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Les billets de June, 2008 (ordre chronologique)

Comment être recruté en sociologie

Ce billet n’explique probablement que 5% des recrutements. Et il prend comme point de départ que votre thèse sera remarquable (le rapport de thèse fait plus de 5 pages). Il prend aussi comme point de départ une distribution uniforme du sens de l’ironie.

  • Evitez de faire une thèse sans financement (bourse, allocation, etc…). C’est, au départ, un mauvais signe pour l’avenir. Si vous pensez à une carrière académique, abordez directement, et explicitement, la question avec votre directeure : si elle répond de manière molle “vous savez, par les temps qui courent… il y a 50% de chances…” considérez qu’elle vous signale que vous n’avez qu’une probabilité extrêmement faible de faire carrière universitaire.
  • Dans votre thèse, vous consacrerez un chapitre minimum (50 pages) au traitement statistique sérieux, et de première main, de données de l’INSEE ou de l’INED. Les bases de données de nombreuses enquêtes sont disponibles gratuitement pour la recherche par le Centre Quêtelet ou directement par l’INED. Vous y consacrerez six mois à temps plein, vous apprendrez SAS ou R (Excel ne suffit pas). Vous ferez une régression logistique au moins et une analyse factorielle si ça s’y prête. Et, c’est le plus important : vous veillerez à ce que ces compétences apparaissent dans le résumé de thèse ET dans le rapport de thèse (par exemple en demandant au directeur de thèse d’en parler dans la soutenance et le rapport). Vous ferez apparaître cela dans le CV. [Sachez que les entretiens, ce n’est pas “rentable”, c’est la méthode de tout le monde : il faut en faire, mais cela ne vous rend pas visible. L’ethnographie distingue quand elle est “extrême” (camps de réfugiés, armée…).]
  • Vous composerez le jury de thèse avec votre directeur ou votre directeure. Par exemple, vous êtes anthropologue. Or il n’y a pas de postes en anthropologie (5 par an?). En revanche, il y en a un peu plus en civilisation (britannique ou américaine), il y en a en “infocom”, il y en a en “science de l’éducation” : vous prendrez donc 3 anthropologues et 2 civilisationnistes, par exemple. Comme cela, le CNU vous qualifiera en “civilisation” ou en “sciences de l’éducation”.
  • Si vous êtes auditionné et qu’il y a un candidat local : vous n’hésiterez pas à aborder la question de front, par exemple dès le début de l’audition. “Je sais que Gloomy, ici, est candidat local, et je vais essayer de vous convaincre que ma candidature est meilleure.” Vous êtes, là, certain de réveiller l’attention de la commission qui dort. Ca ne garantit rien (ça garantit même l’inverse), mais au moins, la commission ne se sera pas ennuyée.
  • Prochainement, sur ce blog : une analyse du fonctionnement du “wiki audition” (j’attends la fin des auditions en section 19, demain lundi)

    Usages du wiki-auditions

    Voici ici quelques réflexions sur le wiki-auditions, maintenant que la session de recrutement est terminée (il reste aux conseils d’administration des universités à se prononcer, mais bon… c’est presque fini).
    Je souhaite commencer par des remerciements, à toutes les commissions qui ont rendu publics leurs classements, à toutes les commissions qui ne les ont pas rendu publics (il n’en est que plus drôle de rechercher leur décision), à tous les candidats qui ont édité le wiki…
    Puis quelques statistiques :
    wikiauditions-statistiques
    La page principale du wiki audition indique quelques 30 000 visites, le service de statistiques du serveur quelque chose entre 27 000 et 68 000 en un mois. Quoi qu’il en soit, ça fait beaucoup. [Note en passant : cela n’a pas augmenté les ventes de mon livre, Sex-shops, une histoire française.]

    Poursuivons par les multiauditionnés, ma catégorie de prédilection. Dans mon esprit tordu, j’apprécie les cycles : j’aurai aimé de longs cycles débutant par un multi-classé, qui aurait laissé sa place au deuxième dans une université, ce deuxième, classé premier par ailleurs, aurait laissé celle-ci au deuxième etc… un long cycle, qui n’existe pas, malheureusement. “On” hésite semble-t-il à classer premier quelqu’un qui est déja classé premier par ailleurs.
    J’ai étoilé les noms pour que google ne les indexe pas.

