propositions de loi continuent à dire que la pornographie est ce qui porte atteinte aux bonnes moeurs, mais cela devient une définition, et non plus le signe d’un délit. La source de l’illégalité devient “les nuisances”, l’absence de “tranquillité”, les “inconvénients”, ou même le risque de criminogénération : les sex-shops “générant parfois un environnement propice à l’apparition de diverses formes d’infractions”. [On y trouve aussi, après 1993, l’idée que la pornographie est une atteinte à la dignité, c’est important, mais j’accélère]
L’opposition que je propose ici entre deux modèles est bien entendu durcie. On peut considérer ces souhaits de loi comme la poursuite du premier modèle dans le sens où ils demandent souvent que les sex-shops “d’adapter, à l’entrée de leurs locaux, une porte pleine ou opaque, maintenue fermée par un dispositif adéquat” (renforçant ainsi la barrière dont j’ai parlé plus haut). Les textes insistent aussi sur l’interdiction de toute publicité, enseigne, marque, promotion…
La proposition la plus innovante revient sans doute à Claude Goasguen : il reprend certes les dispositions habituelles, mais il demande aussi la fermeture des sex-shops qui se trouveraient, après le passage de la loi, dans une “zone protégée”, ou qui se trouveraient dedans à la suite de l’installation d’une école, par exemple. Il comprend bien que cette demande entre en contradiction avec — pour le moins — la liberté du commerce. Aussi propose-t-il (et c’est vraiment pervers) l’établissement d’une taxe additionnelle à la taxe spéciale sur les films pornographiques, qui alimenterait un fond d’indemnisation des gérants des sex-shops obligés de fermer. Il fait d’une pierre deux coups : il rend moins rentable la pornographie visuelle (conduisant peut-être à la fermeture de certains sex-shops), et il propose l’éradication des sex-shops (car en pratique, tous ces magasins sont à proximité d’un jardin public, d’un square, d’une crèche, d’un “lieu d’animation culturelle” ou d’une école…). En s’accrochant à la régulation fiscale de la moralité publique, il ne fait qu’étendre un système mis en place avec la loi de 1975 sur les films X et celle de la fin des années 1980 sur le “minitel rose”. Pour citer son texte :

L’indemnisation est assurée par un fonds de garantie (…) alimenté par une taxe additionnelle à la taxe spéciale sur les prix des places de cinéma applicables aux salles projetant des films pornographiques ou d’incitation à la violence

Je tiens à la disposition de tous un dossier composé du texte de ces six propositions de loi [PDF, 2 méga] (et les commentaires de juristes professionnels me seraient d’une grande aide), et je conclue par une copie de mon Rebonds récent dans Libération :

Interdire les sex-shops ?
Par Baptiste COULMONT
Libération, Mardi 11 juillet 2006

Dans le cadre d’un texte de loi sur la protection de l’enfance (Libération du 7 juillet), des députés UMP se sont mis en tête d’interdire les sex-shops à proximité des lieux fréquentés par des mineurs, par amendement : «Est interdite l’installation, à moins de deux cents mètres d’un établissement recevant habituellement des mineurs, d’un établissement dont l’activité est la vente ou la mise à disposition du public de publications ou de produits dont la vente aux mineurs est prohibée.» Depuis une ordonnance du Conseil d’Etat de 2005, les maires peuvent interdire leur installation en cas d’opposition locale. Depuis une loi de 1987, ils sont déjà interdits d’installation à moins de cent mètres des établissements scolaires. Depuis la loi de finance du 30 décembre 1986, leurs bénéfices sont surtaxés. Depuis 1973, leurs vitrines doivent être opaques. Depuis 1970, ils sont interdits d’entrée aux mineurs. Les tribunaux déclarent régulièrement que ce ne sont pas des commerces de «bons pères de famille» et que les règlements de copropriété peuvent les interdire. Des associations de quartier protestent contre leur implantation. La mairie de Paris rachète certains locaux pour les transformer en commerces agréables. Des députés, comme Bernard Perrut, (promoteur de l’amendement), pensent que des enfants pourraient être «témoins de comportements tendancieux liés aux sex-shops».
Les «bonnes moeurs» ont perdu toute force juridique, et la pornographie se diffuse un peu partout. Mais les seuls lieux spécifiquement consacrés à la consommation pornographique (et à la masturbation solitaire payante) se voient encadrés par un droit de plus en plus strict. Ce n’est plus la morale de la société dans son ensemble qui constitue l’étalon du droit des comportements, mais la bonne vie psychique et mentale des mineurs. Très efficaces, socialement et juridiquement, les enfants forment la base des arguments. C’est enfin un traitement urbanistique qui est proposé, la création de zones plus ou moins sexualisées. Il ne s’agit jamais d’interdire totalement ce type de magasins, mais de les éloigner de là où l’on habite. Car, finalement, c’est aussi la tranquillité locale que l’on recherche. Le nouvel ordre moral est donc fort complexe : il ne s’appuie plus sur les bonnes moeurs, mais sur un nouveau triptyque : la dignité, les enfants, le zonage. Une morale absolue, des personnes en danger, des espaces protégés.
Par Baptiste Coulmont maître de conférences à l’université Paris-VIII (Vincennes Saint-Denis).
source du texte : http://www.liberation.fr/opinions/rebonds/192568.FR.php

