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L’Affaire Olesniak, épisode 8

Billet publié le 16/04/2008

Dans l’épisode précédent, les policiers avaient délaissé la concierge pornographe pour son approvisionneuse, lsabelle Roix, femme au foyer et mère de deux enfants.
Si vous avez suivi les différents épisodes de l’Affaire Olesniak, vous savez combien les archives sont riches d’informations sur le passé immédiat. C’est pourquoi j’attire ici votre attention sur un projet de loi, en reproduisant un extrait d’une pétition :

Un projet de loi d’archives voté en première lecture par le Sénat le 8 janvier 2008 va être soumis au vote de l’Assemblée Nationale le 29 avril 2008. Ce projet de loi contient des dispositions qui portent gravement atteinte à la liberté d’écriture et à la recherche historique. Il restreint de façon arbitraire le droit d’accès des citoyens aux archives publiques contemporaines (depuis 1933).
(…)

L’article L 213-2-II crée une nouvelle catégorie d’archives, les archives incommunicables. Certaines archives pourront ne jamais être communiquées au nom de la sécurité nationale ou de la « sécurité des personnes ». D’une part, le législateur est en contradiction manifeste avec ses propres intentions : il déclare à l’art. L 213-1 que les archives publiques sont « communicables de plein droit » pour créer, à l’article suivant, la catégorie archives incommunicables. D’autre part cet article n’a pas aucune raison d’être : les informations concernant les armes de destruction massives sont couvertes par l’art. 213-2-I-3° et les informations de nature à compromettre la sécurité des personnes sont visées par l’art. 213-2-I-4°. Enfin cet article est contraire aux recommandations du Conseil de l’Europe précisant que « toute restriction doit être limitée dans le temps » (point 2.1.5. de la Recommandation n° R 2013).

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Il est déjà assez complexe pour un chercheur d’obtenir l’accès et la communication de certains documents. J’espère de tout coeur que les archives deviendront plus faciles d’accès… mais ce n’est pas la direction annoncée par ce projet de loi.

Isabelle Roix ayant déclaré que des films et des revues se trouvaient entreposés chez ses parents, les policiers perquisitionnent :

A cette adresse se trouve un immeuble moderne où les parents de la sus-nommée demeurent et où elle dispose, selon elle, d’une chambre pour elle et son mari. L’appartement est situé au premier étage porte N°3. Nous sommes reçus par Mme Quatrefer Yvette (né 1902)(…)
69 joies de l'amour - casanovaMme Quatrefer Yvette nous indique que sa fille a en effet laissé quelques paquets qui se trouve (sic) dans un débarras situé au fonds de l’entrée. Elle nous remet quelques libres intitulés « Les 69 joies de l’amour » de S. Casanova. A nos questions la dame Roix Isabelle nous déclare alors qu’elle a menti et que tout se trouve à Holleville. Elle précise avoir agi ainsi pour revoir ses enfants.
Poursuivant nos recherches nous découvrons dans ce même débarras, sur le sol, derrière des vêtements, trois paquets contenant la revue « Sexus » représentant des femmes seules en des poses pornographiques, en noir et blanc.
Sur l’une des étagères dans ce même débarras nous découvrons des plaques offsets aluminium supportant des textes illustrés le tout d’un caractère pornographique certain dans un papier d’emballage, et des feuilles translucides en matière plastique supportant également des textes et illustrations de même caractère. Nous découvrons toujours dans un papier d’emballage des photos montage de 65cms x 48cms comportant sur chaque feuille 20 photos pornographiques. Appréhendons le tout aux fins d’examen à notre service.

Rien n’est découvert, malgré une « minitieuse visiste » (sic) lors de la perquisition chez les beaux parents de Quatrefer-Roix et dans la Simca du couple. Isabelle Roix, à mon humble avis, a été quelque peu inconsciente d’amener les policiers chez ses beaux-parents : elle voulait revoir une dernière fois ses enfants avant sa mise en détention préventive… mais le domicile servait aussi de cache au mari.

