La campagne de recrutement des maîtres de conférences en sociologie a presque pris fin, avec les dernières auditions à l’ENS de Cachan (il reste aux personnes classées à entrer leurs voeux sur ANTEE/ANTARES). Cette année, il a été possible de suivre, presque en direct, les décisions d’une partie des commissions de spécialistes. En mettant en place, il y a quelques semaines, un “wiki” permettant à quiconque d’apporter ses connaissances au plat commun, je n’imaginais pas l’intérêt des candidats : rien que sur le mois de mai, les pages /auditions/ ont reçu plus de 30 000 hits.
Rapidement, grâce à l’ANCMSP, à Liens-socio et à des sociologues tenant un blog, l’adresse du site a été connue et a circulé sur plusieurs mailing-listes. Je sais aussi que nombreux furent les futurs doctorants à consulter le site, que les longues attentes dans les couloirs des universités avant les auditions étaient l’occasion de discuter de cette initiative.
Je souhaite maintenant proposer une petite synthèse de cette expérience. Mais comme il me semble, personnellement, que la publication de liste a peu modifié mon travail de “spécialiste” membre d’une commission (à Paris 8, ainsi qu’à Paris 1, mais cette dernière n’avait pas de postes à remplir cette année)… je vais laisser grande la place aux commentaires reçus.
Un candidat m’écrit ainsi :
Je tenais à te féliciter pour ton initiative. Elle a formidablement fonctionné (TOUTES les personnes croisées en auditions étaient au courant). Et il est évident que ça répondait à un besoin. Je n’ai pas spécialement de remarque “constructive” à faire, hormis une proposition pas très originale : demander à ce que les prochaines commissions envoient les listes des auditions et des classés (avec la formule de rigueur sur le caractère non définitif de ces listes).
Voilà… sinon je suis un peu triste de ne pas avoir été auditionné à Paris 8, mais au moins je n’aurais pas subi la vexation de faire une “bonne audition” (dixeunt les membres des commissions de *** et ***) sans même être classé ensuite…
Quelqu’un d’autre, dans un mail, souligne les coûts psychologiques associés à la connaissance des concurrents :
Formidable boulot mis en place cette année. On est immensément nombreux à t’être reconnaissants. Pour ma part, au départ je ne voulais pas savoir qui était mes conccurents, autre que *** *** puisque depuis la mi-avril je savais que le poste avait été crée spécialement pour elle
Un maître de conférences dans un institut d’études politiques :
je suis convaincu de la pertinence de dispositifs de publication des résultats des CS pour introduire plus de justice dans le mode de recrutement des MCF et Profs. J’ai vu le fonctionnement de la liste Ancmsp et, pour tout dire, je pensais il y a deux ans que l’AFS ferait quelque chose dans ce sens. Il faut bien constater que cela n’est pas le cas et qu’une initiative plus décentralisée s’impose peut-être. En tout cas, bravo pour avoir d’ores-et-déjà fait quelque chose.
Une liste comprenant listes d’auditionnés et dates des auditions montre la concentration d’une partie des auditions sur certaines dates. Quelques candidats ont du choisir entre (au hasard) Pau et Mulhouse ou entre Monaco ou Dunkerque qui tenaient leurs auditions le même jour. Avec une quarantaine de postes ouverts lors de la première session il aurait été difficile d’étaler les auditions de manière à permettre à tous les candidats auditionnés de ne pas avoir à choisir…. mais un peu de coordination est possible. [Par exemple, l’année dernière, Paris 8 et Toulouse 2 avaient un poste au profil “rapports sociaux de sexe”, et le président de la commission de Paris 8 avait vérifié auprès de Toulouse 2 que les auditions n’auraient pas lieu le même jour.] En science politique, où les postes sont moins nombreux, l’action de l’ANCMSP a civilisé, après plusieurs années, une bonne partie des commissions : les sociologues résistent encore.
Critiques et propositions
Peu de critiques négatives. La première est venue d’un-e collègue dont le mail a la teneur suivante :
Tu n’as rien de lieux (sic) à faire, actuellement?
C’est vrai qu’il faut bien que la vie continue, avec toutes les petites affaires, mais quand même!
