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Les billets de October, 2006 (ordre chronologique)

Le site de socio…

Il y a un an et demi, j’ai mis en place le site internet du département de sociologie de l’université Paris 8, pour donner une visibilité au travail des enseignants-chercheurs, mais aussi, si possible, à celui des étudiants. Après quelques semaines en html, le site est passé à wordpress, le système de publication que j’utilise sur ce blog.
J’ai agi en despote, en privilégiant le minimalisme dans la décoration (pas d’images, pas de gifs-animés, pas de fond coloré) et la structure générale (l’idée étant de minimiser le nombre de clics), et sans consulter ni réunion de concertation ni collectif d’évaluation. Il n’y a pas non plus de “première page” qui dise : “vous êtes sur le site de…, cliquez pour entrer, passer l’introduction, attendez le téléchargement…”, car ces pages sont inutiles. De l’autre côté, contrepartie de ce despotisme, j’ai pris seul en charge le remplissage du site (bibliographie des enseignants, photos prises en douce lors des réunions de département, constitution d’une base de données des ISBN des ouvrages individuels et collectifs…) afin qu’il n’y ai, jamais, au grand jamais, de page “en construction” ou “prochainement”. Mais le but n’était pas de créer un système où seule la personne versée dans le FTP, le php ou le CSS pouvait mettre à jour le site. D’ailleurs, l’idée de “mise à jour” est abandonnée : le site est, et j’en suis content, vivant, jour après jour. Les secrétariats de licence et de master ont en effet, progressivement, sans conversion brutale, commencé à utiliser le formulaire de publication, et désormais, la quasi-totalité des informations qui étaient “affichées sur les tableaux à l’entrée du secrétariat” sont mises en ligne (cela se constate sur le site, en consultant les archives). Il semble que les étudiants aient de plus en plus connaissance du site (dont l’adresse figure sur les brochures, est affichée sur les murs, est distribuée en début d’année dans les cours…) : si je laisse ouverte la possibilité de commenter, les messages et les questions arrivent assez rapidement. Les personnes extérieures à l’université trouvent aussi le site assez rapidement : lors des périodes de recrutement, l’affichage du “profil” des postes ouverts, la publication des dates des auditions longtemps à l’avance… permettent aux candidats de bénéficier d’informations que certaines universités refusent même de dévoiler (notamment la composition de la “commission de spécialistes”).
C’est bien joli tout cela, mais comment est-ce traduit, concrètement ? Voici un an de visites résumées sur un petit graphique. Je me suis restreint ici au nombre de visiteurs distincts, par jour (identifiés par leur adresse IP). Je “moniteure” les statistiques à l’aide de deux services différents (google analytics et statcounter). Ces deux services s’entendent sur les tendances générales, mais pas vraiment sur le “vrai” nombre de visites. Il serait illusoire, donc, de proposer trop de chiffres.
visites sur le site internet
Les visites sont cycliques : le samedi est toujours le jour de repos, les vacances (hiver, juillet-août) amènent moins de monde. En mars-avril dernier, les mouvements d’étudiants opposés au CPE, les blocages-fermetures d’universités… ont amené un bon nombre d’étudiant à vérifier, avant de se déplacer, l’état d’ouverture de l’université. Nous avons utilisé le site internet du département de socio (qui peut être modifié à distance) pour diffuser certaines informations.
Depuis la fin août, le nombre de visiteurs sur le site augmente de manière exponentielle (mais à ce jour, cette hausse est finie) : il est possible qu’un réflexe soit pris, et que les étudiants en sociologie, nouveaux ou anciens, cherchent de manière routinière l’information sur le site.
Les “visiteurs” restent plus ou moins longtemps sur le site, ils cliquent sur un plus ou moins grand nombre de pages. Si l’on se concentre sur les visiteurs arrivant sur le site par l’intermédiaire d’un moteur de recherche et sur les mots-clés utilisés, l’on peut constater que l’origine de la recherche conduit à des comportements différents. Voici une liste des principaux mots clés utilisé par des visiteurs pour aboutir sur le site du département, pendant une période de quelques mois. La recherche la plus courante porte sur “sociologie”, et conduits les internautes à regarder, en moyenne, 3 pages (c’est à dire qu’ils cliquent sur deux liens hypertexte avant de s’en aller). La recherche donnant le comportement le plus “visqueux”, dans cette liste, est plus précise, et porte sur le département lui-même (entre 10 et 7 “pages vues”). Cela me semble être une bonne chose : le site semble être pile-poil ce pourquoi il était conçu.
mots clés utilisés, site internet
Pendant cette période, les membres du département les plus recherchés étaient Rémy Ponton (professeur et président de la commission de spécialistes), Charles Soulié (maître de conférence et assesseur de la commission de spécialistes), Thomas Sauvadet (ancien moniteur et “ATER”, ayant effectué sa thèse à Paris VIII) et Christelle Avril (“PRAG” au département de sociologie). D’autres enseignants (moi-même, d’autres) sont plus visibles sur d’autres sites (l’un d’entre eux a même une page sur wikipedia) et chercher leur nom sur google mènera principalement ailleurs. Il ne faudrait donc pas prendre cette liste pour un indice de popularité ou de célébrité, même s’il est tentant de le faire.
Les critiques sont les bienvenues. DirtyDenys, par exemple, trouvait que la restriction à 800 pixels de la largeur utilisée était trop sévère, étant donnée la grande disponibilité des écrans atteignant au moins 1000 ou 1200 pixels de large. Mes statistiques laissent quand même croire qu’un visiteur sur six possède un écran “800 x 600”. Mais dans le cours de l’année, il est fort probable que l’on passera à un layout plus large. Le choix de wordpress plutôt que SPIP était avant tout lié à ma connaissance du logiciel, et à la possibilité de ne laisser qu’une interface minimale aux utilisateurs-secrétaires (le manuel d’utilisation que j’ai fait tient en 4 copies d’écran sur deux pages A4) : “C’est comme envoyer un mail avec yahoo”, ai-je expliqué. Pas besoin, ainsi, de journées de formation à l’usage de SPIP (qui existent, mais qui semblent avoir un succès mitigé).
Il ne faut pas comprendre mon propos comme du Urfist f*cking : les Urfists de France (que je connais peu) diffusent peu à peu des techniques et des savoirs, je ne distribue qu’une technique “clique-ici” sans aucune réflexion ou partage de connaissance, je n’ai pas non plus intégré le site du département avec HAL-SHS (même si plusieurs enseignants y déposent leurs pré-publications)… Le tout est minimaliste et peut-être pas très évolutif (même si on peut faire des miracles avec des flux RSS : celui du site de sociologie est : http://www.univ-paris8.fr/sociologie/?feed=rss2, utilisez-le !).

