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Recrutements locaux

Billet publié le 20/05/2008

Commençons par une citation du Bilan du “Contrat quadriennal” de Paris 8, récemment imprimé (mais que l’on ne trouve pas encore sur le site de l’université) :

Si l’on examine à présent la politique de recrutement des enseignants chercheurs pratiquée à Paris 8 durant les quatre dernières années, on constate que les recrutements externes s’élèvent globalement à 73%, soit à 65% pour les PR et à 75% pour les MC, ce qui paraît être un taux raisonnable.

Un “MCF interne” est quelqu’un qui a soutenu sa thèse à Paris 8 (les personnes ayant été moniteurs, ATER, prag, past, chargés de cours… sans y avoir effectué leur thèse ne sont pas comptés — mais étant donné la grande mobilité des enseignants précaires — ou non –… tout le monde est plus ou moins local sur ce point).
On remarque par cette citation que les rédacteurs de ce bilan n’ont rien compris. Un taux de recrutement local de 27%, ce n’est pas “raisonnable”, c’est dérangeant — au minimum. Si les candidats étaient choisis indépendamment de toute préférence localiste, le taux devrait se situer aux environs de 8% (un sur treize), et non pas 27% (un sur quatre)1.
Il reste donc beaucoup à faire pour “délocalismer” les universités…2

Le localisme commence bien avant les recrutements d’enseignants-chercheurs. Dès les annonces présentant les allocations de thèse, il est précisé qu’elles s’adressent à “nos étudiants”. «Merci de bien vouloir diffuser ces informations auprès des étudiants de vos Masters»… nous dit Paris 8 cette semaine. L’idée n’est pas de proposer aux étudiants d’autres universités de venir faire leur thèse, avec un financement, à Paris 8 (alors qu’il n’est pas nécessaire d’avoir fait un master à Paris 8).
Je ne sais pas si ce localisme étudiant est fréquent dans d’autres pays, mais des anecdotes font penser que non [exemple].
Nous avons alors tendance à considérer comme une bonne chose que “nos” étudiants de L3 passent dans “notre” M1… et l’on considère in fine comme naturel que “nos” bons étudiants de M2 obtiennent une allocation doctorale dans “notre” école doctorale.

notes :
(1) : 8%… je tire le chiffre de l’étude de Godechot/Louvet, mais je le cite hors contexte (l’étude porte sur la période 1972-1996)
(2) : Un résumé de discussions récentes se trouve chez les éconoclastes.

[yarpp]

12 commentaires

Un commentaire par Jean-Michel (20/05/2008 à 9:52)

De quelle cité se fait ce combat contre le “localisme” ? De la cité civique ? de la cité industrielle ? Ou n’est-ce pas la poursuite du combat commencé vers le XVIIIe siècle de la cité marchande contre la cité domestique – en vue d’instaurer la grande circulation des individus purs et parfaits, libres de toutes attaches ?

Un commentaire par Baptiste Coulmont (20/05/2008 à 10:02)

Je ne sais si la cité académique existe… Mais en s’y mettant, nous pourrions la construire (modestement, j’apporte mon petit caillou).

Un commentaire par christian Pihet (20/05/2008 à 10:52)

Débat récurrent et d’actualité brûlante. Discussion passionnante sur le blog éconoclaste – il y a eu aussi un forum plus agité sur Rue89 au moment de la diffusion du texte Godechot-Louvet.
Je souhaiterais bien qu’on avance sur deux notions communément admises et rituellement invoquées dans ces débats :
1- le “local” –
n’y a -t-il pas plusieurs formes de “local” en distinguant selon les échelles de temps – quand devient-on un “local?” et selon les champs disciplinaires : physiciens et historiens disent-ils la même chose lorsqu’ils parlent du “local”? Et ont-ils le même intérêt à défendre ou à condamner le local? Et je crois qu’on pourrait vraiment subdiviser cette notion si on en avait les moyens et la volonté.
2- “être bon”-
là-aussi nuançons. “ce candidat est moins bon, ce candidat est meilleur”.
Bien sûr, la bibliométrie fournirait la réponse… En êtes-vous sûr ? On peut être bon par rapport à une demande, moins par rapport à une autre. On est “bon” à X ans et à d’autres âges?. Un “local” et un “extérieur” peuvent se péjorer et s’améliorer en fonction du temps, des circonstances etc…
Je ne deviens pas relativiste, mais pour ne pas être trop long, je passe à une proposition intuitive et pas encore très argumentée que je vous livre:
il me semble que les “communautés” recruteuses s’adaptent à l’offre, développent des stratégies de survie et de croissance à d’autres moments.
Qu’en fait, les recrutements universitaires me semblent plutôt s’effectuer sur la base d’opportunités et d’aubaines à géométrie variable, mises en lumière par un petit groupe de leaders au sein d’une communauté.
Et pas sur des règles fixes et pré-établies, sauf dans des communautés closes (et donc quasi-suicidaires).
A partir de là, on peut esquisser des typologies et fpeut-être faire avancer les points en débat?

Un commentaire par Baptiste Coulmont (20/05/2008 à 11:06)

> Christian : Tout à fait, il y a “local” et “local”… Ma surprise à la lecture du “Bilan du quadriennal” venait de l’absence de problématisation du recrutement “interne”, alors que je pensais, naïvement, que c’était universellement considéré comme un problème.