    Nom nbr auditions univ thèse classé 1er univ
    Esc*** 5 Toulouse
     
    R*pn*l 4 Caen * Angers
    G*r*l* 4 ? * P7
    M*ch*n 4 Strasbourg
    St*v*ns 4 UVSQ * Poitiers
    D**z 4 P5
    M*l*ch*t 4 CNAM
     
    V*lpr* 3 P5 * P8
    Ch**v*n 3 EHESS * Lille1
    C*ld*r*n 3 ?
    P**gn* 3 IEP
    R*v*ll*rd 3 ENS/Cachan * P13
    *v*nz* 3 EHESS
    *r**n 3 P8
     
    Z*gn*n* 2 UVSQ * Rennes1
    *vr*l 2 P5
    D*br*l 2 IEP
    G*ll*t 2 CNAM
    L**V*n 2 Caen
    M*rm*nt 2 U Bourgogne ?
    Br*ch*t 2 ?
    Gr*tt*n 2 P7
    *m*d**-S*n*g*gl** 2 U Metz ?

    La grande majorité des classés premiers n’ont eu qu’une seule audition (et n’apparaissent donc pas ici). Cela avait été mon cas d’ailleurs : une seule audition en sociologie…

    Passons maintenant aux commentaires reçus tout au long de la session de recrutement. Je laisse de côté les commentaires oraux. Ces commentaires ont été anonymisés, légèrement modifiés, découpés et placés dans le désordre.

    Hello Coulmont,
    je me permets de t’appeler “Coulmont”, à vrai dire, c’est un peu de ta faute. Tu demandes à tes visiteurs des infos sur la réception du wiki, à la cantine, dans les couloirs de la fac, sur le banc des auditionnés… Ici, c’est régulièrement que l’on parle de “coulmont” à la maison : dans le jardin, dans la cuisine, parfois au lit avant de s’endormir. “T’es allée voir Coulmont aujourd’hui ?” Il faut dire que nous sommes deux docteurs en sociologie à la maison, tous les deux en recherche de poste. Coulmont devient donc l’espace de quelques semaine une figure incontournable dans notre vie de couple.

    Le wiki-auditions s’appelle le wiki-auditions, pas le coulmont, voyons ! Mais il semble utile.

    Le wiki est-il utile ? Parce que je me refuse par principe d’appeler les services administratifs ou les enseignants des facs où j’ai postulé, je trouve ton initiative est très utile. J’ai postulé dans une autre section, qui ne dispose pas de ce type d’initiative, je n’ai AUCUNE information (à l’exception des endroits où je suis auditionné). C’est TRES désagréable.

    On me disait même (“on” étant ici un candidat multisections) que “la section *** c’est la préhistoire”… L’intérêt du wiki se perçoit donc d’autant plus qu’il n’y a pas de wiki partout.

    Il y a une réticence de qquns, que j’ai perçue à ***, non sur ton site mais sur l’idée que ça puisse nuire à des candidats de faire état de leur classement ailleurs, ceci dit en général on pose quand même la question direct aux candidats surtout quand on les trouve intéressants pour le poste).

    Exactement : même avant le wiki (j’ai participé à deux sessions de recrutement avant-wiki) on arrivait à savoir qui était auditionné où. (“on”, ici, c’est les membres des commissions). Maintenant, tout le monde le sait. Est-ce mieux : je le pense.

