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Les billets de November, 2006 (ordre chronologique)

Journalismes, hindouismes

Avant-hier, je reçois ce mail :

Bonjour,
Je suis étudiant au centre de formation des journalistes, à Paris.
Je réalise un reportage sur les habitudes de consommation d’objets érotiques.
Je souhaite savoir si vous seriez disponible pour un entretien filmé avant demain 16h00.
Je serai en tournage ce soir dans une boutique “spécialisée”.
Pouvez-vous me rappeler au 06 ** ** ** ** aussitôt qu’il vous sera possible ?
D’avance, je vous en remercie.

Comme je demande à mes étudiants de réaliser des entretiens (cela fait partie de l’apprentissage du métier de sociologue), je me sens un petit devoir de répondre positivement à cette demande. Et je réponds “dès que possible” au mail (je dois être considéré comme un bon client, c’est le deuxième étudiant en journalisme de la même promotion qui me contacte).
Amma France2 novembre 2006Avant-hier aussi, je reçois ce mail en provenance de France2 (les demandes arrivent toujours par vague) :

Bonjour,
Dans le cadre d’un reportage sur Amma, la femme indienne qui parcourt le monde pour serrer les gens dans ses bras, je cherche un intervenant sur le thème de l’engouement pour ce genre de phénomènes en France. J’ai lu que vous étiez spécialiste des religions, et me suis donc dit que vous pourriez m’aider à replacer les pratiques d’Amma dans un contexte plus large. Le reportage serait diffusé demain mercredi au 13h, merci donc de me contacter dès réception de ce mail si vous êtes intéressé…
A bientôt

Je suis toujours flatté quand des journalistes s’adressent à moi — vanité… — encore plus quand elles ont lu mon blog, et doublement quand ce sont des travaux d’autres personnes qui ont été remarqués. Ici, en l’occurrence, c’était la réflexion de Véronique Altglas sur Amma qui avait été appréciée. Dans ma réponse (immédiate, “dès réception de ce mail“) j’ai donc redirigé France2 vers la Professeure Altglas (en fournissant adresse, téléphones, mails)… qui n’a pas été contactée, semble-t-il. Pourtant Véronique est la spécialiste du néo-hindouisme occidental. Au lieu de cela, dans le reportage, on a droit à une étrange théorie psychiatrique rapprochant l’embrassade de la communion.

Amma en France [format Quicktime], reportage, journal télévisé, 1er novembre 2006

Dans ce reportage, ce que l’on ne trouve pas, c’est une critique d’Amma en tant que gourou, ou même la notion de “secte”. La personne apparaît suffisamment amusante, ou intéressante, exotique, pour que France2 et France3 y consacrent plusieurs reportages. Mais pas assez étrange ou menaçante pour mériter dénonciation.

Signalons, à tout hasard, et sans transition (mais par association), comme l’a mentionné Fabrice Desplan récemment, la mise à disposition des archives vidéo des auditions publiques de la commission d’enquête parlementaire sur les mineurs et les dérives sectaires, sur le site de La Chaîne Parlementaire : Archives vidéo des auditions de la commission d’enquête.
Je recommande l’audition de Nicolas Jaquette, ancien témoin de Jéhovah, qui explique ses capacités d’analyse (réelles) non seulement à partir d’un travail réflexif (la rédaction d’un livre autobiographique), mais parce qu’il a “toujours vécu en double personnalité dans la secte, parce [qu’il est] homosexuel, et que l’homosexualité est réprimée dans la secte…” Il démonte ensuite les multiples jeux avec la doctrine, l’engagement, le surinvestissement… qui devraient en intéresser plus d’uns (je pense à Jean-Marc – Gayanglican ou cossaw.
L’audition de M. Leschi du Bureau central des cultes, est aussi fort intéressante : elle a donné lieu à de vifs échanges et montre combien “l’État” est perclus de tensions et d’oppositions. S’il fallait ne regarder qu’une audition, c’est celle-ci qu’il faut voir.

Revues en ligne

Le portail cairn.info propose maintenant cent revues académiques de sciences humaines et sociales en ligne, dont les Actes de la recherche en sciences sociales (mais la rubrique est vide pour l’instant).
Toujours dans le pôle “sociologie critique”, la revue Politix est presque entièrement disponible sur persee.fr.
Pendant ce temps, revues.org continue d’amasser les revues : on signalera même certains ouvrages épuisés désormais entièrement en ligne, dont cette ethnologie de la chasse, Entre chien et loup, Faits et dits de chasse dans la France de l’Est. [On regrettera, toujours, l’absence de proposition systématique des versions PDF des textes intégraux, ce qui rend difficile les citations précises : il manque les numéros de page. Problèmes de droits, quand tu les tiens…]
L’offre étant maintenant assez sérieuse, il ne manque plus qu’un bon moteur de recherche transplateforme, qui éviterait d’avoir à sauter d’un site à l’autre (heureusement qu’il existe Google Scholar).