Janet T. Neff

Il y a deux ans, j’ai publié, dans Critique Internationale un article intitulé « Devant Dieu et face au droit, le mariage religieux des homosexuels aux Etats-Unis ». Il commençait par la citation suivante :

Karen Debra Adelman et Mary Catherine Curtin ont célébré leur partenariat hier à Pittsfield (Massachusetts, dans la résidence de Cynthia et Steve R. Adelman, parents de Mme Adelman. La Révérende Kelly A. Gallagher, ministre de la United Church of Christ, a conduit la cérémonie d’engagement avec la juge Janet T. Neff de la cour d’appel du Michigan…
source : The New York Times, 22 septembre 2002, Section 9, p. 19.

Cet exemple m’intéressait : on y voyait une cérémonie d’union, publiée dans le NYT, qui avait comme célébrantes une pasteure protestante libérale et une juge séculière. Visiblement, le couple avait essayé, faute d’avoir accès au mariage légal — encore restreint aux couples de sexes différents –, de maximiser l’efficacité symbolique qu’offraient ces figures. Bien entendu, la juge Neff, même si elle était présente en tant que juge, n’a pas agit en fonction des pouvoirs que lui confère son poste. Elle n’a pas légalisé ce mariage. C’était probablement une amie de la famille. En revanche, la révérende Gallagher dispose de la bienveillance de sa dénomination, la UCC, pour pouvoir invoquer la bénédiction divine sur cette union (mais elle ne pouvait pas, dans ce cas précis, agir en tant qu’agent of the state).
Il n’empêche, un sénateur américain (l’affreux Brownback du Kansas, pour les connaisseurs) menace la promotion de la juge :

Same-Sex Rite Stalls Judge Nomination
Oct 06 12:28 PM US/Eastern By SAM HANANEL and KEN THOMAS
Associated Press Writers WASHINGTON
A Republican senator is holding up a Michigan judge’s nomination to the federal bench because she reportedly helped lead a commitment ceremony for a lesbian couple four years ago.
Sen. Sam Brownback of Kansas, an opponent of gay marriage who has presidential aspirations, said Friday he wants to know whether there was anything illegal or improper about the ceremony in Massachusetts.
He also said he wants to question Michigan Court of Appeals Judge Janet T. Neff about her views on gay marriage and how her actions might shape her judicial philosophy. (sources)

Le sénateur parle d’activisme judiciaire, de choses à vérifier. Il se demande si la juge n’a pas commis un acte illégal. Il relie sa présence chez les Adelman à des actions de désobéissance civile, et surtout à la décision du Massachusetts, quelques mois après, d’ouvrir le mariage (civil) aux couples du même sexe.
Pour essayer de démêler un peu tout cela, mon article, Devant Dieu et face au droit est disponible en ligne (sur la plateforme cairn.info de manière payante, et en “version préliminaire” sur HAL-SHS)

Droit des religions

Je redécouvre ce site consacré au droit des religions, appelé droitdesreligions.net et qui se penche principalement sur l’application du droit séculier aux confessions (et pas sur le droit interne des Eglises). Ce n’est donc pas sur ce site que l’on connaîtra l’évolution de la jurisprudence catholique sur les annulations de mariage, pourtant très utile quand on est princesse monégasque. Une plongée dans droitdesreligions.net permettra cependant de se tenir au courant des derniers jugements impliquant des croyants, des fidèles ou des institutions religieuses (je me demande d’ailleurs bien comment Sébastien Lherbier, le responsable du site, fait pour être au courant des jugements des cours administratives… Legifrance ne les indexe pas…). On regrettera l’absence de fil RSS et de “permalinks” évidents (l’ensemble du site se trouvant dans une “frame”).
De manière connexe, le New York Times consacre un dossier aux différentes exemptions légales dont bénéficient les organisations religieuses :

In recent years, many politicians and commentators have cited what they consider a nationwide “war on religion” that exposes religious organizations to hostility and discrimination. But such organizations — from mainline Presbyterian and Methodist churches to mosques to synagogues to Hindu temples — enjoy an abundance of exemptions from regulations and taxes. And the number is multiplying rapidly. (source)

Cette absence de taxation, de contrôles… pourrait-elle expliquer en partie la force des institutions religieuses ? Il nous faudrait un économiste, ici, qui relierait le nombre de fidèles (ou la participation aux offices) et la somme des taxes ou des régulations auxquelles sont soumises les Eglises. Aux Etats-Unis, il semble bien que les institutions religieuses bénéficient d’un avantage comparatif face aux institutions séculières offrant les mêmes services.

As religious activities expand far beyond weekly worship, that venerable tax break is expanding, too. In recent years, a church-run fitness center with a tanning bed and video arcade in Minnesota, a biblical theme park in Florida, a ministry’s 1,800-acre training retreat and conference center in Michigan, religious broadcasters’ transmission towers in Washington State, and housing for teachers at church-run schools in Alaska have all been granted tax breaks by local officials — or, when they balked, by the courts or state legislators.

Un des usages les plus folkloriques, et peut-être le plus connu, a été promu par la Universal Life Church : elle ordonne ses pasteurs sur simple demande postale, et dans les années soixante-dix, un village entier s’était fait ordonner, afin d’échapper à toute taxation, en tant que communauté religieuse. Cela n’a pas tenu longtemps. Mais il apparaît avec cet exemple et de nombreux autres moins exotiques qu’il y a un intérêt financier (et pas seulement symbolique) à obtenir un classement de ses activités dans la catégorie “religion”. Qui classe ? Qui définit les frontières de la catégorie ? Assez souvent, semble-t-il, c’est après une négociation, un conflit, une action en justice… — et donc un contact prolongé avec le monde séculier et ses pratiques — que le caractère religieux, et donc la possibilité d’une plus grande liberté d’agir, est reconnu.