Un billet remarqué par rezo.net

L’Assemblée générale des Témoins de Jéhovah

S’est réunie à Lens, dans le Pas de Calais, ce week end l’Assemblée générale des Témoins de Jéhovah. Cette réunion de plusieurs milliers de fidèles avait lieu dans le Stade Bollaert : le maire de Lens s’en était offusqué, pour lui, les Témoins de Jéhovah sont “une secte”. La responsable locale de l’ADFI (association de défense de la famille et de l’individu), l’une des principales associations de lutte contre les sectes, avait enchéri, en demandant que les Jéhovistes restent cachés et ne fassent pas de rassemblement public visible. Les journalistes, dans les reportages, renchérissent, en essayant de “coincer” des participants, et en citant des extraits de rapports parlementaires, comme si ces rapports pouvaient épuiser le débat démocratique, et avaient force de loi. Mais ils s’ennuient un peu, et leur description se résume en partie à «visiblement, il n’y a pas grand chose de choquant, on lit la bible, on prend des notes»… Mais comme me le signale l’un de mes correspondants, la journaliste précise immédiatement que « derrière la façade religieuse, il y a de l’anesthésie mentale » : on a là un discours « humanitaire » sur les sectes, qui s’accorde très bien de l’existence des religions tant qu’elles restent modérées (en pratiques, idéologiquement…)

Quelques reportages sur cette assemblée générale (10 min. format Quicktime)

J’ai demandé à ce même correspondant de mettre en perspective ces reportages :

