Plagiats
Lu aujourd’hui sur une des listes de diffusion académiques auxquelles je suis abonné (et reproduit avec l’autorisation de l’auteure):
Bonjour,
Voilà une situation problématique:
Un directeur de thèse utilise, dans des articles qui paraissent, les résultats des travaux de sa doctorante, sans faire aucune allusion à la doctorante.
Ce n’est pas la première fois. Et la première fois le directeur avait éludé la question.
La doctorante se trouve gênée, car elle commence à penser qu’elle va bientôt risquer, elle, le plagiat.
Qu’est-il possible de faire dans une situation pareille?
Y a t-il des précédents? Comment se sont-ils réglés?
Cette situation pouvant, j’imagine, se reproduire pour d’autres, je compilerais les réponses qui me seraient adressées personnellement, si jamais vous ne vouliez pas “encombrer” la liste.
En vous remerciant d’avance pour votre aide
Situation compliquée. Nous savons à peine — en tant qu’enseignant — régler les problèmes liée au plagiat estudiantin (mes collègues sont très réticents à convoquer un conseil de discipline et à exclure de l’université même les récidivistes)… alors si c’est un collègue ! Les réponses ayant circulé sur la liste de diffusion ne sont pas encore stables. Je citerai juste un extrait de réponse (sans citer l’auteure, là encore). Elle propose de
publier très rapidement quelque chose, un article, y compris dans une revue pas super connue, en présentant ses données et en écrivant clairement quelques phrases du style “notre hypothèse, adoptée par Dupont 2006, permet de penser que” ou bien “nos résultats ont permis à Dupont 2006 de formuler l’hypothèse bla bla”, etc – c’est à dire citer le prof en rétablissant la source des écrits récents de celui-ci.
Je ne sais pas si cela sera utile : déjà que la plupart des articles publiés dans des revues “super connues” sont peu lus… C’est beaucoup de travail pour rien.
La même personne propose la réactivation de la double direction de thèse : l’autre directeur pouvant agir comme instance de contrôle du premier.
Mais il me semble important qu’en cas de copie-plagiat, les plagieurs subissent certaines conséquences. Si nos sociétés savantes (en sociologie l’Association française de sociologie, l’Association des sociologues enseignants du supérieur…) étaient aussi des sociétés professionnelles, elles pourraient rappeler à l’ordre. Si le plagieur était connu, cela nous éviterait de lui envoyer des étudiants à encadrer. D’ailleurs, parfois, cela se sait : en cas d’exposé dans les séminaires de certains centres de recherche, m’a-t-on dit, il est préférable de ne parler que de choses qui ont été publiées, tellement l’appétit des directeurs de recherche est fort.
S’ajoute à cela une question structurelle. La citation des travaux d’étudiants est souvent mal comprise : j’ai du insister pour qu’apparaisse ma co-auteure et un critique de mon livre sur une radio culturelle, voyant qu’une grande partie des entretiens avait été réalisée par des étudiants, s’est cru intelligent de dire que “ce n’est même pas lui qui a fait les entretiens” (alors que j’aurai apprécié qu’il déclare qu’il y avait dans l’ouvrage un effort de transparence : chaque étudiant est nommément cité comme l’auteur de l’entretien utilisé).
La prise en compte des “publis” comme indice de production peut aussi conduire à des effets indirects : un livre écrit à deux, ou un article écrit à deux, vaut pour moitié, ce qui peut contribuer, dans des situation de pouvoir inégal (surtout quand le directeur de thèse est choisi parce qu’il est prestigieux), à l’effacement du co-auteur.
Je suis preneur de commentaire (la doctorante aussi, je pense) :
11 commentaires
Un commentaire par RF (13/09/2007 à 14:06)
Un commentaire personnel –
Déjà, ce n’est pas la fin du monde. Le travail intellectuel implique un investissement psychologique constant, avec des conséquences somatisantes. Donc pour commencer, ne pas s’en empêcher de dormir. Le problème ne se réglera pas en trois jours, donc maintenir son cap de vie, compter sur ses soutiens familiaux, amicaux et ainsi de suite. Cela me semble capital : le moral est une ressource essentielle.
Ensuite, il y a deux stratégies idéal-typiques : la discrétion, et ‘going public.’ L’avantage de la première, l’accord discret (“à l’amiable” comme dit le droit mais ça me semble si peu approprié), est d’éviter tous les inconvénients de la seconde. Il faut surtout que ça marche : commencer par là, dialogue avec la personne, rectificatif dans la revue (avoir un objectif de résolution clairement défini).
‘Going public’ est la méthode plus ou moins désignée par Baptiste : convoquer tout le monde. Écrire aux tout proches : les futurs membres du jury, les connaissances, etc. Puis la profession, les Associations. Si ça demande de monter en puissance, faire le tour des hiérarchies, par courrier (département de recherche, membres du CA, direction scientifique, organismes financeurs : conseil régional).
