Categories

Archives

Billet

Sectes : panique à l’Elysée ?

Billet publié le 20/02/2008

Par Etienne Ollion, doctorant, université Paris 1 et université de Chicago.
 
Mise à jour : une version bien plus développée a été publiée dans Ollion, E., “La secte sécularisée. Processus de requalification conceptuelle dans la lutte contre les sectes”, Genèses, n°77, Février 2010

L’interview d’Emmanuelle Mignon publiée aujourd’hui par VSD est loin d’être passée inaperçue. En déclarant qu’il n’y aurait pas (ou plus) de « problème des sectes » en France, la directrice de cabinet de N. Sarkozy a déclenché une polémique qu’elle pourrait rapidement regretter. Ces propos sont-ils toutefois le signe d’un changement dans la manière dont seront menées les oppositions aux sectes ?

Lorsque sont créées les premières associations (1) spécialement consacrées à ce sujet dans les années 1970, ce qui allait ensuite (et en France seulement) recevoir le nom de la « lutte contre les sectes », est alors un « non-problème », relégué aux pages faits divers. Et pourtant, en moins de dix ans, le sujet prend suffisamment d’ampleur pour qu’un rapport parlementaire soit commandé en 1982. Que s’est-il passé ?
Des adeptes de Moon sur la couverture du disque
D’abord une publicisation efficace de la question réalisé par les associations, qui se posent en experts à chaque fois qu’un fait divers amène les sectes sur le devant de la scène médiatique (du fait le plus local à la mort de plus de 900 adeptes du groupe People’s Temple au Guyana en novembre 1978).
Surtout, un changement a lieu dans la définition même de la secte. Un véritable travail de redéfinition est opéré dans et autour des associations de lutte contre les sectes dans ces années : nées avec le soutien de l’Eglise catholique, les premières ADFI prennent rapidement leurs distances avec l’institution qui avait jusqu’alors fait sienne la régulation du « sectarisme ». Les deux groupes d’acteurs s’opposent en effet rapidement sur ce qu’est une « secte » : alors que l’Eglise continue de les penser en termes d’hérésies, les associations insistent sur le conditionnement qui aurait lieu dans ces groupes fermés, et sur les atteintes aux droits de l’Homme qui y auraient cours.
Bref, alors que les Eglises dénoncent les sectes sur un mode théologique, les associations opèrent la leur sur une base qu’on pourrait qualifier d’humanitaire. Roger Ikor, fondateur du Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM) en 1981 et rationaliste de la première heure, écrivait comme pour illustrer : « Bien entendu, l’Eglise à le droit de décider ce qui est hérésie par rapport à elle ; mais secte, non : nous sommes tous concernés » (2) . Cette définition est reprise à son compte par Alain Vivien dans le rapport de 1983.
 
Les conséquences de cette transformation sont nombreuses, mais on peut montrer comment, d’hier à aujourd’hui, le changement de définition permet d’éclairer les succès et les difficultés des opposants aux « sectes ».

  • (i) Dans les premières années, la sécularisation de la définition de la secte joue un rôle important dans l’intéressement de nombreuses personnes au problème que soulèvent les associations. En faisant de leur combat non plus une querelle religieuse mais une bataille laïque, « contre l’aliénation de la volonté » et « au nom de l’Homme », les associations parviennent à enrôler des soutiens de plus en plus massifs.
  • (ii) La liste des groupes considérés comme sectaires se transforme radicalement : après une période de trouble dans les années 1970 ou « anciennes » comme « nouvelles sectes » sont évoquées indistinctement, tout une série de branches schismatiques ne sont désormais plus mentionnées comme telles. Les petits groupes protestants (baptistes, adventistes, …) ne sont plus qualifiés de « sectes », ou s’ils le sont, ils ne sont plus (explicitement du moins) incriminés pour leur caractère schismatique, mais pour les manipulations mentales qui se réaliseraient en leur sein.
  • (iii) A contrario, tout un ensemble de groupes sans prétentions religieuses ni relation à un groupe se voient qualifiés de sectaires. Au tournant des années 1980, des communautés agrariennes (Longo Maï), des groupes écologistes radicaux (Ecoovie) deviennent les cibles principales des associations et sont largement évoquées par la presse, signe de la victoire des associations. A partir de ces années, l’accusation de « sectarisme » peut, en France, toucher bien d’autres groupes, voire suite à l’introduction de la notion de « dérive sectaire », des individus (dans les années 1980, ce sont des tenants de médecines alternatives qui se voient ainsi incriminés, sans qu’il n’y ait de groupes, et plusieurs psychanalystes dans les années 1990).