Pas très constructif…
Certaines commissions ont refusé le principe de la publicité des listes d’auditionnés ou de classés. Mais les candidats — qui ne connaissaient pas nécessairement l’opposition des commissions — ont ajouté ces informations sur le wiki.
Certains membres de commissions, contactés directement, ont parfois choisi de ne pas répondre. L’un d’entre eux ne se souvenait plus du nom des personnes auditionnées et ne pouvait donc me renseigner. Heureusement, là encore, des candidats avaient la mémoire plus vive.
Un autre :
Je n’ai pas de proposition très constructive à faire concernant votre initiative. Je me contenterai simplement de vous en féliciter car elle est bien utile dans ce petit monde qui n’aime guère la transparence.
La possibilité d’effets pervers
Un maître de conférence souligne un effet pervers possible de la publicité des décisions des commissions :
[…] bien qu’ancien responable national de [*** à] l’époque de ma thèse, je me pose beaucoup de questions sur la publication de noms avant la fin des procédures. Des informations plus limitées comme “pas d’auditions, mutation proposée” ou le nombre d’auditionnés me semblent préférables tant que les votes des CA ne sont pas passés. Par ailleurs, on a vu des candidats écartés de postes car la nouvelle de leur classement la veille comme premiers ailleurs avait fait l’objet de publicité. Même s’il est évident que les informations circulent souvent […] quand on souhaite que ce soit la valeur scientifique de son dossier (et non le copinage ou des décisions du type “mais de toute manière il est déjà pris là-bas”) qui permette éventuellement de se raprocher de ses jeunes enfants ou de son conjoint, on souhaiterait alors plus de discrétion.
Un candidat décrit le même processus :
D’abord merci pour ces publications qui ont finalement permis à chacun de suivre cette campagne et de connaître mieux l’état des concurrences et du marché…
Comme nous sommes aussi invités à faire quelques remarques je voulais aussi signaler deux cas qui me semblent relever d’un effet de la publication :
– d’abord un candidat qui classé premier sur une Université s’est vu donner comme motif de non classement le fait que déjà classé il avait été considéré comme quasiment hors concours, déjà servi… (ce qui peut être aussi finalement ennuyeux pour celui qui est second d’ailleurs…)
– ensuite un effet d’anticipation : visiblement certaines commissions on du fait de la publication du nombre des auditions par candidat construit des classements tenant compte de la probabilité de recrutement des uns et des autres selon les lieux et nombre d’audition (un effet pervers bien sûr déjà connu mais peut être accentué par les publications…)
Bien sûr ces effets ne sont pas directement la résultante de la publication mais sans doute favorise-t-elle les calculs et autres anticipation qui sont au principe de certains de ces effets.
Cela étant je reste convaincu que la publication est une bonne chose. Ce qui sans doute révèle le plus ce genre d’effets c’est que la situation actuelle (nbre de poste/nbre de candidats) conduit les commission à faire tout autant de la gestion de stocks ou de file d’attente que de sélectionner des compétences.
La responsable d’une commission de spécialistes m’écrit aussi :
j’espère que de telles listes ne désavantageront pas les candidats qui sont susceptibles de se présenter à d’autres auditions….. Je pense que votre initiative est “bonne” mais je dois avouer que j’ai un peu peur que votre “site” soit consulté par des membres de CS et que les classements passés influencent les classements à venir !
Concernant le refus explicite d’une commission de diffuser les résultats de ses délibérations, un collègue m’écrit :
la majorité des membres refuse toujours de donner les noms des personnes auditionnées. La raison est
1) le rejet de tout principe centralisateur afin de préserver l’autonomie de chaque commission
2) le risque de faire du tort aux candidats en rendant l’information publique (risque que des candidats classés ou auditionnés dans une fac soient écartés ailleurs à ce motif…). Même si ces deux raisons me paraissent assez fantaisistes, je ne crois pas que la commission revienne en arrière pour cette année.
A la lecture de ces mails, il semble que l’anticipation d’effets pervers soit le risque le plus souvent mentionné pour refuser la publicité. De mon côté, pour avoir été membre d’une commission avant le wiki auditions et après le wiki auditions, il me semble que les informations (auditions, classements) étaient connues assez bien “avant” : en partie parce que l’on se renseigne — ou on est renseigné — sur certains candidats. On demande aussi aux candidats s’ils sont auditionnés ailleurs. Il ne m’a pas semblé que le wiki changeait beaucoup le fonctionnement des commissions. [Si des membres de commission ayant utilisé le wiki pouvaient laisser leurs commentaires, j’apprécierai beaucoup.]