Je pense que ce type de dérive existe parce que
(1) les personnes se pensent immunes, d’où l’importance d’impliquer la chaîne de commandement
(2) on laisse se développer des relations DDR-doctorant malsaines, écrasées par l’autorité, que l’on jugerait idiote dans n’importe quel autre contexte
Un commentaire par clic (13/09/2007 à 16:05)
mouarf, plagier, pour un spécialiste de la sociologie de l’écrit, c’est de la déformation professionnelle, non? ;)
Un commentaire par D Filippi (13/09/2007 à 16:32)
Attention à être bien précis. Il n’y a pas plagiat si ne sont repris que des idées, des hypothèses, des résultats ou des données brutes. En dehors du domaine académique, la jurisprudence est très riche dans le domaine de l’audiovisuel, où les idées de scénarios ou de formats d’émissions de télévision se volent allègrement sans pouvoir être efficacement protégées. Le plagiat ne concerne que la reprise d’une forme d’expression originale et suffisamment élaborée pour que l’auteur puisse être légitimement investi de droits de propriété incorporelle sur son oeuvre. Mais on n’est jamais propriétaire de ses idées, de ses méthodes ou de ses données brutes. C’est le prix à payer pour que puissent s’élaborer collectivement des paradigmes de recherche.
L’idée de publier un article me paraît une bonne manière de s’en sortir, mais indélicatesse pour indélicatesse, pourquoi ne pas citer dans les règles les articles publiés par le directeur de recherche dans la thèse elle-même, avec les mêmes précisions sur l’origine des résultats ou des données ?
Un commentaire par Enro (13/09/2007 à 17:23)
D. Filippi > Sans parler de plagiat, le Guide du doctorant est bien clair : “Vous devez apparaître parmi les auteurs des articles, communications, ouvrages, brevets et rapports industriels ou non qui utilisent votre travail de recherche. En clair, si un chercheur publie sous son nom seul, sans vous mentionner, votre travail, c’est une clause majeure de rupture de contrat.”
RF > Pas mieux. En position médiane, la médiation, locale ou d’établissement, permet à la fois de ne pas tout rendre public et de bénéficier d’avis (ou autorités) extérieurs pour résoudre le problème.
Un commentaire par D Filippi (13/09/2007 à 18:20)
Enro > Le Guide du doctorant que vous citez ni les chartes des thèses n’ont une bien grande portée normative. La charte des thèses de mon université n’aborde même pas le problème… La charte-type elle-même, annexée à l’arrêté de 1998, est très laconique. Je ne conteste d’ailleurs pas qu’il y ait éventuellement un problème réel, mais qu’on utilise des concepts relevant du droit d’auteur (plagiat) hors de propos. Il y a risque de diffamation à accuser de plagiat un auteur qui n’a fait que reprendre des idées, méthodes, données, informations brutes, découvertes. (Les découvertes ne sont pas protégeables, ni les faits par eux-mêmes : un auteur ne peut pas protéger, par les moyens du droit d’auteur, des éléments de la réalité qui préexistent à son intervention , cf. l’échec notoire de la tentative de protéger un recueil de vocables du français de Louisiane en accusant de plagiat un romancier qui les avait utilisés dans son oeuvre. Il me paraît de façon analogue très difficile de protéger par les moyens du droit d’auteur des ensembles de données statistiques).
Quand la perte de revenus tirés de l’exploitation d’une découverte (pas d’une invention brevetable) ou d’une idée originale sont en cause, il faut recourir à des actions fondées sur les notions de parasitisme ou de concurrence déloyale. Quand il n’y a pas d’exploitation commerciale, il faudrait qu’il y ait atteinte à l’honneur, etc., mais pour cela il faudrait que le public soit informé de la situation, et, s’il l’était, la situation serait sans doute plutôt favorable à la doctorante. Ne restent effectivement que les dispositifs de médiation prévus par la charte, mais sont-ils en place partout ?
Tout cela sous réserve des caractéristiques précises du cas d’espèce. Il faudrait avoir plus de détails pour estimer s’il y a préjudice réel (après tout, rien n’empêche la doctorante d’exploiter elle-même le résultat de ses recherches; s’il s’agit de sciences humaines et sociales, les querelles d’antériorité n’y ont pas le même impact qu’en sciences exactes et je continue à trouver assez habile de citer les publications du directeur de recherche en rétablissant l’origine des données) et quel est son ampleur.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (13/09/2007 à 18:36)
> D. Filippi : le problème n’est probablement pas juridique, et le sens que les juristes, les juges ou les avocats, donnent au mot plagiat n’est pas le seul valable. La doctorante ressent peut-être une rupture de confiance et, d’après le mail, semble penser que, en cas de publicité, son directeur l’accusera, elle, de plagier ses propres travaux.