Retracer la vie mouvementée de la définition de la « secte » éclaire les questionnements récents sur l’orientation à prendre en termes politiques publiques des sectes. Les déclarations de la directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy ne sont qu’une formulation radicale, mais finalement pas si éloignée, de ce que disent depuis quelques années les opposants, associations et MIVILUDES en tête : les « sectes » sont désormais moins visibles qu’avant. Constat similaire, solutions opposées, mais même cause : à force d’extension, la « secte » s’est quelque peu dissoute, et l’objet de la lutte a perdu en clarté. Sont-elles devenues un « non-problème » pour autant ? A considérer la rapidité du démenti et le tollé qu’il a suscité, probablement pas pour l’Elysée.

                                                Etienne Ollion.

Notes
(1) La première est l’Association de Défense des Valeurs Familiales et de l’Individu (ADFVI), rapidement renommée en ADFI et dont plusieurs antennes s’installent dans les grandes villes françaises dans les années suivantes.
(2) Roger Ikor, La tête du poisson, 1983, Albin Michel, p. 40.

Mise à jour (par B.C.) : (1) Merci rezo.net !.
et (2) : des propositions de réforme chez Sébastien Fath

[yarpp]

10 commentaires

Un commentaire par virginie (26/02/2008 à 20:11)

Une chose est sure, je n’ai aucune envie qu’une secte peut importe laquelle, ne puisse venir démarcher en toute légalité auprès des sorties des écoles et/ou fassent parties des “fondamentaux” scolaires qui seront peut-être enseignés un jour.

Là on aura atteint le fond du totalitarisme dans son expression la plus dure.

rappel de la Loi du 9 décembre 1905 à propos de la laïcité
Article 1
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

Un commentaire par Etienne (26/02/2008 à 20:53)

Merci de votre réponse, qui exprime un point de vue assez français sur le sujet (ce qui ne veut pas dire qu’il soit erroné ou borné). De manière intéressante, la lutte contre les sectes s’est souvent focalisée sur des groupes (ou après 1995 des personnes) accusés de s’investir dans le domaine éducatif ou médical en France. C’est le cas de la Scientologie (“développement personnel” et “écoles d’éveil”), c’est le cas des Témoins de Jéhovah (refus des transfusions et éducation alternative après l’école), c’est bien évidemment le cas des psychologues et psychothérapeutes “sectaires”.
Aux Etats Unis, par contraste, les accusations des opposants aux “sectes” (certaines similaires, d’autres non) mettent plus souvent en avant la fraude spirituelle, “l’exercice illégal de la religion”. Alors qu’en France la définition humanitaire s’est imposée — jusque dans l’Eglise –, la tension est restée nette aux Etats Unis et aucun camp ne peut prétendre avoir imposé sa vision de la secte.

Un commentaire par Baptiste Coulmont (26/02/2008 à 22:10)

@ Virginie : Merci du rappel de la loi de 1905. Mais cette loi concerne moins les écoles que les lois Ferry de 1881-1882 : l’école a été laïque 20 ans avant la séparation des Eglises et de l’Etat.

