Exit, voice, loyalty
Dans Vers une Église sans prêtres l’historienne Martine Sevegrand retrace la crise du clergé séculier : ses prémices dans les années 1950 et son accélération dans les années 1970. La seconde partie du livre est consacrée au diocèse de Dijon, “un diocèse sinistré”, ayant connu, entre 1945 et 1978, 202 ordination et 43 départs de prêtres (dont 9 en 1973).
Les raisons des départs sont en partie liées au célibat des prêtres et à sa remise en cause par des clercs choisissant de se marier : dans les années 1970, explique Martine Sevegrand « le mariage ne représente pas seulement la transgression d’un interdit sur la sexualité [des prêtres], c’est aussi et peut-être surtout une rebellion publique contre l’autorité de l’Eglise et ses lois. Il est vrai que [si] pour l’Église catholique, une faute en matière sexuelle est toujours grave, la hiérarchie est finalement bien plus indulgente avec un prêtre vivant en concubinage ou un pédophile qu’avec un prêtre qui se marie. » (p.242).
Au cours des années 1970, bon nombre de prêtres catholiques choisissent la stratégie de la sortie (“Exit“, écrit Hirschmann), poussés en cela par la hiérarchie de certains diocèses, qui tentent une reprise en main de leur clergé, après les “prises de parole” internes (“Voice“) des années soixante et de l’après Vatican-II. Si la question du célibat joue un rôle important, des travaux sur le protestantisme (je pense ici aux travaux de Jean-Paul Willaime) montrent que, même dans le cas d’un clergé marié, les sorties furent importantes au cours de ces mêmes années. Ces sorties sont donc probablement à comprendre comme les symptômes d’une remise en cause de la place des clercs dans la société, le célibat prenant sans doute, au sein de l’Eglise catholique romaine, une place centrale.
Cette introduction pour mettre en contexte, bien sûr, une affaire de prêtre-en-couple rendue publique il y a quelques semaines par l’organisation à laquelle il appartient :
Le P. Léon Laclau, religieux de notre Congrégation, curé de paroisse à Asson (Pyrénées-Atlantiques), partage sa vie et son presbytère avec Mme Marga L. Prenant acte de cette situation, ses supérieurs hiérarchiques ont publié le 24 avril le communiqué suivant :
L’évêque de Bayonne et le supérieur provincial de Bétharram ont pris les décisions qui s’imposaient au sujet d’un religieux prêtre dont le comportement public et affirmé ne coïncidait pas avec ses propres engagements.
Ces responsables, après avoir plusieurs fois averti l’intéressé par oral et par écrit, l’ont déchargé de ses fonctions sur le diocèse de Bayonne.
Quant à ses supérieurs religieux, ils viennent de lui donner une autre affectation.
Tout autre commentaire serait abusif.
Pierre MOLÈRES, évêque Beñat OYHÉNART, s.c.j., Provincial
Toute la famille de Bétharram s’unit, dans la souffrance et la prière, pour ceux qui ont pris cette mesure difficile mais cohérente, et pour ceux qu’elle concerne.
source
Rendu publique par l’Evêque et le supérieur de la congrégation à laquelle appartient le prêtre, l’affaire s’est rapidement propagée dans la presse locale, sur France3-local, et au JT de France2. Je suis loin, fort loin, de connaître les tenants et les aboutissants : la place de la compagne du prêtre au sein des courants catholiques (et des groupes de femmes de prêtres), les options théologiques du prêtre, ses contacts dans la presse… me sont inconnus.
De même suis-je assez imperméable à une lecture politique de l’affaire (du type de celle que l’on peut lire ici.
Ce qui m’a, au contraire, intéressé, se situe ailleurs. L’Eglise a tout d’abord, ici, à gérer un prêtre non marié, probablement proche en cela des couples qui se forment aujourd’hui (la vie commune, sans mariage, ne constitue plus scandale… même pour un prêtre ?). Cela oblige probablement l’Eglise à quelques modifications disciplinaires : sanctionner dès la vie commune ?
Les quelques reportages laissent percer une vision contemporaine du travail et de l’épanouissement personnel : “c’est un travail” dit sa femme, et s’il est bon dans son travail, pourquoi le sanctionner ? Il faut ici comprendre, comme le fait Céline Béraud dans son Métier de prêtre (éditions de l’Atelier, 2006, mentionné il y a quelques mois), l’usage de travail — implicitement opposé à vocation — comme soutenant toute une vision du monde.
Quelques reportages télévisuels sur l’affaire du Père Léon
Note : Si j’ai abordé l’exit et la voice, j’ai laissé la loyalty de côté pour l’instant.