En finir avec les mariages civils-religieux

Le diocèse épiscopalien du Massachusetts se demande s’il ne serait pas préférable d’en finir avec la célébration des mariages civils-religieux. Aux Etats-Unis, les pasteurs, prêtres, rabbins, imams, etc… sont autorisés à célébrer, au nom de l’Etat, des mariages civils. Ils sont, au moment de signer la “licence” de mariage (le document nécessaire à l’établissement d’un mariage aux yeux des autorités civiles), dépositaires d’un pouvoir étatique. Et, en général, la formule utilisée dans le cadre de la cérémonie religieuse est “By the power vested in me by the State of … I now pronounce you husband and wife” (dans le cas des mariages ou les personnes sont de sexes différents, bien sûr).
Cette caractéristique étrange de la séparation des Eglises et de l’Etat n’a jamais été fortement contestée, principalement, à mon avis, parce qu’elle n’impose pas de nuisance particulière aux dénominations religieuses ni n’instaure de différences entre religions (vous êtes ordonné, OK, vous pouvez célébrer…). [Un exemple, anecdotique, Homer Simpson, le personnage du dessin animé, se fait ordonner dans un épisode de 2005, pour célébrer le mariage de deux hommes. Un autre exemple, dans le même billet, est extrait d’un entretien avec un homme du Vermont s’étant fait ordonné par correspondance, pour célébrer l’union civile d’un couple de ses amis]
Mais voici que le mariage gay, dans l’Etat du Massachusetts, vient remettre ce consensus en question :

A group of local Episcopal priests, saying that the gay marriage debate has intensified their longtime concern about acting as agents of the state by officiating at marriages, is proposing that the Episcopal Church adopt a new approach. Any couples qualified to get married under state law could be married by a justice of the peace, and then, if they want a religious imprimatur for their marriage, they could come to the Episcopal Church seeking a blessing from a priest.
source : The Boston Globe)

Le principal problème, tel que le relate le Boston Globe, est un problème d’égalité de traitement entre couples du même sexe et couples de sexes différents. L’Eglise épiscopalienne ne permet pas la célébration religieuse d’un mariage pour les couples du même sexe, elle n’autorise qu’une bénédiction générale. Alors que l’Etat a ouvert le mariage à ces couples, depuis plus de deux ans (et promeut donc une égalité de traitement). L’assemblée générale des épiscopaliens du Massachusetts va donc examiner une résolution (un projet de règlementation) :

The resolution would declare diocesan convention’s desire that, starting in January 2008, Episcopal marriages be presided over by an agent of the state, and not Episcopal clergy, whose role would be limited to blessing a married couple. That is the system currently in place for gay and lesbian couples at Episcopal churches. In some cases, the civil and religious ceremonies both take place in the church; the couple can bring a justice of the peace, or a minister of another denomination, who signs the state marriage license and pronounces the couple married, and then the Episcopal priest blesses the couple. In other cases, the civil and religious ceremonies take place separately.

L’établissement de compromis de ce type, au Vermont, m’avait énormément intéressé en son temps. Le Vermont avait créé un système d’unions civiles en 1999, et autorisé les personnes ordonnées à célébrer et certifier ces contrats au nom de l’Etat, qui devenaient des “Religious civil unions. J’avais essayé aussi de passer en revue, autour du mariage, l’histoire récente de l’utilisation du clergé comme agent of the state (dans un article publié dans Matériaux pour l’histoire de notre temps). Je regrette donc de ne pas être en ce moment au Massachusetts pour étudier cette accommodation du monde religieux à l’innovation juridique que constitue le mariage (civil) des couples du même sexe.
Les fans des compromis séculier-religieux pourront aussi s’amuser avec un début d’analyse statistique : quelle sorte de couple se marie religieusement ?.

De l’Ange

Savalette de LangeMademoiselle Henriette-Jenny Savalette de Lange fait partie, pour de nombreux site internet américains, des famous LGBT. Mlle Jenny, qui a vécu des années 1780 à 1858, a en effet été découverte homme au moment de sa toilette mortuaire. Mais elle avait vécu, tout au long de sa vie, comme femme, sans éveiller le moindre soupçon. Napoléon, puis Charles X, lui avaient accordé une pension (pour services rendus par sa famille à la France). Les éditions Dilecta ont publié il y a quelques mois un texte étrange mais très instructif, rédigé peu après la mort de l’homme-femme, à la fois compte-rendu factuel des différentes adresses occupées par Mlle Jenny, mais aussi copie des lettres envoyées par des soupirants, lui demandant sa main, et par d’illustres comtesses, comme celle-ci :

Mon cher ange,
Mon mari vient de partir pour Paris, où il doit rester un mois. Tu ne voudra s pas, bien certainement, me faire le chagrin de me laisser seule ici pendant tout ce temps. Vient donc de suite, je t’en prie. Tu sais que mon mari est très jaloux et, bien qu’il n’ait manifesté aucun sentiment de défiance en me laissant seule, je désire lui apprendre au plus tôt, pour sa tranquillité, que tu me tiendras compagnie en son absence.

Sur l’homme-femme connu sous le nom de Mademoiselle Savalette de Lange, de Hérail, a de plus une préface très instructive, de Frédéric Prot.
Jenny de Lange était elle transgenre ou “invertie” ? Etait-elle attirée par les femmes (et les femmes par elle… si l’on lit la lettre précédente avec l’esprit malin) ? Par les hommes (les nombreuses demandes en mariage laissent penser qu’elle n’éconduisait pas immédiatement tous les prétendants) ? Par l’argent (Savalette de Lange est un peu le Christophe Rocancourt des années 1830…) ? Les questions furent nombreuses dès sa mort (l’on crut même, un instant, qu’il s’agissait de Louis XVII, et que son travestissement était une protection)…
Sans transition, l’on apprend ce jour la mort de Coccinelle, sans doute la transsexuelle la plus célèbre des années soixante.