En revanche, les personnes les moins insérées dans les flux de circulation d’information, dans les réseaux ou les mailing-listes, ont eu, cette année, accès à des informations peut être aussi valides que celles qui circulent “au centre”. Elles ont pu évaluer la force des candidatures locales, mais aussi les auditions multiples des candidats au CV bien rempli.
De plus, ces anticipations d’effets pervers ne prennent pas en considération ce qui se passe dans d’autres sections du CNU depuis plusieurs années. Qui, parmi les sociologues, a pris la peine de surfer sur la formidable Opération Postes des mathématiciens : flux RSS, CV en ligne, nombre d’auditions par candidats… L’Opération Postes est soutenue par les principales associations professionnelles de matheux, par les bureaux compétents du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, etc…
Les candidats semblent ne pas percevoir aussi fortement les risques d’effets pervers. Certains voient au contraire dans une liste publique “un petit effet publicitaire”. Une candidate ainsi m’écrit :
Bravo pour cette formidable initiative pour rendre plus transparent le processus de recrutement aux postes de MCF.
J’y vois d’une part une manière pour les recruteurs de devoir “justifier” de leurs choix si ceux-ci s’avèreraient très étonnants aux vus du profil de poste et du profil des candidats.
J’y vois aussi un moyen pour les docteurs auditionnés de profiter d’un petit effet publicitaire qui, dans ce tout petit monde réputationnel, n’est pas nul. (Pour prendre mon cas particulier, qui sait, à part quelques personnes, que j’ai été auditionnée * fois l’an passé et classée ces * fois ? Pourtant il me semble que c’est important.)
Ajouter d’autres informations
Une collègue maîtresse de conférence souhaiterait un wiki similaire pour les postes de professeurs. Ces derniers n’étaient pas inclus : je pensais que le petit nombre de postes et le fait qu’ils sont de fait destinés à des maîtres de conférences en poste permettait aux candidats d’être plus uniformément informés.
Le problème est le même: tout est très secret et si on connaît quelqu’un, en effet, on peut obtenir des informations mais on ne les obtient pas toujours…. Il serait bien d’appliquer la même visibilité que vous avez créée pour les MCF à ces concours [de recrutement de professeurs], si jamais cela se révèle possible. La composition des commissions n’est pas non plus systématiquement communiquée pour ces concours et ici aussi les commissions jouent sur l’individualisation des candidats.
Une personne tout juste recrutée m’écrit aussi
Merci beaucoup pour l’initiative visant à rendre publique la liste des auditionnés et des classés en sociologie. Je regrette que les départements de sociologie soient très loin de tous jouer le jeu de la transparence. L’idéal, bien sûr, serait d’avoir également connaissance de la composition des commissions de spécialistes et le nombre de dossiers déposés…
Un autre candidat, dans un mail, propose :
Bravo pour votre initiative. J’espère qu’elle pourra être reprise par une structure comme l’AFS prochainement. A l’avenir, ne pourrait-on pas affiner les critères de sélection comme le lieu de soutenance de thèse, le nom du directeur de thèse des candidats et le laboratoire d’accueil, cela permettrait d’avoir notamment une vision plus précise sur le nombre de candidats locaux auditionnés et recrutés mais également d’examiner plus avant les jeux d’alliance potentiel au sein des commissions.
Il propose là un véritable programme de recherche !
Ce qu’il faudrait faire à l’avenir
– protéger le wiki contre les vandales (heureusement, aucun vandalisme n’a eu lieu cette année, mais il faudrait prévenir plutôt que guérir)
– y inclure un fil RSS (pour être automatiquement tenu à jour sans avoir à visiter le site)
– ne pas le faire seul (d’ailleurs, je ne le ferais plus : je veux bien consacrer une partie de coulmont.com au suivi des auditions, mais je suis prêt aussi à outsourcer l’administration à un groupe de trois ou quatre docteures ou doctorants).
– y ajouter la section 20 (anthropologie)
– recueillir la composition des commissions de spécialistes responsables des recrutements en section 19 ou 20 pour chaque université…
La discussion continue dans les commentaires.