Genre et commerce
J’alterne entre veille juridique (suivi des diverses lois et règlementations consacrées aux sex-shops) et veille commerciale. Les mondes de l’entreprise privée et du commerce m’étant socialement étrangers (et plus exotiques que la fonction publique), je prends un grand intérêt à suivre les diverses élaborations intellectuelles et pratiques des personnes cherchant à ouvrir, aujourd’hui, des sex-shops d’un nouveau type.
Le recueil d’anecdotes diverses m’aide à comprendre comment, en l’absence d’institution centralisatrice — Ordre, Syndicat, Coopérative… –, les grossistes et les distributeurs jouent un rôle d’information :
Une autre anecdote qui vous plaira certainement. J’ai découvert par un fournisseur lors de ma visite au salon de la lingerie à Paris, qu’une boutique au même concept que le mien allait s’ouvrir à 100m de la mienne.
Même concept, mêmes fournisseurs, le cauchemar total. J’ai contacté cette personne pour que l’on puisse se positionner l’une par rapport à l’autre.
Elle est déjà implantée sur la ville mais avec une boutique […] qu’elle va transformer en concept boudoir, cabaret chic, lingerie + sextoys.
Elle a pris de l’avance sur moi, sachant qu’elle a déjà passé toutes ses commandes, et sachant que sa boutique est opérationnelle. Nonobstant la nausée qui m’a pris lorsque j’ai appris la nouvelle, j’ai foi en mon projet, et je vais me battre en misant sur mes forces, mon relationnel, mais surtout sur mon envie de réussir.
Informations sur l’état du marché en général, mais aussi sur la concurrence locale : les détaillants cherchant à ouvrir un sex-shop (ou un magasin sexy) doivent une part de leurs connaissances aux fournisseurs [sur un point similaire, j’avais déjà abordé la question de l’importance des grossistes]. Il est fort probable que ces situations où la distribution d’information est liée à la distribution des biens soient plus fréquente que je ne le pense : une collègue me signalait d’ailleur hier un livre à lire, du sociologue américain E. Freidson (portant sur les médecins).
La veille commerciale se poursuit par le suivi de l’ouverture des points de vente de vibromasseurs et de godemichets (le sociologue peut être monomaniaque). J’ai passé quelques minutes dans un magasin ouvert très récemment, au 11 rue Saint-Martin à Paris, et dont j’ai suivi, au cours des derniers mois, une petite partie des péripéties liées à l’installation.
Cette boutique se présente comme “the♥store”. Le “♥” est ici visiblement lié à une relation, ou — au minimum — à la dualité : une série de cartes déclaratives (“tu me manques déjà”, “où tu veux, quand tu veux”…) parsème d’ailleurs la vitrine. Alors que la concurrence cherche à faire des sex-toys des objets féminins, ce magasin vise la conjugalité. Le site internet de la marque se déclare “dédié au développement durable du couple”.
Le couple proposé est probablement égalitaire dans ses décisions d’achat, mais il n’échappe pas du tout à certaines normes de genre. Une variation du dessin représenté ici se trouve dans la boutique. Je n’y ai pas toutefois trouvé d’inversion de la place des coeurs.
Dans “the♥store”, le ♥ est “genré”, ironiquement, mais explicitement : celui des hommes est vénérien. [Dans le même ordre d’idée, un reportage de France3 sur la Saint Valentin (format Quicktime .mov)]
Je signalerai enfin une variation sur le thème, habituel, de l’interdiction d’entrée des mineurs. L’interdiction d’entrée dans les sex-shops, à Paris, a pour origine une ordonnance préfectorale de 1970. Dans le cas présent, cette interdiction n’était pas requise [le magasin ne proposant aucune publication interdite aux mineurs], mais n’a pas été entièrement abandonnée : elle a été transformée en restriction à un public choisi.