Recruter des universitaires
Le recrutement des universitaires est une procédure complexe et en plusieurs étapes. Dans le cadre des réformes en cours, un nouveau décret va modifier ce qui se faisait.
Jusqu’à maintenant, des “commissions de spécialistes” étaient chargées d’évaluer les candidatures. Ces commissions, pouvant comporter une vingtaine de membres, étaient élues, dans le cadre de l’université, par les enseignants-chercheurs d’une même discipline. Elles comportaient un petit tiers de membres extérieurs à l’université en question, et, à parité, des “maîtres de conférences” et des “professeurs”.
Le projet de décret et un texte de précision peuvent être lus sur le site de l’ANCMSP.
Une réaction argumentée a été publiée sur Affordance, le blog d’un enseignant chercheur en InfoCom (section 70 du CNU).
Mes remarques seront, je l’espère, brèves. L’ennui… elles ne seront pas comprises par qui n’est pas familier des anciennes commissions de spécialistes.
Le nouveau décret modifie l’écosystème :
1- les “comités de sélection” (le nouveau nom) sont nommés par le président de l’université et le conseil d’administration, et ne sont donc plus élus. L’élection des commissions avait ceci d’intéressant qu’elle apportait une réponse aux conflits possibles sur la création des comités. Et que le suffrage, ou du moins sa logique, apparaissait légitime.
2- Les comités de sélection sont plus restreints, de 6 à 12 membres maximum (et une moitié de présents suffit) : une audition face à 4 personnes est donc possible (ce qui fait que, dans les gros départements, de plus d’une trentaine d’enseignants chercheurs, la quasi totalité n’aura jamais rencontré la future collègue). Les membres suppléants (qui permettaient souvent d’atteindre le quorum) disparaissent.
3- ils doivent comporter pour moitié des membres extérieurs à l’université (mais ne peuvent comporter d’étudiantes ou d’étudiants), et ne sont pas disciplinaires (la pluridisciplinarité est même implicitement encouragée)
4- la parité en fonction des statuts (PR et MCF) n’est plus requise
5- Ces comités de sélection sont temporaires, créés pour examiner les candidatures sur un seul poste
6- le président du comité, nommé par le conseil d’administration, a une voix prépondérante, en cas d’égalité des suffrages : c’est la fin des longues séries de votes et des commissions qui se terminent à 21h !
Dans le pire des cas, des logiques de pouvoir peuvent se mettre en place avec succès : des comités formés de quelques personnes (des professeurs) connaissant bien le président de l’université pourront choisir leurs poulains. Rien de bien nouveau sous le paysage de la critique des commissions de spécialistes.
Mais :
1- des comités partiellement renouvelés pour chaque poste, avec des présidents de comités différents à chaque poste (ce qui n’est pas proposé, mais n’est pas interdit), peuvent permettre d’empêcher la constitution de lignes de pouvoir solidifiées (les anciennes “commissions de spécialistes” étant élues pour 4 ans, et renouvelées tous les 4 ans sauf démission ou départ d’une des membres, elles contribuaient à matérialiser des oppositions… et l’on pouvait voir les mêmes têtes à quinze ans de distance).
2- des comités entièrement constitués de maîtres de conférences peuvent exister, ou des présidents de comités eux aussi maîtres de conférences : certes, c’est étrange, cette possibilité de subversion des hiérarchies académiques… et j’aimerai bien voir si ce genre de comité verra le jour.
3- des objectifs de recrutement extérieur sont désormais demandés aux universités (ce qui pourrait conduire à diminuer le recrutement local… mais pas si ces objectifs sont par exemple de “50%”… cela renforcerait la prévalence de la peste localiste) : en fait, si l’objectif est inférieur à 95% de recrutement extérieur, il me semble que le localisme perdurera (Sur la difficulté des estimations du localisme, se référer aux travaux d’Olivier Godechot). Si les universités se fixent “70%” de recrutement extérieur : le localisme restera au même niveau qu’aujourd’hui.
D’autres remarques : une modification des mutations a eu lieu aussi. Désormais, le conseil scientifique examine les mutations et rend un avis… avant que le comité de sélection le fasse. Est-ce que cela va augmenter la mobilité ? La réduire (en introduisant une barrière nouvelle à la mutation) ?
Les rapports d’examen des dossiers de candidature ne sont pas mentionnés (sauf comme une possibilité)… Quand on sait le travail que cela prend, on peut supposer que, s’ils ne sont plus nécessaires, ils seront moins fréquents. Un exemple : Pour chaque poste, nous recevons une centaine de dossiers : quand la commission de spécialiste fonctionne avec une quinzaine de personnes, cela fait 13 dossiers par personne (chaque dossier a 2 rapporteurs). J’imagine avec horreur un “comité de sélection” de 4 personnes (2 se faisant porter pâle) faire ce travail.