Un commentaire par Alex Robin (27/02/2008 à 0:44)

A props de Longo
Longo maï est évoqué dans le texte d’Etienne Ollion et il se trouve que je suis “tombé” à Longo maï quand j’étais petit, à l’age de 16 ans. Je me retrouve assez bien dans la définition de “communauté agrarienne” de l’auteur. Mais je me suis souvent posé la question de savoir pourquoi il fut de bon ton, à une époque, de traiter notre communauté de secte. C’est complexe.
Il y a d’abord eu un terrain favorable: une fois la parenthèse des communautés post soixante huit fermée, il parraissait incongru de continuer à vivre une forme collective d’organisation, aux yeux de ceux qui avaient rejoint le mode de vie dominant, libéral-démocrate-individualiste. N’est-ce pas Serges Jully qui déclara en comité de rédaction à Libé, dans les années 80, que les communautés telles Longo maï: “ça ne devrait plus exister”…
Entre temps le choc de l’affaire Jim Jones avait donné une tonalité tragique à la notion de secte à laquelle on assimila toute sorte de groupes vite fait bien fait pour avoir du grain à moudre côté presse.
Et comme me l’expliqua un spécialiste, du côté des associations anti-secte, pour mieux peser dans les institutions, il y avait un besoin de trouver des sectes en tout genre, y compris des sectes “de gauche”, histoire d’élargir le spectre et montrer l’importance du danger…
Je ne méprise pas pour autant la sincérité et l’inquiètude de la plupart des membres de ces assos. Mais le problème est qu’ils et elles ont souvent une relation émotionnelle envers l’objet “secte”, ce qui ne falicite pas l’objectivité et surtout l’universalité de la chose. Car il n’y a pas de raison de localiser exclusivement l’attitude sectaire à une forme collective particulière.
Certes le mélange de prosélitisme, de pression psychologique, d’explotation de la personne, de soumission de l’individu et de culture de l’irrationnel prend souvent une forme caricaturale dans ce qu’on appelle “secte”. Mais ces éléments se retrouvent parfois dans des formes d’organisations bien plus banales sans que l’on n’y prennent garde: églises, familles, partis, entreprises, compétitions sportives etc…
Donc il me semble qu’il serait plus judicieux de parler d’attitudes sectaires, voir de groupe sectaires comme le suggère Paul Aries, que de sectes qui auraient l’exclusivité du conditionnement mental…
Pour en revenir à Longo maï, outre le contexte évoqué, il faut reconnaître qu’il y a eu des moments assez sectaires, surtout au début, et des histoires personnelles qui ont aussi favorisé les amalgames en réaction. Mais ça c’est terriblement humain. Depuis on peut véritablement parler d’autogestion…
Alex Robin
P.S. Ce texte n’engage que moi (d’autant que je l’ai écrit à chaud et bien tard…)

Un commentaire par tungstene (27/02/2008 à 1:01)

Dés mon enfance j’ai été victime d’une secte. Bébé encore, on pratiqué des rites sur moi sans mon consentement (baptème) , j’ai subit de l’endoctrinement, on m’a enseigné Adam et Eve, leur 2 fils, ce qui fait que nous sommes le fruit d’un inceste (cathéchisme) je me suis retrouvé enfant de choeur assistant à des simulacres de cannibalisme (eucharistie). Mon épouse m’ayant plaqué, je suis maintenant banni du sacrement du mariage(je l’aurai tuée, après confession je n’aurai plus été banni.)
Bref les religions ne sont que des sectes qui ont réussies.

Un commentaire par Baptiste Coulmont (27/02/2008 à 8:07)

@ Tungstene : argument mille fois rebattu… et vous ne montrez pas en quoi “les religions” dont vous parlez auraient été “des sectes” avant, ni comment elles “ont réussi”. L’orthographe choisie pour “catéchisme” laisse enfin croire que votre socialisation religieuse laisse à désirer.