Décès de la meneuse de revue transsexuelle Coccinelle
AFP 10.10.06 | 17h23
La chanteuse et meneuse de revue Coccinelle, première transsexuelle médiatisée, est morte lundi soir à Marseille à l’âge de 75 ans, à la Timone où elle était hospitalisée depuis fin juillet à la suite d’un accident vasculaire cérébral, a annoncé mardi son entourage.
Né à Paris en août 1931, Jacques-Charles Dufresnoy, alias Coccinelle, son nom d’artiste, était devenu à l’état-civil Jacqueline-Charlotte Dufresnoy après son opération en 1958 à Casablanca (Maroc).
Sa carrière d’artiste avait débuté en 1953 “Chez Madame Arthur”, célèbre cabaret parisien de transformistes, avec une chanson de Danièle Darrieux tirée du film “Premier rendez-vous”. Après son opération, Coccinelle était devenue l’icône de la cause transgenre en France et avait connu dans les années 60 la notoriété comme chanteuse et meneuse de revues.
Depuis une quinzaine d’années, elle vivait à Marseille.
Son dernier album, sorti en 2005, contenait des reprises de chansons de ses revues de l’Alcazar ou du Carrousel de Paris.
Ses funérailles seront célébrées “dans la plus stricte intimité” samedi à Marseille, a indiqué l’un de ses proches à l’AFP.

J’espère que ses textes, ses lettres, ses archives personnelles seront transmises aux Archives nationales ou à un centre de documentation. L’histoire de la transsexualité en France est un chantier à peine commencé, un chantier pourtant important (ne serait-ce que pour comparer avec l’histoire américaine de la transsexualité) et dans lequel la figure de Coccinelle fut un moment centrale.

Moitié de Full Disclosure : J’ai reçu l’ouvrage sur Mlle Jenny gratuitement.

Mise à jour du 11/10/2006 : je découvre (et achète) ce jour Histoire des transsexuels en France de Maxime Foerster (éditions H.O.).

Recrutements et petits arrangements

Les procédures de recrutement aux postes universitaires sont complexes et assez souvent peu transparentes (en tout cas en sciences humaines, en mathématiques c’est différent). Les dates des auditions ne sont pas diffusées, les candidats auditionnés restent secrets, le classement final des candidatures circule plus ou moins publiquement. Tout cela contribue souvent à laisser penser que ce sont des “candidats locaux” qui sont recrutés, c’est à dire des personnes ayant fait leur thèse dans l’université. Souvent même, en contradiction flagrante avec les textes règlementaires, les commissions de spécialistes chargées d’étudier les dossiers des candidats refusent d’envoyer aux candidats les rapports. Il faut ici rappeler ce que précise le Guide de fonctionnement des commissions de spécialistes (que tous les candidats devraient lire, parfois ils ou elles s’imaginent des droits qui n’existent pas dans les textes) :

Les rapports doivent impérativement être écrits, signés et datés : leur caractère communicable à l’issue du concours de recrutement implique que ces rapports doivent être rédigés avec la plus grande rigueur : tout manquement à ces règles élémentaires peut provoquer l’annulation d’un concours pour vice de forme.
source : Guide de fonctionnement des commissions de spécialistes, Bureau DPE A2, ministère de l’éducation nationale, 2002

Caroline Legrand en a fait l’expérience, comme d’autres.
Comment faire pour que les commissions de spécialistes respectent leurs obligations ? Mes propositions sont minimalistes et gardent en place la structure…

  • Il faudrait tout d’abord que leur composition soit bien connue, et que les secrétariats (de département ou des bureaux du personnel enseignant) les diffusent (parfois, un coup de téléphone donne pour réponse : nous ne diffusons pas ce genre d’information). J’espère que le tout nouveau site de l’UFR de sciences sociales de l’université Marc Bloch de Strasbourg proposera ces informations. Je sais par ailleurs que l’association Droit d’Entrée tente de mettre en place un système inspiré du fonctionnement des recrutements en mathématiques, que les matheux appellent L’opération postes. Si vous avez connaissance de la composition actuelle d’une commission de spécialistes en section 19 (sociologie) ou 20 (anthropologie), n’hésitez pas à la laisser en commentaire de ce billet, et à contacter Droit d’Entrée.
    L’Association nationale des candidats aux métiers de la science politique réalise un travail important d’information : et sa liste de diffusion très réactive annonce parfois aux candidats auditionnés leur recrutement avant même que les membres des “com’ de spé'” aient pu les prévenir individuellement (ce qui devrait se faire impérativement, ne serait-ce que par simple politesse). L’ANCMSP a même mis en ligne une Charte du recrutement qui contient un bon nombre d’idées de bon sens.
  • Il faut aussi que les candidats qui s’estiment lésés avertissent les associations de doctorants ou de jeunes docteurs (Droit d’Entrée, ANCMSP), qui pourraient ainsi, au minimum, avoir une connaissance un peu plus précise des situations problématiques. Mais aussi les associations professionnelles qui, souvent, ont des prétentions éthiques ou déontologiques, comme l’Association française de sociologie (AFS), ou l’Association des sociologues enseignants du supérieur (ASES). Il serait intéressant de connaître le taux d’annulation pour vice de forme par section du CNU…
  • Des “blogs” (je pense à ceux de candidats ou futurs candidats, comme Fabrice Fernandez, ou Xavier Zunigo, ou Samuel Lézé, ou Titejuju…) pourraient aussi rester alertes. Ceux de jeunes universitaires “statutaires” (je pense à Nicolas Auray… mais il y en a d’autres) pourraient dévier un moment de leurs thèmes de prédilection pour parler un peu du fonctionnement interne de leur institution. L’auteur anonyme du blog “Faut pas rester Là” proposait des mesures plus radicales, et le portrait de Frédéric ou la qualification.

Ceci s’ajoute à mes précédents conseils concernant la rédaction des CV analytiques, et aux études profondes d’Olivier Godechot et Nicolas Mariot sur le localisme, le recrutement et la science politique.
Enfin, pour finir : au département de sociologie de l’université Paris 8, nous (plutôt le président de la commission) envoyons les rapports aux candidats qui le souhaitent. Comme la procédure est maintenant affichée clairement sur le site internet, nous avons probablement plus de rapports à envoyer que d’autres départements. Et les candidats souhaitant leurs rapports ne sont pas marqués d’une croix noire, ce contrairement à une opinion qui court et qui se résume souvent à “je vais passer pour le chieur de service”.
Mise à jour : Suite à ce billet,

  • Affordance (Olivier Ertzscheid, maître de conférences) propose quelques pistes de réflexion supplémentaires.
  • Psychologie sociale fait de la publicité pour le wonderful Guide de fonctionnement des commissions de spécialistes.