Diffusions

Pour qui écrit-on ? (Par “on”, j’entends les sociologues) Le plus souvent, pour des collègues : la sociologie étant une science relativement cumulative, les productions s’appuient sur des travaux connexes, les discutent et les critiquent. L’intérêt de tel article se comprend alors souvent en relation avec les propositions de tel autre.
Mais la sociologie n’est pas qu’à visée interne :

Nous estimerions que nos recherches ne méritent pas une heure de peine si elles ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif.
Emile Durkheim, De la division du travail social, p.XXXIX (préface de la première édition)

Cependant, sur le terrain de la résolution des problèmes pratiques, les sociologues sont en concurrence (et peut-être pas les mieux placés dans cette concurrence). L’oeuvre de traduction (du “théorique” au “pratique”, que Durkheim semble considérer comme assez facile) et les contraintes propre au passage d’un champ (académique) à un autre (journalistique par exemple) peuvent poser problème : les règles d’énonciation les plus évidentes pour les uns ne sont pas celles des autres.
C’est en partie avec ces réflexions en tête que j’ai mis en ligne des extraits des prises de parole de Thomas Sauvadet, invité multiple sur les chaînes, petites ou grandes, suite à la sortie de deux ouvrages ces derniers jours [Jeunes en danger, jeunes dangeureux, et Le Capital guerrier].
Et c’est aussi pour faire un peu de publicité : T. Sauvadet sera invité de l’émission Bouge la France ![1], demain lundi 13 novembre, sur Public Sénat…

[1] : quel titre étrange…

Bibliothèque de l’ENS

Phersu suit l’affaire en direct :

La nouvelle Directrice de l’ENS de Paris a proposé de supprimer le financement de la Bibliothèque littéraire (d’après ce blog, 1,3 millions d’euros par an) et de rendre l’accès payant pour les anciens élèves (100 euros par an, 200 pour les extérieurs, ce qui ne devrait donc représenter au mieux que 300 000 euros par an, que ne compensent pas les 400 000 euros du Ministère). Cela a déclenché une pétition contre cette modification.

Et quand je vous dit que c’est en direct :

Mais la situation vient encore d’évoluer avec la démission en masse de tous ces directeurs de Département aujourd’hui à 15h30

La suite, et tout le reste, chez Phersu.
mise à jour : on en dit aussi des choses chez contrebande.
re-mise à jour : le 15 novembre, démissions et mention au Canard, toujours chez phersu

Elle a de l’avenir

En hommage à un billet récent sur Crooked Timber, voici un mail reçu aujourd’hui de la part d’une certaine Miss Ronaldo :

Bonjour,
Je me permets de vous écrire afin de vous demander de bien vouloir m’apporter le plus de rensignements possible sur ” Le secret de l’isoloir ” de Alain Garrigou, s’il vous plait.
Si possible avant mardi je vous en remercie d’avance.
Cordialement.

Cent balles et un mars, aussi ?

Une demi-heure de Bourbaki

La National Public Radio américaine consacre une demi-heure au mathématicien Nicolas Bourbaki, probablement le plus célèbre canular-sérieux à être sorti de l’ENS.

Polygamie américaine

Intéressant, mais pas le temps de commenter, malheureusement :

Consciously taking tactics from the gay-rights movement, polygamists have reframed their struggle, choosing in interviews to de-emphasize their religious beliefs and focus on their desire to live “in freedom,” […]
Polygamists Fight to Be Seen As Part of Mainstream Society, By John Pomfret, The Washington Post, Tuesday, November 21, 2006; Page A01

La justification religieuse de la polygamie a échoué à convaincre le gouvernement fédéral à la fin du XIXe siècle (voir les travaux de Sarah Barringer-Gordon). Une justification basée sur les droits fondamentaux réussira-t-elle ?

