La campagne électorale américaine commence à prendre de l’ampleur, et les candidats républicains mettent en avant — qu’ils le souhaitent ou non — des questions religieuses.
Prenez Mitt Romney (né Willard Mitt Romney) : républicain plutôt centriste, il a été gouverneur du Massachusetts, il a une tête d’acteur, une voix posée, un accent parfait… Mais il est Mormon : son Eglise est née aux Etats-Unis au XIXe siècle, suite aux révélations reçues par Joseph Smith, qui a commencé sa vie comme charlatan et l’a terminée comme prophète. Situées sur les marges extérieures du christianisme (adieu Nicée…) le mormonisme n’est pas perçu par les protestants évangéliques, comme une vraie religion. Pourtant, Bob Jones III, personnage sinon important du moins non négligeable dans le fondamentalisme américain ne serait-ce que parce qu’il s’inscrit dans une lignée familiale, soutient Mitt Romney… tout en précisant qu’il considère le mormonisme comme un “cult“, une secte.
Soutien étrange, donc. Mais cela n’a pas l’air de gêner trop Romney, qui, invité dans l’émission Meet the Press, répond que : “aux Etats-Unis, les religions sont dans un état de compétition permanente (are in a competitive battle), elles sont en compétition pour les âmes et les fidèles”… Bob Jones le soutient donc en tant qu'”homme de foi”, antiavortement, en faveur du “traditional marriage” : We have very common ground conclut Romney. Le journaliste le relance, et Romney continue : il y a des “fois en compétition dans ce pays” mais “nos valeurs sont les mêmes”… et “ce sont ces valeurs, qui permettent de sélectionner des personnes, indépendamment de leur foi, pour des postes de direction séculières” (je paraphrase Romney, en souhaitant insister, quand même, sur le point suivant : indépendamment de leur foi signifie quand même que la foi reste cruciale pour la sélection).
Un autre candidat, lui aussi ancien gouverneur (de l’Arkansas comme William J. Clinton) du nom de Mike Huckabee (né Michael Dale Huckabee) est aussi dans la course. C’est un ancien pasteur baptiste, très conservateur, connu pour son combat contre l’obésité. Un évangélique du sud, pur sucre, mais qui a migré de la carrière religieuse (pasteur) vers une carrière politique.
Ses publicités le font sentir :
“Christian Leader” : leader chrétien… proclame cette publicité (l’une des seules que Huckabee a pu se payer pour l’instant), qui commence par les mots “Faith doesn’t just influence me, it really defines me.”
Tant et si bien que divers commentateurs remarquent les signaux chrétiens visuels renforçant le message parlé. Dans la publicité suivante, au moment où Huckabee déclare que ce qui importe, à Noël, c’est le rappel de la naissance de Christ, une croix semble apparaître au fond…
Regardez la publicité pour vous convaincre.
On pourrait supposer qu’avec de tels appels du pied, les principaux leaders évangéliques américains embrasseraient la candidature de Huckabee… Il n’en est rien : Bob Jones III soutient Romney, Pat Robertson soutient Giuliani, le président de la commission pour l’éthique et la liberté religieuse de la Convention baptiste du Sud (Richard Land) soutient un autre candidat (Fred Thompson)… et la liste continue (lire cet article du New York Times).
Comment comprendre cela ? C’est que Huckabee n’a aucune chance d’être élu président, pour l’instant, ni même d’obtenir l’investiture républicaine, et nombreux sont ses collègues pasteurs qui voient d’un mauvais oeil l’émergence d’une nouvelle personnalité politique et religieuse nationale. Huckabee, à leurs yeux, risque de les éclipser.
Les références religieuses, j’espère avoir pu au moins l’esquisser, jouent donc un rôle interne au champ religieux concurrentiel au moins autant qu’elles empiètent sur un espace public, politique et séculier perçu à travers les lunettes de la foi.