@ Alex : Beau commentaire. Le récit détaillé d’une expérience et de réflexions personnelles apporte toujours un éclairage !

Un commentaire par tungstene (27/02/2008 à 16:48)

Je reconnais que mon orthographe laisse a désirer, je me qualifie même de lamentable dans ce domaine, pour ce qui est de mon commentaire précédent, c’était de l’humour. Sur le fond toutes les religions ont ou on eu un caractère sectaire. Prosélytisme, assujetisment à une doctrine, même l’indouhisme contribue à maintenir les castes ce qui est inique pour l’homme. Les religions contribuent ou ont contribué à maintenir les femmes dans un état d’infériorité , proné la résignation(karma, inch allah, la volonté de Dieu) l’asservissement de l’homme au nom d’une pseudo morale sous tendue par l’accession à un pseudo paradis,comme s’il ne saurait y avoir de morale hors la religion. Je suis athée, vous l’auriez deviné, je n’ai que ma petite vie, je n’ai pas la prétention de dire aux autres ce qu’il devrait faire, j’ai aimé, j’aime et j’espère juste qu’à la fin de ma vie entre le plateau des regrets et celui du bien, que celà penche du bon coté pour qu’il me reste assez de tendresse vis à vis de moi-même pour partir sans amertume.

Un commentaire par Milla (07/03/2008 à 17:43)

Je suis tout a fait en accord avec Tungstene, j’ajouterai même qu’il s’agit non seulement d’asservir les femmes, mais encore une majorité de faibles, j’entends par puissance politique ou de pouvoir politique, puisque à la naissance des religions la politique ne se séparait pas de la religion …

par ailleurs, nous en sommes encore a l’hénotheisme, “un dieu domine” et non pas au monotheisme …. a l’instar des pratiques ancestrales qui régnaient sour la grèce ou l’egypte antique, et même sous le polytheisme arabique… c’est pourquoi le calendrier grégorien domine dans le monde.

pour mémoire, la notion du bien et du mal ne date pas de la religion de Moise, mais du culte Zoroastrien, dont plusieurs ramifications sont issues, ramifications ou sectes… ” le Zarathoustra” de Nietszche n’est pas né de rien!! Deleuze l’étaye parfaitement…

perso, une collègue a tenté de me faire rentrer dans la scientologie mais elle ne savait pas que comme Tungstène je suis athéée, cette collègue ressassait des mots incompréhensibles et y croyait avec ferveur, elle voyageait et déboursait des sommes collosales alorsqu’elle percevait un salaire vraiment très moyen, notamment la somme de 1000 € pour une espèce de statuette devant laquelle elle ressassait ces mots… j’a ihalluciné !! et puis pour info, la pratique du culte quelqu’il soit est excessivement cher, sans oublier que même la reconversion est payante, c’est dingue non ?

je reste persiadée de la manipulation inhérente aux religions et sectes, et jamais je n’aurai besoin de ces inepsies pour m’enseigner la morale alorsque ceux là même qui l’enseignent n’y croient pas davantage, ils n’ont pas inventé la théologie pour rien, etquand je pense a rael qui se prend pour l’incarnation de jésus, je me dis qu’en effet les sectes n’ont pas fini de se propager …

Un commentaire par Baptiste Coulmont (08/03/2008 à 19:08)

> Milla : restez concentrée sur le texte d’Etienne Ollion !

Un commentaire par jean-Pierre Chantin (20/04/2008 à 8:38)

Utile reflexion, ce qui manque au débat en général. Cette idée de changement de sens de la notion de “secte” est à mon avis antérieure dans l’opinion publique, comme nous l’avions présenti Paul Airiau (conférence sur le site de la MIVILUDES) et moi-même dans mes études (pardon pour la pub): les années 1950 pour la France semblent à cet égard être un tournant avec l’affaire du Christ de Montfavet. A suivre… et tout à fait d’accord avec les propositions et les critiques de Sébastien Fath (voir son blog).