Campagne pour la présidence

A Paris 8, nous n’avons pas encore de Ségolène, ni vraiment de Nicolas. Le nombre de vieux Mao, et de Lev Davidovich est quelque peu surestimé. Les Иосиф Виссарионович se cachent.
Mais l’ancien président, Pierre Lunel (le biographe du mercenaire Bob Denard et auteur de livres d’entretiens avec Soeur Emmanuelle et l’Abbé Pierre) s’en est allé. Et les “Conseils centraux” doivent en élire un nouveau. L’un des candidats, Gérard Mairet (sciences politiques) a un Blog… Avec photos et professions de foi, et possibilité de commenter. Les autres candidats, pour l’instant, je ne sais pas s’ils ont des blogs.
Extrait :

La prochaine présidence aura pour tâche de réussir un exercice difficile : tout en poursuivant la modernisation de notre université, il s’agira d’exercer un droit d’inventaire, notamment sur la question cruciale de la direction démocratique de l’Université Paris 8, et d’opérer le tournant nécessaire du renouveau.
source : Gérard Mairet

Il pourrait mettre en ligne d’autres photos de l’université, qui soulignent l’état de délabrement physique des bâtiments (toilettes qui fuient, faux-plafonds qui tombent sur les étudiants, graffitis jamais nettoyés…)

Le métier de prêtre

Céline Béraud a publié il y a quelques semaine un livre fort intéressant, Le Métier de prêtre (éditions de l’Atelier). Cet ouvrage propose un croisement fructueux entre sociologie du travail et sociologie des religions, ou plutôt, propose de prendre un des objets centraux de la sociologie des religions (le prêtre) pour l’analyser au travers des problématiques issues de la sociologie du travail (qui s’intéresse surtout aux professions laïques). L’entreprise sera sans doute jugée iconoclaste ou hérétique. A coup sûr par certains prêtres refusant de concevoir leur occupation comme un métier, mais comme une vocation irréductible à toute approche profane. Il ne faudrait pas qu’elle échappe aux sociologues du travail (elle ne le sera sans doute pas totalement, Céline Béraud ayant publié un article, Les « intermittents » de l’Église. Modalités d’emploi des personnels laïcs dans le catholicisme français dans la revue Sociologie du travail.
Métier de prêtre Celine BeraudJ’ai dans ce livre un chapitre préféré, le chapitre 2, intitulé “Le statut administratif du prêtre”. Dans ces pages, Céline Béraud prend au sérieux le travail d’objectivation réalisé par l’Etat et ses satellites. Le “prêtre” est ici envisagé en tant que catégorie socio-professionnelle, dans ses relations avec la Sécurité sociale, et enfin à partir du « cas limite » du prêtre au chômage. A travers le “regard” bureaucratique, le prêtre catholique prend forme administrative. Et c’est là un point d’importance. Les catégories construites par le monde séculier ne sont pas sans effet sur le métier de prêtre. On décèle, dans ce chapitre, combien les catégories d’Etat finissent par décrire assez bien ce qu’est un prêtre. C’est à la fois le signe d’un rapprochement de l’Eglise et du monde séculier (un rapprochement fait de compromis avec la Sécu et la possibilité de quitter la prêtrise, et, donc, de se retrouver au chômage). Mais c’est aussi le signe d’une “sécularisation interne” de l’Eglise : quand une grille de lecture séculière finit par s’appliquer — sans trop déformer — à l’Eglise, c’est le signe que, même intérieurement, elle s’est transformée.
L’usage sociologie possible des “formes instituées” (instituées à l’extérieur de la sociologie) est un de mes dadas, et le livre de Céline Béraud ne se réduit pas au statut administratif du prêtre : l’auteure explore aussi (et surtout) la professionnalisation du prêtre (de l’homme orchestre au chef d’orchestre) et le “nouvel idéal vocationnel”, qui s’avère être fortement compatible avec l’idéal de l’accomplissement personnel qui sous-tend d’autres professions.

Full disclosure : je suis cité dans les remerciements (vous savez, le paragraphe que l’on cherche en premier à l’ouverture d’un livre…)

Facs dégradées

Le journal Le Parisien propose aujourd’hui un article sur l’état de dégradation physique des universités françaises. Le Journal télévisé de France 2 suivait par un reportage rapide, qui, malheureusement, fait la propagande de l’UNI (le syndicat étudiant pas très clair). Le président de Paris III Censier (Monsieur Bosredon), invité en direct, avalait plus de mots qu’il n’en prononçait, ce qui rendait difficile la compréhension de ses revendications… [Un entraînement aurait été souhaitable… et je parle en connaissance de cause, après avoir mangé de nombreux mots chez FranceCulture.]

Et, pour les amateurs de moisissures, de faux-plafonds qui tombent, de graffitis dégoûtants, voici une photo de l’université Paris 8 :
Université Paris 8
D’autres photos de Paris VIII, où le sol lui-même tombe en miettes…

mise à jour : plus de réflexion chez Manuel Canevet, de l’université de Nantes.

Géographie des sex-shops toulousains (1970-1976)

Dans un mémoire de master de géographie, Marc Skerrett propose une histoire de l’implantation des sex-shops à Toulouse (et plus largement dans le midi), entre la fin des années 1960 et la deuxième moitié des années 1970. Les travaux portant sur ce type de magasins sont bien trop rares, et le travail de Skerrett est fort éclairant.
Son propos est centré sur la constitution d’un espace marchand, et il tient, tout au long de son travail, les deux dimensions d’une géographie sociale du commerce sexuel.
Il souligne un mouvement que je n’avais pas saisi aussi profondément dans mes recherches, le passage d’un premier moment, autour du début des années 1970, où les sex-shops s’appuient sur un discours sexologique généraliste popularisé autour des années 1968, sur la norme de “l’orgasme idéal” (mise en lumière par Pollak et Béjin) : finalement sur un “devoir de plaisir” qui s’adresse à toute la population. Il s’appuie pour affirmer cela sur un faisceau de sources (entretiens biographiques avec un des pionniers, analyse des publicités dans la Dépêche du Midi, interprétation de la localisation des premiers magasins). Pour attirer un large public et valider leur “prétention à un large degré de généralité”, les premiers sex-shops s’installent dans des rues passantes, au centre de la ville — centre de la cité, le personnel commercial est plutôt féminin, et les références les plus légitimes. Le “pionnier” s’explique ainsi :