On s’aperçoit enfin, avec ce décret, du rôle que prend le conseil d’administration dans ce domaine, chargé, tous les six mois, de trouver une bonne centaine de personnes acceptant d’être membres de comités de sélection (au minimum six par poste, avec une quinzaine de postes disponibles dans les universités tous les six mois)… dont 50 membres extérieurs non rémunérés. A mon avis, le conseil d’administration aura bien du mal à faire ce travail et à assurer une non pérennité des comités (avec la LRU, les conseils d’administration ont vu, dans d’autres domaines, leur rôle s’accroître).
Il y a plein d’autres choses dans ce décret (ou projet de décret). Il sera intéressant d’étudier comment se passeront les futures séances de recrutement (que je vais suivre ou faire suivre sur https://coulmont.com/auditions/).
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7 commentaires
Un commentaire par Gizmo (23/01/2008 à 15:53)
“2- Les comités de sélection sont plus restreints, de 6 à 12 membres maximum (et une moitié de présents suffit)” : non, cela ne suffit pas, la moitié au moins des membres présents doit être extérieure à l’établissement.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (23/01/2008 à 16:35)
Vous n’avez pas tort… reste que : 4 personnes suffisent… et je me demande même si 3 personnes (deux extérieurs et le président) ne suffiraient pas. Les extérieurs sont condition nécessaire (pas suffisante).
Un commentaire par christian Pihet (23/01/2008 à 20:44)
– La suppression des suppléants risque de compliquer l’obtention de quorums, que ce soit à 6 ou à 12, particulièrement avec les “extérieurs” dont une majorité de présents est requise à l’ouverture du CS.
– Par ailleurs, ce CS n’est plus un jury et c’est le CA qui remplit ce rôle.
Ce décret nourrit de très sérieuses et peut-être exagérées inquiétudes. Je me demande si on ne peut pas estimer que ce qui n’est pas explicitement prohibé peut être autorisé. Par exemple les suppléants, une certaine pérennité des CS en constituant un pool volumineux dès le départ et en tirant au fur et à mesure les membres selon les profils des postes et que les départements proposent des listes au président qui entérinera.
Le jeu est peut-être plus ouvert qu’on le croit avec une bonne utilisation des interstices.
Un commentaire par Claire Hancock (24/01/2008 à 9:19)
A mon sens plusieurs possibilités pour appliquer intelligemment un texte inique:
– rien, à ma connaissance, n’exclut que tout le département concerné par le recrutement soit associé à l’examen des dossiers; cela se pratique aujourd’hui quand on demande des rapports à des “experts” qui ne sont pas membres de la commission
– de la même façon, pourquoi ne pas faire assister tout le département à l’audition des candidats, et permettre à tout un chacun de poser des questions, comme cela se pratique par exemple en Angleterre?
Au final c’est bien le comité de sélection qui reste décisionnaire, et qui décide à huis clos, mais éclairé des avis et des réactions de l’ensemble des futurs collègues concernés par le recrutement. Effectivement, on peut considérer que tout ce qui n’est pas explicitement interdit est autorisé, et il est essentiel d’établir de bonnes pratiques dès l’entrée en application du texte…
Un commentaire par Baptiste Coulmont (24/01/2008 à 13:53)
> Christian : pour les interstices, un groupe de réflexion (et de vigilance), à Paris 8, est chargé de les remplir… ou de mettre en place des “garde fous” ! (je peux donner le mail de la responsable de ce groupe sur demande : cela intéresse peut-être des universitaires extérieurs à Péhuitte)
> Claire : je ne suis pas certain qu’il soit possible d’organiser des auditions où des non membres puissent prendre la parole. L’ancien “Guide de fonctionnement des commissions de spécialistes” était très clair sur ce point (même les suppléants, en cas de présence de la titulaire, devaient se taire).
Un commentaire par Olivier Ertzscheid (24/01/2008 à 21:07)
Baptiste> BOnjour, je suis intéressé par le mail de la responsable du groupe :-)
Un commentaire par Gizmo (25/01/2008 à 14:36)
D’accord avec Claire : rien n’empêche, en dehors des CS, et en amont de leur réunion, d’organiser dans les laboratoires ou les départements des sessions “job market” (sous forme de présentation d’article de recherche ou de chapitre de thèse) qui permettraient aux enseignants-chercheurs d’écouter les candidats pressentis/préselectionnés pour donner un avis aux membres du comité de sélection.