Et avant les sex-shops ?
Qu’y avait-il donc avant les sex-shops à la place des sex-shops ?
La réponse à cette question révèle différentes conceptions historiographiques. Soit l’on insiste sur l’importance de la libération sexuelle, voire de la révolution sexuelle, qui eut lieu au cours des années soixantes, et l’on relie assez facilement diminution de certaines formes de contrôle social et émergence de magasins spécialisés dans la diffusion d’une forme (commerciale, capitaliste) de révolution sexuelle. Dans ce cadre, les sex-shops ont une certaine spécificité.
Soit l’on insiste sur un temps plus long, et l’on découvre que nos (arrières-)grands-parents étaient peut-être tout aussi “libérés”, cette libération prenant des formes différentes. Dans les années vingt et les années trente existaient, ouvertement, non seulement des maisons closes, qui généraient un commerce sexuel contrôlé et encadré, mais aussi des librairies libertines proposant “caoutchoucs intimes”, “dragées Forsex” et “photos réalistes”. Il suffisait d’acheter Paris Sex Appeal, Fantasio ou Pages Folles, ou même simplement de feuilleter La Madelon, Paris Plaisir ou Audaces pour découvrir tout un monde destiné à l’excitation sexuelle.
Ainsi les préservatifs faisaient-ils l’objet de publicités :
La librairie d’Antin, ci-dessous, grâce à “l’accueil chaleureux de Mlle Ginette, vendeuse”, propose divers caoutchoucs et “articles spéciaux” :
Plus explicite, Laitex prévient : “évitez tout accident” :
On le voit, la contraception était loin d’être ignorée, et le “coït interrompu” n’était pas la seule méthode utilisée [les méthodes contraceptives développées dans les années cinquante et soixante donnent en fait le contrôle de la contraception aux femmes, et non plus seulement aux hommes, et c’est ce changement des normes de genre qui posa parfois problème]. Et ces préservatifs (lavables et réutilisables !!) semblent aussi variés que ce que l’on peut trouver aujourd’hui : la compagnie “Black Cat” proposait ainsi un “bout américain” ou un préservatif “crocodile”…
Le commerce des “photographies amoureuses” allait bon train. L’on peut supposer que “Domptage avec bottes en cuir verni“, de Mlle Yvonne (librairie de la Lune) fut un beau succès :
Il était aussi possible de combiner “photos vécues” et livres, pour varier les plaisirs :
Ce n’est pas tout : alors qu’aujourd’hui, certaines formes de sado-masochismes (femmes menottées, ligotées, baillonnées), même les plus douces, peuvent être censurées — principalement interdites d’affichage public — pour atteinte à la dignité, il ne semblait pas tout à fait en être de même dans les années vingt ou les années trente, si l’on considère le nombre non négligeable de publicités pour les Esclaves d’Amour (qui présente “le suppice le plus curieux qui rend les femmes folles et damnées”), ou d’autres productions…
Il semble donc bien qu’avant les sex-shops, existaient des sex-shops, sans le nom… Qu’est-ce qui a donc rendu si moderne, nouveau, inédit, l’ouverture de magasins spécialisés au cours de l’année 1970 ? [réponse au prochain épisode]
Sources : ces images, des publicitées, parues entre 1920 et le début des années 1940, sont extraite d’un ouvrage publié en 1977 : Sous pli discret, préface de Gilbert Simon-Berger, Paris, Edition Futuropolis, coll. G-String, que l’on trouve encore, et pour pas cher du tout, sur amazon.
[yarpp]