Un commentaire par Qino (21/05/2008 à 0:24)

Je ne sais pas… Une université, c’est aussi une famille. Je ne dis pas que certains départements ne mériteraient pas d’être surveillés (il s’en passe de belles dans certaines familles) mais bon…

Un commentaire par Thierry (21/05/2008 à 13:59)

Un quart de locaux, ça ne me semble pas aberrant. On pourrait effectivement imaginer une distribution équiprobable dans les recrutements mais il me semble qu’il y a des facteurs qui jouent :
– toutes les universités ne produisent pas le même nb de docteurs, du coup est-ce bien 8 % qu’il faut viser ?
– toutes les universités/thèses n’ont pas la même qualité, ne serait-ce que parce qu’elles n’ont pas le même vivier de candidats. Du coup, il n’est pas anormal que certaines universités soient sur-représentées dans les recrutements (y compris au niveau local).
– certaines sous-spécialités ne concernent que qq universités. Du coup, le recrutement s’effectue sur un nombre restreint d’universités, ce qui rend la fausse la répartition des candidats et augmente obligatoirement la proportion de locaux.
etc.

Le non-localisme est surtout prôné pour des raisons d’efficacité et pour améliorer la qualité du système de recherche. Mais des universités comme Cambridge recrutent bcp de locaux, éventuellement après que ceux-ci ont passé qq années à l’extérieur mais pas toujours. Que faut-il en penser ?

Que l’on ne se méprenne pas : je sais que les recrutements locaux peuvent être un problème et qu’il faut les limiter au nécessaire. Mais je ne pense pas qu’il faille les bannir ou biser un chiffre de 8% qui n’a pas bcp de fondement à mon avis.

Un commentaire par Baptiste Coulmont (21/05/2008 à 14:11)

Le x% est fonction du nombre de postes ouvert au recrutement, du nombre d’université, du nombre de thèses soutenues, etc… Il n’a pas vocation à être instauré comme guide. [J’extrapolais rapidement à partir de http://www.laviedesidees.fr/Le-localisme-universitaire-pour.html et http://www.laviedesidees.fr/Le-localisme-dans-le-monde.html ]
Un chiffre de 0% serait bien plus intéressant, ou une forte incitation à être recruté ailleurs en début de carrière, quitte à revenir ensuite, par mutation, là où se trouve son bonheur.

Un commentaire par Qino (21/05/2008 à 19:28)

Mais à Paris 8 il y a pas mal de départements qui n’existent pas ou quasiment pas ailleurs, genre études féminines, langue amazigh ou Arts et technologies de l’Image. Si ceux qui ont effectué ces cursus ne peuvent pas y enseigner ensuite, ils ne pourront jamais nulle part.

Un commentaire par BB (22/05/2008 à 10:16)

Bonjour à tous,
J’ai bien rigolé en lisant département “langue amazigh”, …. je pense qu’il doit en exister dans d’autres pays puisque les concours sont ouverts à tous
Ben.B

Un commentaire par français de l'étranger (25/05/2008 à 17:16)

que les meilleurs universités d’Europe comme Oxford ou Cambridge recrutent une partie de leurs docteurs ne me parait absolument pas révoltant. Elle recrutent aussi beaucoup, malgré cela, à l’extérieur notamment en début de carrière et sur de vrais post-docs qui permettent de faire de la recherche sur des projets propres… je ne vois pas en quoi c’est comparable avec les pratiques de certaines universités françaises dont les productions intellectuelles sont très peu diffusées. le problème ne s’y pose pas de la même manière qu’à Normale Sup, non?

sur les allocations de thèse, il est effectivement révoltant qu’il n’y ait pas de marché ouvert. on pourrait dire la même chose sur les post-docs: ceux qui sont de vrais postes, CDD mais contrat de travail et recrutement ouvert (j’ose à peine dire: compétitif) représentent une peau de chagrin.

j’avais, il y a quelques années, l’idée saugrenue de commencer une thèse en France, bien qu’on me proposait de le faire dans l’une des meilleures universités anglaises. Après un master à l’étranger ouvrant l’accès aux études doctorales, impossible de postuler à une allocation en France puisqu’il fallait être inscrit en DEA. Comme je n’ai pas voulu repasser par la case DEA sans aucune certitude de décrocher une allocation pas toujours attribuée en fonction des seules qualités du candidat et du projet, je suis resté à l’étranger. je suis exactement devant le même cas de figure au niveau post-doc.

c’est triste, que l’on se soucie si peu de la circulation et de la diffusion des idées, qui passe forcément par la circulation des personnes et le dialogue avec ceux qui pensent différemment. c’est triste parce que c’est une stimulation intellectuelle incomparable.

Un commentaire par Étonne John (26/05/2008 à 9:22)

Ce qui est révoltant, c’est chaque fois que les choses se font hypocritement, c’est à dire qu’un candidat interne (ou extérieur d’ailleurs, ça se voit aussi) est déjà choisi mais qu’on laisse d’autres se présenter afin de respecter les formes.

Un commentaire par Domi (21/06/2008 à 16:59)

Le pire étant lorsque les commissions font déplacer une quinzaine de personnes (à leur frais bien évidemment)…