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La fin des bonnes moeurs

Billet publié le 07/02/2008

Après avoir enquêté sur les sex-shops et écrit un livre… mes recherches continuent en partie à s’intéresser aux commerces pornographiques. J’étudie en ce moment la construction d’un marché du sexe à partir de sources judiciaires et policières : les procès pour outrages aux bonnes moeurs, entre 1967 et le début des années soixante-dix.
L’outrage aux bonnes moeurs est un bel objet : il est défini dans le Code pénal (articles 283 et suivants), mais les “bonnes moeurs” elles-mêmes étaient laissées à l’appréciation des juges… Mais, avant-même que les juges interviennent dans ce processus, la définition des bonnes moeurs est laissée aux policiers, qui vont décider ou non de considérer que telle chose participe aux bonnes moeurs ou non. C’est donc un domaine du droit où le travail des différents acteurs intervient dans la définition de la situation. Et, plus intéressant encore pour moi, les “OBM” ont été peu étudiées par les juristes : ce sont toujours les mêmes 3 ou 4 décisions publiées qui sont citées… et très peu de décisions concernant les OBM ont été publiées.
Pour mieux saisir le travail de la justice, un outil est très intéressant, le Compte général de la justice, qui a publié annuellement des statistiques sur les condamnations. Voici un graphique résumant l’épuisement des condamnations entre 1958, début de la Ve République, et 1985… Je n’ai pas, pour l’instant, réussi à trouver le nombre de condamnations entre 1986 et 1993 (année où l’outrage aux bonnes moeurs disparaît du Code pénal).
Statistiques Condamnations pour outrages aux bonnes moeurs
L’installation du gaullisme s’accompagne d’une hausse des condamnations pour OBM, qui retombent assez rapidement. En 1969, entre de Gaulle et Pompidou, minijupe et sexy danoises, les juges s’arrêtent de condamner. L’installation du pompidolisme renforce les condamnations. On trouve dans les archives judiciaires des lettres d’un sous-ministre quelconque à un sous-directeur transférant une dénonciation anonyme (“Machin, il a des revues porno”) aux services compétants… Mais la mauvaise grippe de Pompidou, puis le libéralisme giscardien, vont tuer les Outrages aux Bonnes Moeurs. Sous Mitterrand, les choses statistiques ne sont pas encore très claires (changements de catégories statistiques et autres modifications rendent les comparaisons difficiles).
Mais qui sont ces condamnés ? Quelles sont les catégories sociales les plus soumises aux regards policiers et judiciaires. Je propose aux lectrices [et lecteurs… mon usage du féminin comme neutre n’est pas compris] un petit jeu. Quelles sont les catégories socio-professionnelles les plus riches en condamnation pour OBM ? (Catégories utilisées : agriculteurs (gros, petits), salariés agricoles, artisans, commerçants (gros, petits), cadres, employés (privé, public), instituteurs, professions libérales et professeurs, OQ, OS, manoeuvres, personnel de service, clergé et artistes, non actifs…)

[yarpp]

8 commentaires

Un commentaire par blop (07/02/2008 à 15:41)

“clergé et artistes”, c’est une seule et même catégorie ?
Whoua, ca change mes perspectives sur la messe (ou sur les sex pistols, j’ai pas encore choisi).

A moins qu’il n’y ait une virgule en trop et qu’il faille lire “clergé et artistes non actifs” où la cène apparaît comme un pis-aller à la scène.

Bon, n’étant pas lectrice, je ne peux pas jouer. J’imagine que mon statut de mâle rend la devinette trop facile…

Un commentaire par Baptiste Coulmont (07/02/2008 à 15:48)

La catégorie de l’INSEE était bien “clergé et artiste” jusqu’au début des années 1980. Un peu ironique, mais c’est comme ça. Elle a changé depuis : le clergé se trouve dans les professions intermédiaires maintenant et les artistes avec les cadres et professions intellectuelles.

Un commentaire par Pierre M (07/02/2008 à 22:06)

Moi aussi je penchais pour “clergé et artistes”, mais finalement je dirais la catégorie Employés. C’est un peu facile… effet de structure, c’est la catégorie la plus importante dans celles citées-ci dessus, elles devraient “normalement” être la plus “riche” en OBM. En tout cas je suis bien curieux de connaître les résultats de cette recherche qui me parait des plus passionnantes ! Bon courage.

Un commentaire par Baptiste Coulmont (07/02/2008 à 22:28)

Pas mal l’idée de l’effet de structure (mais comme les OBM s’arrêtent dans les années 70, la structure était plus “ouvrière” que “employée”)… La réponse viendra quand j’aurai plusieurs autres propositions.

Un commentaire par Marie Ménoret (09/02/2008 à 12:02)

Merci B. pour cet usage du féminin=neutre ! À ce propos, l’outrage aux bonnes mœurs serait donc exclusivement masculin ? Quant aux CSP des OBM, je préfère ne pas m’engager plus avant sur ce terrain joueur depuis que j’ai regardé la jolie blonde que tu nous proposais à moquer l’autre jour.

Un commentaire par Baptiste Coulmont (09/02/2008 à 12:27)

Pas exclusivement masculin : entre 10 et 20% des condamnées sont des femmes.

Un commentaire par albert (21/02/2008 à 10:06)

je ne pense pas du tout qu’on retrouvera beaucoup de “clergé et artistes”. Pour les premiers, les affaires devaient être vite étouffées, pour les seconds, je parie un certain laxisme des policiers et des juges. Je mise sur les instituteurs et les commerçants qu’on devait aimer tout particulièrement “pincer”. Alors, la réponse?

Un commentaire par Baptiste Coulmont (21/02/2008 à 17:49)

Instituteurs et commerçants, je retiens… La réponse arrive bientôt !