Sur une mailing-liste milifique (*), il y a plusieurs semaines, le mail suivant circulait :
(EXTRAIT) Une action ‘seins nus à la piscine’ est en train de se créer. C’est une action féministe visant la réappropriation de l’espace public et le droit des femmes à disposer de leur corps .
Ce mail a suscité quelques réactions, dont voici l’une d’entre elles :
Alors à qui s’adresse cette action ?
J’en ai marre de voir des nanas, en dehors des réalités, dévoyer autant le féminisme.
Et si des nanas voilées ou juste pudiques veulent faire une action féministe, elles doivent se débrouiller autrement? Ou arrêter d’être pudique? (…)
Sans parler de cette facilité de montrer des seins pour les filles normées . Il va falloir réfléchir aussi au fait que pour certaines filles, montrer des seins qui tombent et qui sont “moches” suivant la norme, est une vraie difficulté. Et pas la peine de dire que c’est ce type d’action qui peut nous libérer car je n’y crois pas une seule seconde. Quand on est grosse, comme moi, le stigmate qu’on t’a collé te suit à la trace…mais peut être ne suis je qu’une idiote…Et qu’une aliénée
Et une réaction de soutien à la réaction :
Profondément d’accord avec toi, [***], depuis mon point de vue de lesbienne trans blanche moche aigrie (sans doute !). Les “contre-normes “(euh ?) de nos milieux sont obstinément indexées sur nos valeurs classe moyenne sup blanches et valides, déjà, et par ailleurs sur le culte de “la vie intense pour celles qui relationnent”, bref le libéralisme en toutes matières.
D’autres réactions soutenaient la démarche. Le débat s’est rapidement éteint, du moins dans l’espace semi-public de la liste-mail, mais il témoigne de tensions internes au féminisme, même au sein des générations les plus jeunes.
L’action, organisée par les Tumul-Tueuses, a eu lieu cette semaine, et plusieurs blogs mentionne de nouveaux débats. Eléonore Quesnel décrit cette opération seins nus à la piscine :
Tandis qu’elles nagent comme tout le monde, les maîtres-nageurs parlent aux organisatrices, qui leur distribuent des tracts. Cinq minutes plus tard, une maître-nageuse va prévenir un vigile, sans que personne n’ait parlé aux amazones dans l’eau – à part un « C’est dégoûtant ce que vous faites ! » de la part d’une quadra outrée. Un vigile vient vers la dizaine de baigneuses en monokini. « Sortez de la piscine maintenant », ordonne-t-il du bord. Malgré le dialogue qu’elles essaient d’instaurer, l’homme ne veut rien savoir. Il obéit aux ordres, c’est tout. « Nous aussi, et on doit attendre le signal de notre chef pour sortir. » Ce dialogue de sourds dure jusqu’à ce qu’une des porte-parole leur fasse le signal convenu, le fameux « on se tire » universel. Elles sortent de la piscine, suivies par un autre vigile, plus sympathique. « Les avancées, vous les avez déjà ! Ce que vous avez fait ce soir, c’est déjà une avancée ! » confie-t-il discrètement. « On en veut encore, des avancées ! » rétorquent les militantes, qui, toujours topless, rejoignent les douches.
Le blog de Camille, Rue69, mentionne certaines des suites de l’action :
, la direction de l’établissement, elle, a jugé qu’il y avait là un trouble à l’ordre public (et que les seins nus pourraient choquer les enfants) et a appelé la police. Cette dernière est venue (mater une rebelion de femmes dangereuses ou mater des participantes dénudées?) et a menacé des femmes dans les vestiaires de poursuites pour exhibition sexuelle….
Le débat reprend, mais il va impliquer maintenant d’autres acteurs : directeurs de piscines, policières…
La monstration des seins a une longue histoire, et même, depuis le très bon ouvrage de Jean-Claude Kaufmann, Corps de femmes, regards d’hommes (5 étoiles au coulmont), une histoire dans la sociologie. Mais il me semble qu’il manque encore une histoire de la pratique : je connais trop peu les étapes ayant conduit les juges à accepter les seins nus sur la plage et pas vraiment ailleurs… Si un étudiant en histoire contemporaine pouvait se pencher sur les dossiers de procédure du côté de Saint Tropez, il ferait un beau mémoire de master. [Si cela a été déjà fait, je suis preneur des références.]
Il y a probablement eu, à Saint-Tropez au milieu des années soixante, quelques arrestations pour seins nus… et une petite affaire qui a été aujourd’hui oubliée. Mais parlait-on de féminisme à l’époque ? ou de bronzage ? Des actions de groupes étaient-elles organisées ? Comment la séparation s’est faite avec les naturistes (qui ne devaient pas accepter ce mi-nudisme) ? La diffusion de la pratique sur toutes les plages françaises a-t-elle donné lieu à de nouvelles mobilisations (de la police ou d’autres groupes) ?
Et enfin… une question m’intéresse : depuis quand la piscine est-elle un espace politique. Je crois comprendre le rôle des piscines, depuis le début du XXe siècle, dans les politiques municipales (c’est un établissement coûteux qui est utile à la fois aux écoles, aux sportifs, aux centres aérés etc…). Mais était-ce un espace objet d’autres investissement politiques ?
Depuis quelques années, la piscine est comme une extension de l’école en tant qu’espace “laïc” et sexué : les demandes de personnes souhaitant des piscines non-mixtes à certaines heures ont été qualifiées de communautaristes, et des reportages ont pointé du doigt la déviance anti-républicaine de certains maires…
Une bonne thèse avait été réalisée, il y a quelques années, par un sociologue (maintenant MCF à Lille, Frédéric Poulard), sur les musées locaux. On voyait bien le rôle des conservateurs dans les politiques culturelles, aux échelons locaux et nationaux. A quand une thèse sur les piscines ?
Liens :
Maïa Mazaurette sur sexactu
Eléonore Quesnel sur Agoravox
Des naturistes se réjouissent
Camille Rue69 / Rue89
Le journal suisse Le Temps
Eléonore Quesnel (encore) sur Rue69/Rue89
Un billet sur Pladond-de-verre, blog féministe.
Réactions sur un forum de nageurs.
Cousture à Montréal
AlicesWonderVerden, commentaire.
Notes
1- (*) milifique : scientifique et militant
2- j’ai posé beaucoup de questions et je n’ai pas fait les recherches minimales… Que les auteurs de travaux sur les piscines me pardonnent !