    (…) j’ai laissé traîner mes oreilles lors des longues heures d’attente (notamment à *** où ils avaient presque *** heures de retard) pour saisir les impressions des divers candidats sur le wiki. J’ai eu également l’occasion d’en discuter avec diverses personnes (*** *** ***).
    Dans l’ensemble, l’initiative est perçue très favorablement, dans la mesure où elle favorise une certaine « transparence ». Certains souhaiteraient même faire des statistiques à partir des données présentes pour mettre à jour le déséquilibre entre les candidatures « parisiennes » et « provinciales », entre les candidats issus de certains labos par rapport à d’autres.
    Du côté des candidats, le wiki est majoritairement considéré comme très utile et pratique. Néanmoins, j’ai cru déceler certaines réticences à reconnaître devant les autres qu’on l’a effectivement consulté. […] Les seules critiques que j’ai entendues concernaient le fait que vous mettiez des liens donnant des infos sur les candidats (présentation, CV, publications…), sans demander au préalable leur accord.
    Du côté des titulaires, beaucoup apprécient la « transparence » que permet le wiki et ne manquent pas d’en diffuser l’existence auprès de leurs collègues. Mais certains (par ailleurs membres *******) ne sont guère enthousiastes. Ils considèrent que ces informations ne doivent pas être publicisées car cela pourrait inciter quelques-uns à remettre en cause les décisions de certaines CS, voire même du CNU en ce qui concerne la qualification de certains candidats, alors même que ces deux instances sont « souveraines » et n’ont pas à rendre de comptes.
    Pour ma part, je pense sincèrement que c’est une excellente initiative

    Sur le dernier point : si certaines décisions pouvaient être remises en cause, cela ne me dérangerait pas. Les commissions de spécialistes doivent répondre de leur classement, leur souveraineté a des limites. Le but du wiki est en partie de rendre publiques les décisions des commissions (ces décisions sont connues très très rapidement, même quand le président impose aux candidats le silence, du type : “ne le dites pas à Coulmont”).
    Sur les liens vers les CV : je ne fais de lien que vers ce qui se trouve facilement avec google… en bref : je google “Baptiste Coulmont” (ou Hubert Dupont) et je fais un lien vers le CV sur lequel je tombe. Je ne vais pas demander l’accord. Cela peut conduire à des effets inattendus, comme des protestations de candidats et de directeurs de thèse, qui considèrent (sur la foi d’un vieux CV sur internet, que la personne classée première est illégitime). L’année dernière, à [Sigma Mû], des opposants à un classement avaient compté grâce à google le nombre de fois où un candidat était présenté comme “historien” et le nombre de fois où ce candidat était présenté comme “sociologue”, afin de délégitimer le classement de la commission. La morale de l’histoire : faites effacer vos vieux CV…

    je trouve l’initiative très utile:
    1) on ne perd pas le temps pour rechercher toutes les fiches des postes (ce que j’avais fait avant de prendre connaissance de l’existence du site…);
    2) on peut suivre le déroulement des examens des dossiers, se faire une idée (et des statistiques) sur les profils des candidats et essayer de cerner les critères retenus par les commissions;
    3)on accède rapidement à la composition des commissions et aux résultats (mêmes si informels) des auditions;
    4) le site est beaucoup plus efficace que celui d’Antares/Antée.
    J’ai pris connaissance de son existence par un mail de la documentaliste de ****** de ***** (où j’ai soutenu ma
    thèse).
    […]Si pour l’année prochaine (ou pour la deuxième session 2008), vous avez besoin d’un coup de main, je suis toujours disponible pour diffuser et récolter les infos

    Ah, enfin, une proposition d’aide : je l’accepte avec bonheur, et il est fort probable que le wiki fonctionne sans moi l’année prochaine. Ca m’amuse, mais jusqu’à un certain point seulement.

    votre wiki a été évoqué lorsqu’on m’a posé la question (fatidique) en me disant qq chose comme : “Avez-vous d’autres auditions? Juste pour savoir parce que de toutes façons, l’information est disponible sur internet”. (…)
    Merci en tous cas d’ores et déjà, pour ne pas laisser les candidats dans cette terrible incertitude du mois de mai et pour rendre publiques des pratiques parfois bien opaques.

