Il y a un an, le Conseil d’Etat, dans une ordonnance (contentieux n°281084, CE Ord. 8 juin 2005 Commune de Houilles) permettait à un maire d’interdire l’ouverture d’un sex-shop en raison de circonstances locales :
la mesure prise par le maire de Houilles, qui repose sur des motifs qui sont au nombre de ceux que les autorités chargées de la police municipale peuvent légalement retenir, apparaît fondée sur des éléments d’appréciation tirés de la tranquillité de la population et de la protection de la jeunesse
J’avais en son temps exposé l’affaire, mais il faut y revenir, car une nouvelle décision de justice a été rendue.
Rappelons juste quelques éléments de contexte.
Tout d’abord, l’article 99 de la loi n°87-588 du 30 juillet 1987 interdit l’installation de sex shops à moins de 100 mètres d’un établissement scolaire. Ensuite le Code pénal nouveau, article 227-24, interdit entre autre la diffusion aux mineurs de “message[s] à caractère violent ou pornographique”, quel que soit le support de ce message. Ainsi, avec des vitrines opaques et en s’éloignant des écoles et lycées, un sex-shop avait la possibilité de s’installer.
Quand, au début de l’année 2005, un entrepreneur prévient la mairie de Houilles de l’ouverture prochaine de son sex-shop, “Cassandre”, le maire décide par arrêté municipal d’en interdire l’ouverture (arrêté du 13 avril 2005, commune de Houilles). Le Tribunal administratif de Versailles, le 12 mai 2005, annule cet arrêté : le projet de sex-shop respecte les lois en vigueur (se situant à distance de tout établissement scolaire), et surtout, l’opposition locale sur lequel s’appuie le maire pour faire valoir ses pouvoirs de police se réduit en fait à une pétition signée par seize (16) personnes.
Le maire de Houilles fait appel et le Conseil d’Etat (juge des référés) rend rapidement une ordonnance, donnant raison au maire : un maire a le droit d’interdire l’ouverture d’un sex-shop. La rapidité d’action du Conseil d’Etat a été célébrée par les commentateurs (c’est le 8 juin 2005 que la décision est rendue), qui ont néanmoins trouvé étrange la prise en compte d’une nouvelle pétition, signée par mille six-cents (1600) personnes après l’annulation de l’arrêté municipal par le T.A. de Versailles.
Sylvain Hul, dans l’AJDA 2005(Jurisprudence, p. 1851, “Quand l’absence d’illégalité manifeste vient au secours de la moralité publique”) écrit ainsi :
Il est permis, en effet, de se demander si la production d’une pétition postérieure à l’intervention de la décision litigieuse serait de nature à emporter la conviction du juge de l’excès de pouvoir quant à l’existence de circonstances particulières justifiant, en dépit de sa conformité à la législation en vigueur, l’interdiction d’un établissement semblable à celui ici en cause.
Mylène Le Roux, dans une longue note des Cahiers Administratifs et Politistes du Ponant (une revue de l’université de Brest, automne-hiver 2005), écrit aussi :
utiliser en l’espèce cette solution [une pétition postérieure à la décision de première instance] équivaut à valider rétroactivement un acte qui n’était pas légal au moment de son adoption [l’arrêté municipal d’avril 2005], faute d’éléments justifiant des risques de troubles à l’ordre public.
Même si aucune référence explicite à la moralité publique ne figure dans cette décision du Conseil d’Etat (la moralité publique étant difficile à manier), il apparaît clairement qu’elle contribue à établir les frontières de la liberté du commerce.
Cette ordonnance du Conseil d’Etat a été rapidement publicisée, par exemple dans la réponse donnée à la question d’un sénateur qui demandait si un maire est habilité à interdire la création d’un sex-shop dans l’ensemble du centre piétonnier de sa ville (novembre 2005). Le Ministre de l’intérieur (Sarkozy) répond que :
le maire peut faire usage des pouvoirs de police générale dont il dispose à l’égard d’un établissement qui, sans tomber sous le coup ni de l’interdiction édictée par la loi du 30 juillet 1987 précitée, ni de l’incrimination prévue par l’article 227-24 du code pénal, présenterait, en raison des circonstances locales, des dangers particuliers pour la jeunesse ou pour la tranquillité de la population.
La décision du Conseil d’Etat était rendue dans le cadre d’un “référé-liberté“, et l’on attendait donc la décision des juges “du fond” : “L’on peut imaginer la perplexité avec laquelle les juges du fond accueilleront cette ordonnance lorsqu’ils auront à juger de la légalité de la décision du maire de Houille d’interdire l’ouverture du sex-shop”, écrivait ainsi Mylène Le Roux.
Cette perplexité, malheureusement, n’est pas décelable à mes yeux dans la décision récente du Tribunal administratif de Versailles (4e Chambre, 12 mai 2006, n°0504136, Sté Cassandre c. Commune de Houilles), qui valide l’arrêté municipal. La décision d’interdiction du maire est fondée “sur des motifs tirés d’une part de la tranquillité de la population, d’autre part de la présence à proximité du commerce litigieux d’établissements scolaires et d’équipements destinés à la jeunesse” :
Considérant, en second lieu, qu’il ressort des pièces du dossier qu’une école maternelle et une école primaire sont situées certes à plus de cent mètres mais tout de même non loin du commerce litigieux; que surtout la commune aménage à proximité de ce commerce un “pôle jeunesse” destiné à abriter des services d’animation, d’information et de loisirs à l’intention des jeunes; qu’eu égard à ces éléments (…) la mesure prise par le maire de Houilles ne fait pas apparaître d’atteinte manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue la liberté du commerce et de l’industrie”
C’est le “tout de même non loin du commerce litigieux” qui m’intrigue : si l’article de loi du 30 juillet 1987 avait établi une distance interdite de 100m autour des établissements scolaires, c’est bien pour — a contrario — rendre licites les installations de sex-shops à 101m et plus. L’extension du domaine interdit (par la distance et l’inclusion des “pôles jeunesse en projet”) montre combien se construit un urbanisme fondé sur la figure de l’enfant mis en danger par la sexualité adulte. Et cela même si cette sexualité est enfermée sous des vitrines opaques et à bonne distance des écoles.
Les commentateurs voient souvent dans certaines pratiques étatsuniennes une mise en application du puritanisme (en traçant rapidement cela aux origines du peuplement de la colonie, même si les Puritains proprement dit n’ont jamais constitué qu’une minorité du peuplement, éteinte en l’espace de quelques générations). L’interdiction de la vente des godemichés au Texas, ainsi, soulève bien des sourires (et un documentaire, Dildo Diaries, est diffusé à ce sujet sur PinkTV ce soir). Mais il faut souligner combien ces décisions d’Etats fédérés ou de comtés sont combattues en justice (notamment grâce à l’aide de l’ACLU) et reçoivent une large publicité. Il n’en va pas toujours de même de ce côté de l’Atlantique.
Mise à jour du 22 février 2007 L’article 99 de la loi du 30 juillet 1987 a été modifié en février 2007 : l’interdiction d’installation est de deux cents mètres, et la définition des sex-shops change. Pour plus d’informations, consulter cet article.