Le lendemain — nous sommes toujours en janvier 1969 — toute la troupe se déplace en Normandie, au domicile du couple Roix.

perquisition à Holleville au domicile de la Dame Roix Isabelle
(…)
En la présence constante de la dame Roix Isabelle procédons à une minutieuse visite des lieux. Dans le grenier découvrons quarante revues nordiques, en couleurs et en noir et blanc et un fichier de quatre boîtiers comprenant chacun une centaine de noms environ. Au premier [étage] dans la chambre à coucher des époux Roix découvrons, dans un petit classeur, un agenda 1967 où sur la page daté du 4 octobre figure un brouillon de circulaire pouvant intéresser la présente information. Dans ce texte écrit, il est fait mention d’une revue de 32 pages, noir et couleur, avec 32 photos et d’un livre illustré de 16 photos, chacun des ouvrages devant coûter 50 francs à expédier en billets sous enveloppe à Mr. Curesti 13 Bd. Saint **** à Paris (**e)

Avec tous ces documents, les policiers ont maintenant une image matérielle plus précise : des dates (un agenda 1967), une liste de noms, le nom d’un destinataire, des objets servant à l’impression (film plastique translucide)… Il semble que Philippe Roix était à la fois importateur (de revues “nordiques”) et imprimeur d’ouvrages pornographique.

Trois semaines plus tard. Changement de décor : les policiers laissent désormais la place centrale au juge d’instruction, qui reçoit, dans son bureau, les personnes inculpées et leurs avocats :

19 février 1969
Procès verbal d’interrogatoire de première comparution
Cabinet du juge d’instruction
[Philippe Roix, né en 1941, imprimeur]
(…) Je déclare m’expliquer immédiatement. Je le fais immédiatement en présence de mon conseil M. Bille.
Je tiens tout d’abord à vous dire ce qu’a été le rôle de ma femme dans l’activité qui m’amène devant vous. Ma femme a été essentiellement un témoin de mon activité ; puis, et à partir du moment où mon état de santé l’a exigé, elle m’a apporté son aide en faisant différentes démarches auprès des époux Olesniak. Je précise qu’en ce qui concerne son rôle de témoin de mes activités, j’ai à proprement parler mis ma femme devant le fait accompli.

Ici, Philippe Roix, sorti d’hôpital, cherche à minimiser le rôle de sa femme, qui, loin d’être dotée d’une agency, d’une autonomie d’action et de décision, n’est qu’un substitut. Le commerce pornographique est recadré comme affaire masculine… mais pas totalement : c’est une occupation de couple. Roix mentionne “les époux Olesniak” et une substitution possible entre sa femme et lui-même.
Laissons-le continuer :

Je vais maintenant vous relater les circonstances dans lesquelles j’ai été amené les faits (sic ?) qui me sont reprochés. En 1964, j’ai créé la société des presses des Lilas dont le siège (…) et dont je suis devenu le gérant. Pour la Société Wal** Disne** j’ai obtenu une licence d’exploitation des différents dessins de Wal** Disne** en vue de l’édition de cartes postales. En fait cette affaire ne s’est pas révélée rentable et la société a connu rapidement des difficultés.
vice-sans-finCe sont celles-ci qui m’ont amené à accepter l’offre de Bénard Claude (donc le jeune Bénard) d’imprimer pour lui, au moyen de ma machine OFFSET, des productions pornographiques.. J’ai ainsi imprimé successivement le livre « Vicieuses et Versa », le livre « Vice sans fin » et la revue « Sexus » ; en ce qui concerne l’ordre dans lequel les deux livres ont été imprimés, mes souvenirs ne sont pas absolument précis ; il me semble que Vice sans fin est le premier titre. Alors que Bénard a payé normalement ce qu’il me devait pour le premier livre, il m’a moins bien payé ce qu’il me devait pour le second et il ne m’a pas payé du tout l’impression de la revue « Sexus ». J’ai imprimé 1200 exemplaires de chacun des deux titres des livres et 400 exemplaires de la revue.