    De rien. On voit ici une petite inertie : la question sur les autres auditions se pose traditionnellement, elle continue à être posée, même si ça a changé.

    en fait je suis vraiment favorable à votre initiative. D’abord parce que ça permet de disposer d’informations sur les réunions de commission. On peut ainsi évaluer si on est encore “dans le coup” par rapport à telle ou telle candidature, connaitre la date des auditions (les dates entre les réunions des commissions et celles des auditions étant parfois très rapprochées, quand on travaille à plein temps, ça peut devenir extrêmement compliqué…) etc.
    Je pense que c’est un outil intéressant pour les gens comme moi qui ne disposent pas de réseaux puissants pour préparer un recrutement… Puisque sans le wiki, les moins dotés en ressources sociales n’auraient aucune
    information…

    Encore un candidat favorable. Désespérément, j’attends les critiques négatives, mais elles ne viennent pas. Je sais qu’elles existent, mais elles ne parviennent pas explicitement jusqu’à moi.

    Pour ma part, j’ai pris connaissance de l’existence du wiki sur votre site que je consultais régulièrement pour suivre les épisodes de l’affaire Olesniak… Pour autant que je puisse en juger, le bouche à oreille semble avoir bien fonctionné puisque les amis et collègues en connaissaient tous l’existence – mon ancienne diretrice de thèse aussi.
    (…)
    La publication de la liste des candidats auditionnés me semble avoir un avantage au-delà du souci de transparence (et donc de contrôle) du travail des commissions de spécialistes. Lorsque les postes ne sont pas fléchés, et que les profils de poste publiés par les universités restent vagues (eh oui, ça arrive), une recherche rapide sur les thèmes de recherche des autres candidats permet d’essayer de se faire une idée du profil effectivement recherché – ou bien de voir en quoi, en fonction de ses propres recherches, de son propre parcours etc. on peut se “distinguer” des autres candidats. Cela me semble très utile pour préparer les auditions.

    Intéressant, je n’avais pas pensé à cette fonction du wiki : préparer l’audition en fonction de la définition de la situation proposée par la réunion d’auditionnés d’un certain type.

    Voici ce qui arrive dans les sections qui n’ont pas de wiki :

    Je suis sociologue mais j’ai candidaté en [section XXX] cette année (je suis doublement qualifié) et il m’est arrivé une aventure intriguante.
    J’ai été convoqué à une audition à [Sigma Bêta] jours trop tard ! Erreur de secrétariat.
    En arrivant devant la salle d’audition, mon nom n’apparaissait pas. J’avais été convoqué au jour et à l’heure d’une commission se réunissant pour un autre poste !
    J’imagine que ma commission avait déjà délibéré (et que le candidat lauréat avait été informé officieusement) mais après discussion avec le président de la CS présente et après 1h à attendre sans savoir ce qu’on allait me dire, on m’a malgré tout fait passé l’audition sous prétexte qu’une partie des membres du jury qui aurait dû m’auditionner était présente. J’ai évidemment fait allusion au risque de procédure judiciaire au tribunal administratif, risque que le président a balayé en m’expliquant que le quorum des membres de la CS devant laquelle j’aurais dû passer était atteint !
    On m’a évidemment informé, le lendemain, que ma candidature n’était pas retenue sous prétexte que mon profil ne correspondait pas exactement au poste. Je me demande dans ce cas pour quelle raison j’ai été convoqué. Mais je suppose, que toute démarche judiciaire me serait dommageable…
    Aventure à méditer… un petit coup de fil à d’autres candidats (quand on en connaît) pour confirmer l’heure et la date de la commission peut être utile.

    J’aimerai conclure en demandant à d’autres de reprendre l’initiative. Ce n’est pas compliqué, juste time consuming : la quasi totalité des candidats est aidée par le wiki, la quasi totalité des commissions de spécialistes donne les informations (comme les dates de réunion, etc…), les critiques négatives ne se manifestent jamais ouvertement (vous le constatez, le wiki ne reçoit que des critiques bisounours)

    Vu à la télé

    Peu de billets sur le blog en ce moment (fin de semestre, jury d’oral à l’ENS)…
    allodocteurs
    Juste une surprise : voir la couverture de mon livre lors d’un plan de l’émission “Allô Docteurs” (France 5), une émission consacrée aux fantasmes… (Mais il fallait avoir l’oeil averti pour repérer la couverture, ça dure une demi seconde).

