Capitalisme, cabines et business plan
Penchons-nous aujourd’hui sur deux aspects de l’industrie du sexe. Tout d’abord sur son aspect “artisanal”, puis sur un aspect “entrepreneurial”.
Vers 1973-1974 apparaissent dans les sex-shops des cabines de projection. Les premières ressemblent surtout à des isoloirs ou des armoires. Les hommes doivent se tenir debout et regarder la réflexion sur un miroir d’un film “super-8”. Des brevets ont sans doute été déposés, mais je n’ai pas réussi à en retrouver. Rapidement, les systèmes se spécialisent et s’améliorent. Le passage à la vidéo, VHS puis DVD, a encore changé les dispositifs. Des installations électroniques gèrent aujourd’hui de manière centralisée certaines cabines.
L’on peut trouver, dans de petits magasins, des installations bricolées. L’on trouve aussi de fort beaux systèmes. R.L. m’apprenait hier qu’une entreprise est même spécialisée dans l’installation de cabines vidéo, BPElectronique de Paris (11e).
En marge des systèmes de commutation audio / vidéo, nous avons développé des installations complètes de diffusion de films, essentiellement destinés à l’équipement de sex-shops ou d’erotics centers.
La composition de ces installations de vidéo pour sex-shop est la suivante :
un certain nombre de cabines (entre 2 et 24), chaque cabine est équipée d’un boîtier de commande, d’un ensemble de monétique, et d’un moniteur couleur.
Un serveur vidéo (…)
Un PC qui contrôle l’ensemble (…)
Ces ensembles sont réalisés entièrement dans nos ateliers, offrant ainsi une grande souplesse quant aux caractéristiques et originalités de chaque installation.
source : BPElectronique
Les installateurs ont prévu la nécessité du nettoyage de ces cabines destinées au visionnage de vidéos pornographiques et à la masturbation :
Les cabines de projection étant accessibles à un public pas toujours soigneux, les claviers mécaniques ont fait place à des touches sensitives, les habituelles sérigraphies, à des technologies utilisant des résines photo-imageables, bien plus résistantes.
source : BPElectronique
Cette facilité de nettoyage est réaffirmée sur une autre page, présentant le boîtier de commande :
Le boîtier de commande, est réalisé à partir d’une plaque d’altuglas rouge, vert ou bleu, selon la demande. (…)
Les matériaux utilisés pour la fabrication de ce boîtier permettent un entretien facile. Un coup de chiffon avec un produit à nettoyer les vitres suffit.
source : http://bpcv.club.fr/boitier.html
Ce nettoyage faisant partie du sale boulot, notamment parce qu’il met en contact les vendeurs-nettoyeurs avec certaines substances corporelles, le simplifier facilite son acceptation.
L’industrie du sexe, cette formule souvent utilisée pour dénoncer un monstre (issu de l’accouplement contre nature du sexe — intime… — et du commerce — aliénant), se décline donc ici d’une manière technique et artisanale. Les demandes spécifiques des sex-shops (la gestion aisée d’un nombre de cabines plus ou moins important) trouve une solution informatisée, confiant au vendeur (situé à la caisse) le contrôle des cabines.
Mais l’industrie du sexe — gardons cette expression — a besoin d’entrepreneurs, de personnes souhaitant monter leur petite — ou grande — entreprise. Se créent ainsi, ces derniers mois, un certain nombre d’entreprises de vente, par correspondance ou non, de godemichés et de vibromasseurs (et autres produits). J’ai reçu plusieurs demandes de renseignements sur ce marché du sex-shop et ai essayé de conseiller — avec mes maigres connaissances juridico-sociologiques — certaines personnes. J’en ai contacté d’autres. M’intéresse énormément, dans ces histoires, les origines sociales, le niveau d’instruction, la carrière, de ces capitalistes : par leurs origines sociales et leur capital scolaire, elles et ils contribuent à légitimer ce marché ; leurs carrières précédentes ont pu leur apprendre techniques de vente, notions juridiques ou comptables, négociations commerciales.
De la même manière que la sexualité est investie de la capacité à dire la vérité des sujets, à révéler le plus intime et le plus vrai d’une personne, de la même manière, il me semble, l’activité commerciale est investie du pouvoir d’exprimer le sujet. L’on va ainsi parler de “création” d’entreprise. L’idée centrale (le business plan) est présentée comme l’inspiration : elle hante, part, revient, se stabilise un moment dans un projet. Le statut d’entrepreneur lui-même — qui nécessite de couper les liens avec la sécurité d’un travail salarié — peut se vivre sur un mode artiste (mais l’on aurait un artiste rationnel et ascétique).