« Moi, j’ai réfléchi avec d’autres personnes à Toulouse, on en avait parlé, on m’a dit, mais les sex-shops, ça a un grand avenir parce que l’idée des gens de 68, c’était de faire évoluer l’humain, apprendre aux gens à faire l’amour de façon à ce qu’ils soient plus heureux (…). Et alors, il y a un type ici que je connaissais bien, il m’a dit, il va falloir acheter des boutiques très grandes, (en) plein centre-ville et tu auras des vendeurs ou des vendeuses en blouse comme dans une pharmacie et on vendra des produits comme ça… »
source : Marc Skerrett, La genèse territoriale d’une «industrie du sexe» : le cas des sex-shops à Toulouse, mémoire de master 2 de géographie, Université Toulouse II Le Mirail (Institut de géographie D. Faucher), octobre 2006

Skerrett analyse alors la concentration progressive autour des quartiers chauds comme un abandon de cette volonté de généralité : c’est “l’effritement du rayonnement global au profit d’une inscription locale”. Le discours sexologique est tourné en ridicule, la spécialisation se fait par préférence sexuelles, la clientèle ciblée est dorénavant masculine. “Les sex-shops n’appartiennent plus formellement — dès le milieu des années 1970 — au parcours initiatique du couple mais se présentent comme une chasse gardée masculine. (…) Au lieu d’attirer “la” clientèle au chant des sirènes de la libération sexuelle, le sex-shop a ciblé “une” clientèle plus spécifique…” (source : Skerrett).
Mais plus qu’un “repère conventionnel des quartiers chauds”, les sex-shops contribuent à la constitution de ces quartiers, autour de lieux de prostitution, de bars ouverts tards, de cinémas pornographiques — à la durée de vie courte –, de gares routières ou ferrovières… La tendance existe de considérer ces “quartiers chauds” comme intemporels. Il me semblent que leur constitution est en permanence renouvellée, qu’ils ne sont jamais assurés de rester chauds bien longtemps.

[Note : Tout comme, l’année dernière Irene Roca avait eu vent de mes travaux grâce à Monsieur Google, Marc Skerrett est tombé sur un stade initial de mes recherches avec l’aide du moteur de recherche susmentionné. Deux exemples, s’il en fallait encore, de l’intérêt des “prépublications” sur internet, et des blogs, pour la recherche en sciences sociale…]
[Mise à jour : le billet a été remarqué par rezo.net. Les visiteurs voudront peut être lire les souvenirs d’une vendeuse de sex-shops (vers 1972) ou se renseigner sur l’image des sex-shops dans les dessins de presse de 1971 (ou en 1970, ou encore lire la première préhistoire des sex-shops…]

Égouts : la merde n’est pas une marchandise comme les autres

Dans la belle librairie Le Genre urbain j’ai découvert, il y a quelques jours, Basses Œuvres d’Agnès Jeanjean, sous-titré “Une ethnologie du travail dans les égouts”. Je l’ai acheté de suite (et pas seulement parce que, le 1er octobre, les égoutiers commençaient à demander leurs étrennes). D’un côté, l’objet m’apparaissait bien “petit”, ig-noble, dégoûtant et sale (le type même d’objet de recherche qui s’attache à la réputation du chercheur) et donc intéressant. D’un autre côté, entre les égoutiers, de par leur fonction obligés d’entrer en contact avec les excréments et autres déchets humains, et les vendeurs de sex-shops, parfois contraints de nettoyer les cabines de projection vidéo, il me semblait pouvoir y avoir quelques points de comparaisons intéressants.
Il y en a, mais l’ouvrage d’Agnès Jeanjean a plus. L’ambition “anthropologique” (au sens de recherche d’invariants culturels universels) se manifeste par l’appel à certains auteurs, et au recours à de gros concepts (souillure, sacré, secret…). Mais elle me semble moins aboutie que le travail plus proprement sociologique (ici compris comme une attention constante portée aux traductions pratiques et théoriques des positions différentielles dans une structure sociale). En surface, A. Jeanjean décrit la variété des statuts (employés municipaux, ouvriers d’entreprises privées, des stations d’épuration, cadres et managers…), dont la hiérarchie a quelque chose à voir avec le degré d’éloignement (symbolique ou physique) avec les eaux usées. Mais la lecture laisse surtout l’image amusante — et inquiétante — de la néolibéralisation de la merde, car « (pull)les égouts, c’est rentable(/pull) » soulignent certains enquêtés. Facturation du travail en équivalent heure-camion, cadres pris dans “logiques du projet” et “logique de réseaux” (analysées finement à travers les légions de dîners de travail, de déjeuners de fin de travaux…), dé-municipalisation des basses œuvres (plus ou moins privatisées et confiées aux antennes locales de multinationales).
Il ne manque à cela qu’un groupe altermondialiste s’opposant à ce que la merde soit considérée comme une marchandise comme les autres (semblent-ils préférer, comme la plupart des sociologues, des objets plus nobles ?).

Pour aller plus loin

Les noces de Cana

D’après Jean 2:1-11 :

« Le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi fut invité à la noce ainsi que ses disciples. Le vin venant à manquer, la mère de Jésus lui dit « Ils n’ont pas de vin ».


Rowan Atkinson sur YouTube.