Quelques brèves remarques sur les Témoins de Jéhovah en France
Quand ce qu’on appelle les « nouvelles sectes » s’implantent en France en dans les années 1970 (Moon, Krishna, Enfants de Dieu, et un peu plus tard Scientologie et Ecoovie pour ne citer que les plus importants), peu de personnes évoquent la présence des Témoins de Jéhovah sur le territoire national.
Présents depuis les années 1930 au moins, ces derniers sont largement ignorés des associations anti-sectes comme des pouvoirs publics qui commencent leur action (première ADFI à Rennes en 1974 puis Paris, Lyon et Toulouse un an plus tard, le Centre d’information et de lutte Contre les Manipulations Mentales est créé par Roger Ikor en 1981, enfin premier rapport parlementaire rendu au Premier Ministre en 1983 par Alain Vivien intitulé Les sectes en France. Expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation). Ils ne seront inquiétés qu’à partir de la fin des années 1980, période à partir de laquelle la progression numérique se ralentit fortement (de 36 000 en 1970 à 69 000 en 1980, puis 114 000 en 1990 et 126 000 en 1995 [source : Watchtower organization http://www.watchtower.org/statistics/worldwide_report.htm]).
Dans un premier temps ignorés par les pouvoirs publics, ils furent ensuite surveillés et leurs demandes d’obtention du statut d’association cultuelle (en jeu : taxation des dons manuels) furent refusés (Conseil d’Etat, 1985). Le sommet de la réprobation fut atteint en 1995 quand dans le rapport parlementaire préparé par J.-P. Guyard (PS) et A Gest (RPR), les TJ furent placés de manière ambiguë au même niveau que 172 autres groupes qualifiés de sectes sur les bases d’un travail des RG (pas à proprement parler dans la liste puisque disposent d’un paragraphe pour eux, mais le nombre « d’adeptes de sectes » incluait les 130 000 TJ de l’époque, tout comme les cartes d’implantation des groupes l’échelle nationale).
Connus du grand public pour leur prosélytisme (la plupart des adeptes sont régulièrement envoyés prêcher la parole de Jéhovah et annoncer le retour prochain de dieu pour mener la bataille d’Armageddon), les conversions se font cependant de plus en plus rares : alors qu’il fallait quelques 1200 heures de porte à porte pour convertir une personne en 1970, il en faudrait désormais plus de 7000 (source : unelueur.org/stats-tj.htm).
Ils sont attaqués par les associations, et parmi elles par l’Union Nationale des ADFI (on peut voir la présidente de l’antenne ADFI-Nord, Charline Delporte, dans plusieurs des reportages, qui est une des plus active dans ce domaine), qui leur reprochent un endoctrinement important, une éducation religieuse intense, une vie dévouée à la communauté (dons financiers et du temps personnel requis : les « salles du royaume » sont construites avec les dons des fidèles, souvent en grande partie par eux les dimanches et jours de fête) et un « refus d’intégration » à la société (refus du service national, du salut au drapeau, des transfusions sanguines y compris quand le pronostic vital est en jeu).
Les TJ sont l’objet des plus vives querelles en France : Alain Vivien, un des piliers de la lutte contre les sectes en France depuis 30 ans, ancien président de la MIVILUDES (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives sectaires, créée en 1998), les considérant comme une confession, alors que JP Brard (député apparenté PCF de Montreuil et très actif depuis des années dans la LS lui aussi les considère indiscutablement comme une « secte »).
Il est intéressant de saisir la manière dont furent appréhendés (au double sens du terme) les TJ au prisme des transformations de la lutte contre les sectes en France. Pour faire vite, avant les années 1970 et l’implantation de ce qu’on a appelé les « nouvelles sectes » ou « sectes religieuses », les TJ sont une secte au regard des seules personnes qui portent l’accusation en France : les catholiques. La secte, c’est alors un groupe schismatique d’une grande religion, qui conteste un ou plusieurs points théologique mais partage le reste des rites, des pratiques et de la liturgie. A ce titre, le jéhovisme est une secte protestante issue de l’adventisme, et née en 1874 en Angleterre (Charles T. Russell). Les TJ sont ensuite largement ignorés des années 1970 aux années 1990, quand des laïcs commencent à porter l’accusation de « sectarisme » avec des définitions (et, en creux, des intérêts différents) qui ne recoupent pas celles des Eglises instituées (secte comme atteinte à la personne ou à la société).
Implantés depuis longtemps, avec des rites et des pratiques qui, à la différence des groupes allogènes, ne choquent pas, les TJ sont largement ignorés (la seule critique antisecte vient du pôle « libre penseur » qui y voit une aberration, au même titre que les religions, d’où les critiques émises par le CCMM à leur encontre). Ils sont finalement massivement critiqués que vers 1990 (l’UNADFI ne s’intéresse vraiment à eux que vers 1989) quand des associations luttant contre les sectes selon un mode « humanitaire » (la secte comme danger pour l’individu et la société) utilisent les catégories qui forgées dans le combat contre des groupes plus éloignés des traditions chrétiennes sont appliquées aux TJ (les ADFI et l’UNADFI étant à l’origine des groupes composés de parents chrétiens mais refusant toute référence religieuse pour justifier leur action, ils étaient moins susceptibles d’attaquer 1. les TJ et 2. les groupuscules dans l’Eglise catholique, ce qu’ils commencent à faire alors).

Les dénonciations du week-end dernier autour de l’A.G. des Témoins de Jéhovah à Lens s’inscrivent dans le contexte d’une Commission d’enquête sur les sectes et les mineurs qui s’est créée à l’Assemblée nationale fin juin et à laquelle participent d’éminents députés, comme Jean-Pierre Brard (pour qui les Témoins sont de “parfaits délinquants”, ce qui laisse présager des résultats de l’enquête de cette commission), comme Christian Vanneste (pour qui l’homosexualité est une condition moralement inférieure et qui invente une proposition de loi visant à annuler sa condamnation); comme Eric Raoult (le député anti-string)… Une belle brochette de winneurs.

Mise à jour

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