Dans cette recherche de la vérité du moi, de l’expression d’un savoir sur soi, le blog de créateur d’entreprise du sexe semble réunir en un même lieu confession et profession :
Agnès G. a créé “Secrets d’Amour” et tient un blog relatant la mise en place de son entreprise :
Secrets d’amour a pour ambition de vous apporter, via ses produits, un moment de bonheur à deux… La société a donc imaginé des cadeaux d’un nouveau genre, uniquement dédiés à votre vie amoureuse…
Le concept unique (et déposé) allie originalité et “sensorialité”… (source)
J’ai créé ma boîte (point com) raconte presque au jour le jour, une création :
L’idée m’est venue mais je ne saurais dire comment. J’ai surtout eu une démarche d’entrepreneur en me demandant quels secteurs étaient porteurs. L’érotisme. Certes mais qu’en faire ? La vente par correspondance de produits sexy ! L’idée était là. Je la passais à travers ma moulinette financière. Une fois. Puis une deuxième fois.
Me voici aujourd’hui, lancée dans l’aventure SOFT (le nom de ma marque), dont le but est de commercialiser une gamme de produits érotiques pour les femmes. Tout un programme…
« Pourquoi ? », me demande-t-on souvent. Parce que la France est encore TRES en retard dans ce domaine, comparativement à ses voisins.
[Consulter aussi Nathalie / Pimentrose]
Mais trêve de boltansko-foucaldisme (i.e. du mélange incontrôlé de De la justification et de La Volonté de savoir)… je pense en avoir un peu trop fait ici. Si ce blog me permet de tester les premières versions de certaines hypothèses, il ne faudrait pas non plus exagérer… Ces lignes voulaient considérer certains aspects des commerces sexuels (la “culture matérielle” et une toute petite explosion discursive).
8 commentaires
Un commentaire par AntoineD (26/10/2006 à 9:42)
…Vous connaissez http://www.jardindesdames.com ? Il me semble que le site a été créé par deux étudiantes sorties d’HEC et qui estimaient ne pas trouver d’emploi à leur “dimension” (salaire, etc.). Elles ont donc créé leur industrie.
Elles cherchent d’ailleurs un photographe… mais ma compagne n’apprécierait pas : http://emploi.marketingphoto.com/annonces/offres/index.php#offre-emploi-photo-112
Un commentaire par Baptiste Coulmont (26/10/2006 à 12:58)
Oui, je connais : j’en avais d’ailleurs parlé ici :
http://coulmont.com/blog/2006/01/26/marche-du-sex-shop/
et la vidéo est sur youtube :
http://www.youtube.com/watch?v=phz3XKWh_OM
Un commentaire par cossaw (30/10/2006 à 10:13)
Un sujet connexe, donc entre parenthèse : quid des hommes de ménage des “bordels” pour hommes entre eux (sex-clubs et autres saunas) ? J’ai encore eu l’occasion de me rendre compte que ceux-ci ont vraiment un boulot ingrat (si en plus ils sont hétéros, ce qui semble être le cas) dans cet environnement très, comment dire, productif :/
Un commentaire par Baptiste Coulmont (30/10/2006 à 11:16)
Merci, c’est en effet tout un sujet en soi ! Je ne désespère pas de susciter des vocations de sociologues…
Un commentaire par coyotiti (14/05/2007 à 13:09)
bonjour, nous sommes a la recherche de materiel ou d’entreprise permettant la gerance de diffusion de dvd x dans cabine ( ne souhaitont pas bpelectronique) en connaitriez vous ???
dans l’attente de votre réponse salutations a vous .
Un commentaire par Baptiste Coulmont » Archives » Que trouve-t-on dans les sex-shops ? (03/06/2007 à 13:42)
[…] ces magasins, on trouve des cabines vidéo. Quelques entreprises — principalement allemandes (il existe quelques entreprises françaises, plus petites) — sont responsables de ces installations, qui entourent la masturbation d’un halo […]
Un commentaire par Chouchou (12/02/2008 à 11:18)
Je cherche aussi.
Si vous avez trouvé, merci de me communiquer le contact
A+
Un commentaire par Chouchou (12/02/2008 à 11:23)
bpelectronique, pas mal, mais nécessite un PC pour piloter le systeme, et avec les employés, c’est galère…