La commission d’enquête sur les sectes…

J’essaie de suivre d’assez près la Commission d’enquête parlementaire sur l’influence des mouvements sectaires sur les mineurs. La qualité des interventions est inégale. Il s’agit pourtant d’auditions à l’Assemblée nationale, devant nos représentants élus. Cette commission a des buts normatifs : réformer ou proposer de nouvelles lois. Elles occupent le temps — et longtemps — de ces élus. L’on pourrait s’attendre à des échanges d’une qualité minimale (dans le raisonnement, les faits rapportés, les réflexions, les définitions). Un chercheur comme Sébastien Fath aurait pu être invité à y participer [en fait, ce ne sont pas des invitations, mais des réquisitions : l’on ne peut refuser de participer, une fois convoqué]. Des membres de mouvements visés par les parlementaires auraient pu être conviés.
Au contraire, on a le droit d’entendre un député (Jacques Myard) parler de “malversations sexuelles” (sic ??) et de pressions américaines (l’anti-américanisme de certain-e-s élu-e-s est important, et c’est un anti-américanisme fondé sur ce qu’ils conçoivent être des ingérences dans l’espace public national). Il a face à lui la présidente d’une association internationale, “Innocence en danger”, dont le discours, vous allez pouvoir le vérifier, est fondé sur des bases inégalement assurées :

Retenons une citation :

Bon, Tom Cruise, c’est la Scientologie, mais il y a une autre secte qui est extrêmement puissante aux Etats-Unis, c’est les évangélistes

Cette phrase devrait faire sursauter Sébastien Fath, à plusieurs niveaux : un petit sursaut (une question de termes : Homayra Sellier veut sans doute parler d’Evangéliques), un sursaut plus important (l’on parle ici en fait d’un mouvement religieux peu coordonné, certes en tension relative avec le monde contemporain, mais largement inscrit dans la modernité, ne prônant ni exclusivisme religieux absolu, ni socialisation séparée…), et enfin un sursaut jusqu’au troisième étage du “site Pouchet” (comparer les quelques milliers de scientologues et les dizaines de millions d’évangéliques en une seule petite phrase… c’est manquer de la plus élémentaire notion d’échelle).
Je ne suis pas tendre avec Mme Sellier. C’est avant tout parce que j’estime — me voilà fort normatif — qu’une audition, lors d’une commission d’enquête, ne doit pas s’appuyer sur des on-dits, des “j’ai vu un reportage à Envoyé Spécial”…

J’ai pas été témoin direct (…) Ce que je sais sur le mouvement des raéliens, c’est ce que j’ai lu. C’est un document extraordinaire qui a été tourné par une journaliste française…

Toutes les auditions ne sont pas aussi dénuées de fondement. Il y a eu “pire” (l’audition de l’AFSI). Il y a eu bien mieux : L’audition la mieux construite, j’en parlerai prochainement, provenait d’un ancien Témoin de Jéhovah qui avait une maîtrise étonnante du discours en public, une force de conviction et un raisonnement mesuré mais aussi très réflexif (peut-être dû en partie à une socialisation chez les TJ : lecture biblique, confessions publiques, evangélisation de trottoir, porte-à-porte aident à apprendre à parler en public).
Mais là, il faut laisser encore une fois la parole à Mme Sellier. Je n’ai pas essayé de sélectionner les passages les plus amusants :

L’on a ici non seulement une absence de compréhension des mécanismes d’adhésion et de croyance (les Raéliens ont des doctrines trop drôles pour être vraiment dangereux… Par comparaison qu’une vierge elle-même conçue “sans péché” puisse accoucher d’un sauveur miraculeux annoncé par une étoile… fait tout à fait sens, n’est-ce pas ?), mais la volonté de limiter fortement la liberté d’expression, au nom, bien sûr, des “enfants”.
L’on a donc, in fine, une sélection rigide d’intervenants (en provenance il est vrai de nombreux secteurs de l’Etat — juges, policiers… — du para-étatiques — associations reconnues d’utilité publiques et financées par subventions — et du secteur associatif). Mais une partie des intervenants semble avoir été sélectionnée par effet de réseau ou proximité personnelle plus que pour la qualité de ses recherches ou de ses analyses.
Je me demande bien ce que l’on pourra lire dans le rapport qui sera construit à partir de ces auditions…

Capitalisme, cabines et business plan

Penchons-nous aujourd’hui sur deux aspects de l’industrie du sexe. Tout d’abord sur son aspect “artisanal”, puis sur un aspect “entrepreneurial”.
Vers 1973-1974 apparaissent dans les sex-shops des cabines de projection. Les premières ressemblent surtout à des isoloirs ou des armoires. Les hommes doivent se tenir debout et regarder la réflexion sur un miroir d’un film “super-8”. Des brevets ont sans doute été déposés, mais je n’ai pas réussi à en retrouver. Rapidement, les systèmes se spécialisent et s’améliorent. Le passage à la vidéo, VHS puis DVD, a encore changé les dispositifs. Des installations électroniques gèrent aujourd’hui de manière centralisée certaines cabines.
L’on peut trouver, dans de petits magasins, des installations bricolées. L’on trouve aussi de fort beaux systèmes. R.L. m’apprenait hier qu’une entreprise est même spécialisée dans l’installation de cabines vidéo, BPElectronique de Paris (11e).

BPElectronique systemeEn marge des systèmes de commutation audio / vidéo, nous avons développé des installations complètes de diffusion de films, essentiellement destinés à l’équipement de sex-shops ou d’erotics centers.
La composition de ces installations de vidéo pour sex-shop est la suivante :
un certain nombre de cabines (entre 2 et 24), chaque cabine est équipée d’un boîtier de commande, d’un ensemble de monétique, et d’un moniteur couleur.
Un serveur vidéo (…)
Un PC qui contrôle l’ensemble (…)
Ces ensembles sont réalisés entièrement dans nos ateliers, offrant ainsi une grande souplesse quant aux caractéristiques et originalités de chaque installation.
source : BPElectronique

Les installateurs ont prévu la nécessité du nettoyage de ces cabines destinées au visionnage de vidéos pornographiques et à la masturbation :

BPelectronique amenagement cabinesLes cabines de projection étant accessibles à un public pas toujours soigneux, les claviers mécaniques ont fait place à des touches sensitives, les habituelles sérigraphies, à des technologies utilisant des résines photo-imageables, bien plus résistantes.
source : BPElectronique

Cette facilité de nettoyage est réaffirmée sur une autre page, présentant le boîtier de commande :

Le boîtier de commande, est réalisé à partir d’une plaque d’altuglas rouge, vert ou bleu, selon la demande. (…)
Les matériaux utilisés pour la fabrication de ce boîtier permettent un entretien facile. Un coup de chiffon avec un produit à nettoyer les vitres suffit.
source : http://bpcv.club.fr/boitier.html

Ce nettoyage faisant partie du sale boulot, notamment parce qu’il met en contact les vendeurs-nettoyeurs avec certaines substances corporelles, le simplifier facilite son acceptation.
L’industrie du sexe, cette formule souvent utilisée pour dénoncer un monstre (issu de l’accouplement contre nature du sexe — intime… — et du commerce — aliénant), se décline donc ici d’une manière technique et artisanale. Les demandes spécifiques des sex-shops (la gestion aisée d’un nombre de cabines plus ou moins important) trouve une solution informatisée, confiant au vendeur (situé à la caisse) le contrôle des cabines.