Remarquez bien : Roix mentionne ici une «offre» faite par «Bénard Claude (donc le jeune Bénard)»… Et pour la première fois dans l’affaire, on tombe sur un “gros poisson”. Claude Bénard [dois-je rappeler ici que tous les noms sont modifiés pour protéger la vie privée] et son père sont alors depuis plus de deux ans inculpés dans le cadre d’une autre affaire. Ce sont deux imprimeurs-distributeurs de pornographie : ils impriment… et font imprimer. Et c’est probablement par l’intermédiaire de connaissances professionnelles que Bénard et Roix entrent en contact. Claude Bénard n’est pas seulement imprimeur : il est aussi plutôt agité et violent. Et, en 1969, il est en fuite (je ne sais pas s’il sera retrouvé). Pour le juge (qui connaît Bénard), c’est ce personnage qui deviendra l’acteur central de l’histoire, pas la concierge Olesniak.
Le passage de Wal** Disne** à “Vicieuse et versa” est ironique, mais pas seulement. Un accord commercial avec la grande firme d’entertainment américaine ne conduit pas à l’aisance financière, bien au contraire, alors que l’entrée dans le monde illégal de l’impression pornographique est vue comme pouvant être rentable. [Une erreur là aussi apparemment]

Mais reprenons le fil de la déposition de Philippe Roix :

vicieuse et versaJe me suis appliqué à vendre moi-même les revues « Sexus ». Je n’y suis parvenu que partiellement.
Puis j’ai connu les époux Olesniak. Madame Olesniak m’a demandé si je pourrais lui livrer des films qu’il lui serait facile d’écouler. J’ai été tenté par cette demande et cela à seule fin de sortir d’une situation financière difficile ; le 1er octobre 1968 j’ai du déposer le bilan de la Société des Presses des Lilas. Je n’ai plus revue Claude Bénard depuis juin ou juillet 1968 (les derniers contacts que j’ai eus avec lui ont été des conversations téléphoniques pendant la période des événements de mai juin 1968). C’est donc en septembre ou octobre 1968 que j’ai eu cette conversation avec Mme Olesniak et me suis intéressé à la vente à elle de films et aussi de revues. Elle m’avait demandé expressément ces deux articles.
J’ai décidé de faire un voyage en Suède pour chercher à me procurer ce genre de marchandise ; je suis parti un peu à l’aveuglette, sans savoir exactement où je trouverais ces marchandises. Mme Olesniak m’avait bien montré une revue suédoise sur laquelle j’avais relevé une adresse, mais je n’ai jamais pu retrouver en Suède une localité correspondant à cette adresse.
J’ai fait un premier voyage au début d’octobre 1968 en compagnie de ma femme. Dans un magasin suédois, j’ai acheté 50 films au pris (sic) de 65 francs l’unité et 200 ou 220 revues au prix de 2 francs 40 l’unité. Je n’ai eu aucune difficulté à la frontière pour introduire ces marchandises en France. Lorsque Mme Olesniak a visionné les films, elle a constaté que la moitié environ, peut-être un peu plus, n’étaient pas de bonne qualité. Elle n’a acheté que ceux qu’elle jugeait de bonne qualité, au prix de 150 francs l’unité. Elle a acheté également la plus grosse partie des revues.
Au début du mois de décembre 1968, j’ai fait un deuxième et dernier voyage en Suède, seul cette fois. J’ai obtenu du commerçant chez lequel j’avais acheté la première fois les films l’échange de ceux que Mme Olesniak n’avait pas acceptés contre des films de meilleure qualité. Le commerçant m’a laissé gratuitement les films dont Mme Olesniak n’avait pas voulu ; j’ai donc ramené la seconde fois les films de mauvaise qualité et un nombre identique de films de bonne qualité, sans avoir payé quelque chose pour les uns et les autres. J’ai ramené, en outre, environ 200 revues et une douzaine de pochettes de photographies, payées 6 francs la pochette. Mme Olesniak a reçu la totalité des films ; elle a payé ceux de bonne qualité ; elle a accepté de vendre au meilleur prix ceux de mauvaise qualité ; je n’ai jamais touché d’argent relativement à cette dernière vente. Elle a également pris des revues après ce deuxième voyage, ainsi que des pochettes de photographies au prix de 15 francs la pochette.
J’ai déposé cette marchandise avant de la revendre au domicile de mes beaux parents et à leur insu. J’ai vendu un certain nombre de revues à des camelots algériens de Pigalle sur lesquels je suis incapable de vous donner des précisions.

Je sors aujourd’hui même de l’hôpital. Le médecin m’a prescrit un repos au lit de un mois. J’ai tenu à me présenter le plus rapidement devant vous avec l’espoir de servir ainsi la cause de ma femme.