> Clic : je n’ai pas compris l’allusion !
Un commentaire par clic (13/09/2007 à 20:47)
bah, de toute façon, traîter ce problème sous un angle individuel n’est pas très intéressant. Donc, si personne ne comprends mon allusion tant mieux.
Filipi: “C’est le prix à payer pour que puissent s’élaborer collectivement des paradigmes de recherche.” Euh… excusez moi, mais j’ai bien du mal à vous suivre. Il me semble que c’est plutôt le contraire. D’ailleurs, la doctorante ne veut probablement empêcher personne de citer son travail ou de s’en inspirer: bien au contraire. Pour un chercheur, il est important d’être repris, personne ne s’y oppose: il ne s’agit d’ailleurs pas d’un problème de droit d’auteur, mais simplement d’être reconnu comme auteur par le monde académique. Si ça se trouve, la doctorante en question est pour les logiciels libre ;)
D’ailleurs, j’ai des amis qui hésitent à faire circuler leurs travaux ou à participer à des colloques parce qu’ils ont peur que leurs travaux soient complètement appropriés par des personnes plus connues (ou pas d’ailleurs). C’est arrivé à un ami à moi. Dès lors, il a largement limité sa participation à tout colloque ce qui tend plutôt à freîner l’élaboration collective de paradigme de recherche, comme vous dites…
Ceci dit, j’ai connu quelques doctorants convaincus (en toute bonne foi) d’avoir inventé des théories de leurs directeurs de thèse alors qu’il m’avait semblé qu’ils n’avaient pas saisis à quel point ils ne faisaient que prolonger ou appliquer leur pensée. La recherche est aussi un travail collectif. Le mieux, comme le rappellait Enro, c’est que les deux signatures soient présentes lorsqu’un travail est publié.
Un commentaire par Marie Ménoret (13/09/2007 à 21:18)
C’est un argument de plus en faveur des co-directions de thèse non? Le contrôle s’opérant de l’intérieur de la profession. Evidemment, on pourra me rappeler les avatars de la chose en citant le Freidson de 1970 (traduction française 1984): le contrôle par les pairs se limitant généralement à un boycott desdits pairs sans plus.
Un commentaire par François (13/09/2007 à 23:43)
C’est comme ça que le système britannique fonctionne : les thèse sont co-supervisées, et on en tire surtout des avantages, dans mon expérience tout du moins.
À noter que, dans ce même système britannique, le directeur de thèse en question ne ferait pas long feu : le matériau de recherche est la propriété du doctorant/de la doctorante, écouter ses cassettes d’entretien pour en tirer des données compromet l’engagement de confidentialité/anonymat signé avec le comité d’éthique en début de thèse. Cela contrevient aussi aux accords de protection des données (dans mon département [britannique], les cassettes sont gardées dans des tiroirs à clé).
Si l’on s’en tient au droit, D Fillipi, c’est aussi le cas en France : une transcription d’entretien est une forme originale, donc protégée par le CPI. Cela fonctionne aussi avec un corpus d’archives, avec tout ce qui n’est pas juste un empilement aléatoire en réalité.
La doctorante peut se défendre si ses résultats étaient couchés sur papier, dans un miméo/working/discussion paper quelconque. Il faut qu’elle ait pensé à le distribuer à au moins un pair de plus que le DDR. Si c’est le cas (et c’est systématiquement le cas en co-dir), elle est protégée.
Un commentaire par D Filippi (14/09/2007 à 6:24)
D’accord avec François, il faut se protéger activement en réunissant des éléments de preuve, il existe des dispositifs qui permettent de le faire sans trop divulguer du travail en cours, dépôt notarial, envoi à soi-même sous pli cacheté, etc. D’accord aussi s’il s’agit en l’occurrence de l’accès non autorisé par le DDR à du matériau original. Sur les pièces d’un corpus d’archives, je suis déjà plus sceptique. Un cas très net des limites des protections offertes par le CPI concerne les fouilles archéologiques, d’où d’ailleurs les comportements de dissimulation typiques de ce milieu scientifique. Concernant ce genre d’informations brutes, on reste souvent dans la zone grise de la protection des bases de données. Le CPI et le recours au plagiat ne peut pas couvrir tous les cas de figure, il est sans aucun doute nécessaire de continuer à formaliser et à contractualiser les relations DDR-doctorants, je pense qu’on pourra s’accorder là-dessus.
Un commentaire par RjG (16/09/2007 à 11:42)
Un dossier en instance devant le CNU actuellement vise à retirer la qualification à une docteure convaincue de plagiat.
Il me semble que le CNU, pour ceux qui gravitent dans l’université, peut être un endroit adéquat pour exposer ses griefs si jamais ils sont avérés – y compris ceux qui impliquent son directeur de thèse, non? C’est un peu “la justice par les pairs”.