Mais l’industrie du sexe — gardons cette expression — a besoin d’entrepreneurs, de personnes souhaitant monter leur petite — ou grande — entreprise. Se créent ainsi, ces derniers mois, un certain nombre d’entreprises de vente, par correspondance ou non, de godemichés et de vibromasseurs (et autres produits). J’ai reçu plusieurs demandes de renseignements sur ce marché du sex-shop et ai essayé de conseiller — avec mes maigres connaissances juridico-sociologiques — certaines personnes. J’en ai contacté d’autres. M’intéresse énormément, dans ces histoires, les origines sociales, le niveau d’instruction, la carrière, de ces capitalistes : par leurs origines sociales et leur capital scolaire, elles et ils contribuent à légitimer ce marché ; leurs carrières précédentes ont pu leur apprendre techniques de vente, notions juridiques ou comptables, négociations commerciales.
De la même manière que la sexualité est investie de la capacité à dire la vérité des sujets, à révéler le plus intime et le plus vrai d’une personne, de la même manière, il me semble, l’activité commerciale est investie du pouvoir d’exprimer le sujet. L’on va ainsi parler de “création” d’entreprise. L’idée centrale (le business plan) est présentée comme l’inspiration : elle hante, part, revient, se stabilise un moment dans un projet. Le statut d’entrepreneur lui-même — qui nécessite de couper les liens avec la sécurité d’un travail salarié — peut se vivre sur un mode artiste (mais l’on aurait un artiste rationnel et ascétique).
Dans cette recherche de la vérité du moi, de l’expression d’un savoir sur soi, le blog de créateur d’entreprise du sexe semble réunir en un même lieu confession et profession :
Agnès G. a créé “Secrets d’Amour” et tient un blog relatant la mise en place de son entreprise :

Secrets d’amour a pour ambition de vous apporter, via ses produits, un moment de bonheur à deux… La société a donc imaginé des cadeaux d’un nouveau genre, uniquement dédiés à votre vie amoureuse…
Le concept unique (et déposé) allie originalité et “sensorialité”… (source)

J’ai créé ma boîte (point com) raconte presque au jour le jour, une création :

L’idée m’est venue mais je ne saurais dire comment. J’ai surtout eu une démarche d’entrepreneur en me demandant quels secteurs étaient porteurs. L’érotisme. Certes mais qu’en faire ? La vente par correspondance de produits sexy ! L’idée était là. Je la passais à travers ma moulinette financière. Une fois. Puis une deuxième fois.

AnneLolotte :

Me voici aujourd’hui, lancée dans l’aventure SOFT (le nom de ma marque), dont le but est de commercialiser une gamme de produits érotiques pour les femmes. Tout un programme…
« Pourquoi ? », me demande-t-on souvent. Parce que la France est encore TRES en retard dans ce domaine, comparativement à ses voisins.

[Consulter aussi Nathalie / Pimentrose]
Mais trêve de boltansko-foucaldisme (i.e. du mélange incontrôlé de De la justification et de La Volonté de savoir)… je pense en avoir un peu trop fait ici. Si ce blog me permet de tester les premières versions de certaines hypothèses, il ne faudrait pas non plus exagérer… Ces lignes voulaient considérer certains aspects des commerces sexuels (la “culture matérielle” et une toute petite explosion discursive).

Opération mains propres

Le New York Times propose aujourd’hui un bel et bref article sur l’usage des lotions antibactériennes par les hommes politiques américains. Nul doute que le même genre d’article se retrouvera, rapidement, dans la presse française. Les campagnes électorales, américaines comme françaises, soumettent en effet les candidats (et les candidates, mais peut être moins) à des séances de serrage de mains. Le documentaire récent sur Jacques Chirac (Phersu l’a remarqué) insistait sur cet aspect inévitable.
De nos jours, il semble que les mains soient (pull)avant tout vues comme des vecteurs microbiens(/pull) : les candidats, après avoir serré des dizaines de pattes, utilisent alors, discrètement, hors du regard de la foule, ces lotions réputées tuer 99,9% (ninety-nine point nine !) des germs.
L’article du NYT — c’est à mon avis son intérêt principal — essaie de trouver l’origine de cette mode. Sans y arriver totalement. Il donne alors l’image rapide d’une politique en réseau, où les idées circulent autant que les bouteilles de lotion :

Mr. Bush raved about hand sanitizer to Senator Barack Obama, Democrat of Illinois, at a White House encounter early last year. […] Mr. Obama has since started carrying Purell in his traveling bag, a spokesman said. […] Al Gore […] turned his running mate, Senator Joseph I. Lieberman, onto sanitizer in 2000, and Mr. Lieberman became an evangelist [sic]. […]

Une étude à la Bearman, “Chains of hand lotion”, serait fort intéressante. [des précisions sur l’étude de Bearman et al en français]
En anglais comme en français, “mettre les mains dans le cambouis”, “avoir les mains propres”, ont plusieurs sens, et le double entendre est permanent. Avec ce paradoxe que pour les hommes politiques (il n’y a pas de femmes dans l’histoire, sauf la femme d’un homme politique) serrer des mains, c’est l’occasion de rappeler qu’ils ont “les mains propres”. Et que s’ils ne peuvent publiquement se laver les mains (même si la monstration de l’hygiène corporelle est une valeur publique partagée par un bon nombre d’Américains), ils semblent adorer révéler qu’ils le font. Même ceux qui n’utilisent pas ces lotions reconnaissent que les foules cultivent “rhinoviruses, adenoviruses and the viruses that cause gastroenteritis“. Le gag récurrent de la série policière Monk (une série fortement sous-estimée en France, où C.S.I. / Les experts est salué par Télérama) est devenu réalité… et quand Monk, le détective panphobique, serrera la main d’un homme politique, les deux se laveront les mains.
Que font les candidats français ? Peut-on repérer une homologie structurale entre opinions politiques et usages de lave-mains divers et variés (bio, anticapitalistes, antimondialisation, national…) ?