Commerces et grossistes

C’est dans une thèse lue récemment “Selling sexual liberation: Women-owned sex toy stores and the business of social change” de Lynn Comella (“Selling sexual liberation…”, University of Massachusetts, 2004) que j’ai pris conscience de l’importance des grossistes (distributeurs, diffuseurs…) de sex-toys.
Depuis le milieu des années soixante-dix ont été fondés, aux Etats-Unis, des “women-owned sex toys stores” (magasins de godemichés tenus par des femmes). D’abord une poignée, puis, dans les années 1990, un nombre plus important. Lynn Comella montre bien comment le “modèle Good Vibration“, du nom d’un magasin de San-Francisco, inspire d’autres créatrices d’entreprises. Pas seulement parce que les unes et les autres participent, plus ou moins fortement, aux mêmes mouvements féministes “pro-sex“, mais aussi parce que Joani Blank, la fondatrice de Good Vibrations, distribuait et partageait facilement la liste de ses grossistes ou distributeurs, ses marges, ses résultats financiers, dans un esprit de sororité entrepreneuriale (a spirit of entrepreneurial sisterhood résume Comella). Le but principal de Blank n’était pas d’étendre son commerce, mais de promouvoir la naissance d’autres magasins — même concurrents — proposant la même philosophie : une libération personnelle par l’orgasme, une attitude “sex positive” et, in fine une forme de changement social.
Ces éléments étaient très important pour les fondatrices d’autres sex shops féministes (Toys in Babeland, etc…) qui ont ainsi économisé les années d’expériences accumulées par Blank. Cette dernière était même disponible comme experte, et, pour un honoraire, expliquait le fonctionnement de son magasin. Voici comment les fondatrices de T.I.B. racontent à Lynn Comella comment elles ont monté leur magasin, à Seattle :

“that day, Rachel called Joani Blank, the founder of the Good Vibration retail store in San Francisco, and said, ‘We want to consult with you because we want to open a business like yours'”
[Blank] agreed to consult with the pair for a fee of $75 (“That was the best $75 we ever spent bar none,” Cavanah would later tell me). Blank was encouraging, and assured them that any town of any size could support a store like Good Vibration. […] After almost a year of planning in which Cavanah completed a month-long, unpaid internship at Good Vibrations, teh pair opened their flagship store in Seattle.
Comella, Lynn, Selling Sexual Liberation, p.16

Récemment, j’ai compris aussi l’importance du processus inverse : pourquoi, concrètement, la faillite d’une entreprise de vente de sex-toys n’était pas nécessairement un coup porté au secteur dans son entier : une fois l’entreprise fermée, des concurrents ont contacté les propriétaires pour leur offrir de racheter leur stock, leurs adresses, leurs contacts.
Tout cela est — j’en ai conscience — un signe de mon peu de connaissance du monde du commerce, je devrais faire un MBA !
J’aurais pourtant pu comprendre l’importance de ces contacts, de ces listes, de ces “savoir-faire”, à la lecture des commentaires laissé à un tout petit billet sur le marché du sex shop, qui a attiré, depuis janvier dernier, de nombreuses personnes à la recherche d’informations sur l’ouverture d’un sex-shop, en ligne ou en “dur”. Dans mes réponses, j’essaie de produire une “fiche de synthèse”, et j’ai maintenant une belle liste de grossistes, de distributeurs et de fabriquants de sex-toys.
En prenant conscience de l’importance de ces informations, j’ai aussi compris que je pouvais, dans le cadre de mes recherches, en tirer partie : je pose quelques questions générales pour en savoir un peu plus sur le contexte des demandes (âge, niveau de diplômes, profession, fréquentation éventuelle d’un sex-shop…) en échange de mes listes ou de mes contacts. C’est pour cette raison que, pendant un moment encore, je ne rendrais pas publiques certaines informations très pratiques : c’est ma monnaie d’échange, et je souhaite que les personnes souhaitant créer des sex-shops me contactent.
C’est une manière un peu étrange de faire de la sociologie, j’en conviens [et me contactent principalement les personnes n’ayant aucun lien institutionnel, familial ou professionnel avec les sex-shops], mais je souhaite voir ce que cela donne.
Et comme nous sommes à parler un peu de commerce, voici, comme il se doit, les commentaires satisfaits de la croix vitafor mes conseils et mes listes…

1.

en 24 heures j’avais les réponses à mes questions. Avant toute chose je tiens donc à vous remercier pour votre réponse qui va me faire gagner un temps précieux. Pour satisfaire votre curiosité, je vais donc faire les présentations…

2.

Je vous remercie encore une fois pour votre aide précieuse.
En ce qui concerne votre demande, j’espère avoir répondu au mieux dans les lignes qui suivent (si vous avez besoin de plus d’infos n’hésitez pas)

3.

Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour votre répondre. La vendeuse dont vous m’aviez envoyé le mail s’est avérée être un excellent contact et j’ai pu l’interroger la semaine dernière.

Amusons-nous

Dans un article consacré aux frontières de l’Europe, le journal Métro s’emmêle les pinceaux… Et pourtant, ils ont l’air sûrs d’eux : la Slovénie aurait bien une frontière avec l’Ukraine, et, mieux, l’Union européenne serait “satisfaite de ses nouvelles frontières” :
Les frontieres difficiles
Je pense que la Hongrie aurait quand même un petit problème avec cette solution…
carte europe centrale