Égouts : la merde n’est pas une marchandise comme les autres
Dans la belle librairie Le Genre urbain j’ai découvert, il y a quelques jours, Basses Œuvres d’Agnès Jeanjean, sous-titré “Une ethnologie du travail dans les égouts”. Je l’ai acheté de suite (et pas seulement parce que, le 1er octobre, les égoutiers commençaient à demander leurs étrennes). D’un côté, l’objet m’apparaissait bien “petit”, ig-noble, dégoûtant et sale (le type même d’objet de recherche qui s’attache à la réputation du chercheur) et donc intéressant. D’un autre côté, entre les égoutiers, de par leur fonction obligés d’entrer en contact avec les excréments et autres déchets humains, et les vendeurs de sex-shops, parfois contraints de nettoyer les cabines de projection vidéo, il me semblait pouvoir y avoir quelques points de comparaisons intéressants.
Il y en a, mais l’ouvrage d’Agnès Jeanjean a plus. L’ambition “anthropologique” (au sens de recherche d’invariants culturels universels) se manifeste par l’appel à certains auteurs, et au recours à de gros concepts (souillure, sacré, secret…). Mais elle me semble moins aboutie que le travail plus proprement sociologique (ici compris comme une attention constante portée aux traductions pratiques et théoriques des positions différentielles dans une structure sociale). En surface, A. Jeanjean décrit la variété des statuts (employés municipaux, ouvriers d’entreprises privées, des stations d’épuration, cadres et managers…), dont la hiérarchie a quelque chose à voir avec le degré d’éloignement (symbolique ou physique) avec les eaux usées. Mais la lecture laisse surtout l’image amusante — et inquiétante — de la néolibéralisation de la merde, car « (pull)les égouts, c’est rentable(/pull) » soulignent certains enquêtés. Facturation du travail en équivalent heure-camion, cadres pris dans “logiques du projet” et “logique de réseaux” (analysées finement à travers les légions de dîners de travail, de déjeuners de fin de travaux…), dé-municipalisation des basses œuvres (plus ou moins privatisées et confiées aux antennes locales de multinationales).
Il ne manque à cela qu’un groupe altermondialiste s’opposant à ce que la merde soit considérée comme une marchandise comme les autres (semblent-ils préférer, comme la plupart des sociologues, des objets plus nobles ?).
Pour aller plus loin
- A. Jeanjean, Les égouts en chantier (communication à un colloque)
- A. Jeanjean, Ce qui, du travail, se joue au café (paru dans la revue Socio-anthropologie)
1 commentaire
Un commentaire par Eliane Daphy (10/02/2007 à 10:08)
Bonjour
Le texte d’Agnès Jeanjean “Les égouts en chantiier” a été déposé en archives ouvertes sur Hal-Shs dans le cadre des Archives ouvertes du Laboratoire d’anthropologie urbaine – CNRS UPR34, directement par mes soins, en tant que documentaliste de ce laboratoire, dont Agnès Jeanjean est membre associée après avoir été doctorante.
Mieux vaudrait citer l’adresse URL du dépôt en ligne en AO, ce qui permet des citations (puisqu’il s’agit d’un identifiant ayant une URL stable), plutôt que de proposer directement sur ce site le téléchargement du pdf.
Identifiant oai:halshs.archives-ouvertes.fr:halshs-00004631_v1 –
Url dépôt [->http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00004631]
URL direct pdf [->http://halshs.archives-ouvertes.fr/action/open_file.php?url=http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/03/62/29/PDF/AgnesJeanjean_2001_MAPIII.pdf&docid=36229]
On trouvera sur Hal-SHS une liste indicative complémentaire de notices des productions d’Agnès Jeanjean URL [->http://halshs.archives-ouvertes.fr/export_listeperso_xml.php?url_id=0000000000847]
Cordialement
Eliane Daphy