L’audition devant le juge se termine par les mots suivants : “Mentionnons que l’inculpé porte des lunettes médicales noires spéciales et qu’il a été conduit à notre cabinet par son père.

Les rapports de Roix avec Madame Olesniak sont courts (il les date de la fin de l’année 1968, entre octobre et décembre), et semblent de bonne qualité, de même que ses rapports avec le marchand suédois. Mais les produits, eux, laissent à désirer.
Claude Bénard, le gros poisson, sera-t-il retrouvé ? Vous le saurez — ou pas — dans le prochain épisode.

[yarpp]

2 commentaires

Un commentaire par Pierre T (16/04/2008 à 9:57)

Oh la ! Où l’affaire s’embrouille et où l’on cherche à noyer le poisson :
– Tout d’abord, dans la déposition il y a un problème grave de ponctuation car l’absence de virgule après “50 francs” signifie que Mr Curesti n’est pas un client ou un destinataire puisque tel que c’est écrit ce sont les époux Roix qui doivent lui envoyer 50 francs en billets…donc Mr Curesti ne serait pas un client mais bien un fournisseur et donc Mr Roix aurait cherché d’autres moyens que d’aller en Suède et subir les pressions de Bénard pour vendre du porno…
– Surtout, on a toujours pas la réponse à la question cruciale de comment Roix a connu Mme Olesniak ?!
Via les rabateurs algériens de Pigalle ? Dans ce cas, Mme Olesniak apparaît clairement impliquée de longue date dans le commerce au sein de sa loge. Il ressort ainsi des dépositions que c’est elle qui juge de la qualité des films et de ce qui est montrable, négociable ou pas, elle sait ce que veulent “ses clients”, Roix suit ses recommandations ou plutôt ses exigences. Mme Olesniak, à mon humble avis, tente beaucoup plus de se déresponsabiliser que Roix. En effet, dans une enquête il y a toujours la tentation de jouer les Sherlock Holmes et de remonter la filière (dans le genre Jack the Ripper n’était-il pas le médecin de la reine Victoira, on va trouver un gros poisson etc) alors que parfois c’est le docteur Watson qui pose les simples et bonnes questions. Qu’on soit d’accord ou non avec la répression sur ce genre de commerce à l’époque, c’est ce commerce qui justifie officiellement l’enquête, le fait que les bonnes âmes puissent être mal infuencés par le commerce de “ces vices”. Or il apparaît de plus en plus clairement que Mme Olesniak avait quantité de réseaux pour se fournir et elle décidait où et avec qui marchander. Le fait que les enquêteurs n’aient pas creusé ces pistes (comme les autres rabatteurs par exemple dont les noms sont oubliés comme par enchantement…) est également très révélateur de l’époque. De la mentalité en vigueur dans la police de l’époque, à savoir contrôler et ficher les strates moyennes et supérieures de la société pour pouvoir les faire chanter. Le parallèle avec l’éventuel retour d’un fichage des homosexuels aujourd’hui en 2008 est criant car dans les années 60 et 70, selon de nombreux témoignages, la police des moeurs était friante de faire pression sur les “élites impliquées”, pouvant vendre les infos à tel ou tel camp qui aurait à y gagner. L’éphémère Premier ministre Couve de Murville en a fait les frais…Par opposition, le fait que nombre de consommateurs, jeunes hommes, pépés, pères de famille, puissent voir des films par brassée ne les intéresse guère car il semble que la tolérance pour la libido de chacun existe depuis la nuit des temps. Le fait que la police n’est pas du tout chercher à dresser des profils de clients de Mme Olesniak est très saillant à cet égard. Qu’en pensez-vous ?

Un commentaire par Baptiste Coulmont (17/04/2008 à 15:59)

Je vais juste apporter quelques éléments à votre dernière question : la police se contrefiche des clients, car même si vous avez une collection gigantesque de revues pornographiques, vous ne pouvez être condamné pour outrage aux bonnes moeurs que si cette collection circule, ou est distribuée, ou vendue, ou louée… [l’article 283 du code pénal qui était alors en vigueur est disponible sur ce site : ledroitcriminel.free.fr]
Dans les affaires que j’ai pu consulter, les clients sont donc parfois interrogés, mais, il me semble que c’est pour donner aux policiers une description “côté clientèle” du système de vente.