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Géographie des sex-shops toulousains (1970-1976)

Billet publié le 17/10/2006

Dans un mémoire de master de géographie, Marc Skerrett propose une histoire de l’implantation des sex-shops à Toulouse (et plus largement dans le midi), entre la fin des années 1960 et la deuxième moitié des années 1970. Les travaux portant sur ce type de magasins sont bien trop rares, et le travail de Skerrett est fort éclairant.
Son propos est centré sur la constitution d’un espace marchand, et il tient, tout au long de son travail, les deux dimensions d’une géographie sociale du commerce sexuel.
Il souligne un mouvement que je n’avais pas saisi aussi profondément dans mes recherches, le passage d’un premier moment, autour du début des années 1970, où les sex-shops s’appuient sur un discours sexologique généraliste popularisé autour des années 1968, sur la norme de “l’orgasme idéal” (mise en lumière par Pollak et Béjin) : finalement sur un “devoir de plaisir” qui s’adresse à toute la population. Il s’appuie pour affirmer cela sur un faisceau de sources (entretiens biographiques avec un des pionniers, analyse des publicités dans la Dépêche du Midi, interprétation de la localisation des premiers magasins). Pour attirer un large public et valider leur “prétention à un large degré de généralité”, les premiers sex-shops s’installent dans des rues passantes, au centre de la ville — centre de la cité, le personnel commercial est plutôt féminin, et les références les plus légitimes. Le “pionnier” s’explique ainsi :

« Moi, j’ai réfléchi avec d’autres personnes à Toulouse, on en avait parlé, on m’a dit, mais les sex-shops, ça a un grand avenir parce que l’idée des gens de 68, c’était de faire évoluer l’humain, apprendre aux gens à faire l’amour de façon à ce qu’ils soient plus heureux (…). Et alors, il y a un type ici que je connaissais bien, il m’a dit, il va falloir acheter des boutiques très grandes, (en) plein centre-ville et tu auras des vendeurs ou des vendeuses en blouse comme dans une pharmacie et on vendra des produits comme ça… »
source : Marc Skerrett, La genèse territoriale d’une «industrie du sexe» : le cas des sex-shops à Toulouse, mémoire de master 2 de géographie, Université Toulouse II Le Mirail (Institut de géographie D. Faucher), octobre 2006

Skerrett analyse alors la concentration progressive autour des quartiers chauds comme un abandon de cette volonté de généralité : c’est “l’effritement du rayonnement global au profit d’une inscription locale”. Le discours sexologique est tourné en ridicule, la spécialisation se fait par préférence sexuelles, la clientèle ciblée est dorénavant masculine. “Les sex-shops n’appartiennent plus formellement — dès le milieu des années 1970 — au parcours initiatique du couple mais se présentent comme une chasse gardée masculine. (…) Au lieu d’attirer “la” clientèle au chant des sirènes de la libération sexuelle, le sex-shop a ciblé “une” clientèle plus spécifique…” (source : Skerrett).
Mais plus qu’un “repère conventionnel des quartiers chauds”, les sex-shops contribuent à la constitution de ces quartiers, autour de lieux de prostitution, de bars ouverts tards, de cinémas pornographiques — à la durée de vie courte –, de gares routières ou ferrovières… La tendance existe de considérer ces “quartiers chauds” comme intemporels. Il me semblent que leur constitution est en permanence renouvellée, qu’ils ne sont jamais assurés de rester chauds bien longtemps.

[Note : Tout comme, l’année dernière Irene Roca avait eu vent de mes travaux grâce à Monsieur Google, Marc Skerrett est tombé sur un stade initial de mes recherches avec l’aide du moteur de recherche susmentionné. Deux exemples, s’il en fallait encore, de l’intérêt des “prépublications” sur internet, et des blogs, pour la recherche en sciences sociale…]
[Mise à jour : le billet a été remarqué par rezo.net. Les visiteurs voudront peut être lire les souvenirs d’une vendeuse de sex-shops (vers 1972) ou se renseigner sur l’image des sex-shops dans les dessins de presse de 1971 (ou en 1970, ou encore lire la première préhistoire des sex-shops…]

[yarpp]

4 commentaires

Un commentaire par Paris8philo (19/10/2006 à 15:57)

Très bon article, référencé sur rezo.net qui plus est ! Bravo Baptiste

Un commentaire par Baptiste Coulmont (19/10/2006 à 16:00)

Merci bien… Mais le caractère intéressant provient avant tout du travail de Marc Skerrett (étudiant en géographie, Toulouse II), dont je résume ici une petite partie. Rendons à César…

Un commentaire par Nathalie Fondatrice Piment Rose (25/10/2006 à 1:05)

Wahou! Il aura donc fallu attendre près de 40 ans pour en revenir à la raison d’être des sex shops ou des sites internet tel que le nôtre : le “droit à une vie sexuelle heureuse” et rentrer ainsi dans le ” parcours initiatique du couple ” avec un discours plus sexologique!:-)

Il est vrai que, Nathalie Rykiel avec l’ouverture, fin 2002 de son magasin de mode et accessoires érotiques a eu le même effet que mai 68 : une véritable révolution en ce qui concerne le droit au plaisir des femmes et la vente de sextoys hors les quartiers chauds.
Sans elle et l’intérêt des médias, le changement des mentalités se serait sans doute opéré sur une période de temps encore plus longue.

Le concept de réunions ventes privées sexy entre femmes est maintenant beaucoup plus facile à faire accepter.
Alors qu’en 2003, plus de 80% de mes ventes était de la lingerie – acte d’achat “légitime” – et de 20% en accessoires érotiques, le ratio s’est aujourd’hui complètement inversé ! Les femmes n’ont plus besoin, comme avant, de s’intéresser aux tenues sexy avant de passer aux sextoys. Elles assument … mieux!

Un commentaire par amari zakaria (18/11/2006 à 9:59)

salut
je cherche un travail chez vous.
vous vous informez que je suis amateur et experionse 8 ans
slp