    Le nouveau “summer of love” californien

    A partir de lundi (16 juin), les couples du même sexe pourront se marier en Californie, et leur mariage sera reconnu par l’Etat fédéré (mais pas par les USA). On se souvient peut-être qu’en février 2004, brièvement, le maire de San Francisco avait commencé à marier sans distinction de sexe les couples qui se présentaient à lui. Cela n’avait pas duré longtemps. Ensuite, le Massachussetts, le Canada… avaient autorisé gays et lesbiennes à s’épouser. Diverses formes de “partenariat domestiques” ou d'”union civiles” avaient été mises en place (pendant qu’une bonne partie des USA interdisait, dans leur constitution locale, les mariages du même sexe).
    Pour une partie des couples, au mariage se succèdent les mariages : union civile au Vermont, partenariat domestique en Californie, mariage au Canada, re-mariage en 2008 en Californie…

    Armistead Maupin, one of the city’s most famous authors, became married in Vancouver, British Columbia, last year to his partner, Christopher Turner, and will probably marry him again in California, he said.
    source : NYT

    Les actes juridiques s’accompagnent parfois de fêtes, parfois d’une cérémonie religieuse, parfois de rien du tout. La multiplication, pour certaines personnes, des étapes menant au mariage, a pour origine l’absence de portabilité des statuts (“partenaire”, “civil-unioné”…), ou du mariage (un mariage “gay” du Canada ne sera pas mariage aux USA). D’où l’intérêt d’une décision unilatérale du gouverneur de New York, qui, plutôt que de chercher à autoriser l’ouverture du mariage aux couples du même sexe, a simplement demandé à toutes ses “agences” (l’équivalent de ministères au niveau des Etats fédérés) d’assimiler au mariage les mariages gays ou lesbiens célébrés ailleurs.
    Un peu de pub encore… J’ai récemment écrit à ce sujet deux articles : Baptiste Coulmont, “États-Unis. Le mariage religieux des couples de même sexe”, in Virginie Descoutures, Marie Digoix, Eric Fassin et Wilfried Rault (dirs.), Mariages et homosexualités dans le monde – L’arrangement des normes familiales, Paris, Editions Autrement, 2008, p.71-81 et Coulmont, Baptiste, « Mariage homosexuel, religion et État aux États-Unis », in Florence Rochefort (dir.), Le Pouvoir du genre. Laïcités et religions 1905-2005, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2008, p.217-228…

    Sociologie et prénoms, genre et animalité

    Le seul intérêt du Carnet des Prénoms 2008 [PDF] du Figaro est la liste du “Top 20” des prénoms donnés par la bourgeoisie parisienne (et dans une moindre mesure française) en 2007 (dans le “Carnet du Jour”).
    carnet des prénoms 2008
    Le reste, c’est juste de la soupe astrologique ou numérologique.

    Il existe de nombreux travaux sociologiques sur les prénoms, qu’ignore le “Carnet des prénoms” du Figaro. Il existe même quelques rares travaux sur les prénoms des animaux domestiques. “Gender Related Naming Practices: Similarities and Differences Between People and their Dogs” est, par exemple, un petit article rédigé par deux gynécologues à l’esprit curieux :

    Both male and female dogs had names ending in letters and phonemes characteristic of their respective human male and female counterparts. Female dogs had more syllables in their names than male dogs and a higher percentage of male dogs had one syllable names.

    Les deux auteurs ont étudié la proximité structurale des prénoms des Labradors et des humains (homo americanus). Aux USA, les prénoms féminins, par exemple, se terminent souvent par une voyelle (deux tiers des prénoms féminins), et les prénoms masculins par une consonne (les 3/4). “Since pets are treated as “almost human” in many American households, we hypothesized that the same gender-related naming practices used for humans would also be used for pets.” : puisque les animaux domestiques sont traités comme des quasihumains au sein des ménages américains, nous avons fait l’hypothèse que leur prénomination suivait les règles de genre des prénoms donnés aux humains, écrivent-ils. Et la structure se retrouve, en effet.
    Il y a même plus : “seventeen percent of the female dog names and almost 10% of male dog names were among the 100 most popular baby names for 2005″… L’on retrouve, parmi les prénoms donnés aux Labradors et aux Labradores, des prénoms à la mode chez les humanoïdes (ou est-ce le contraire ?).

    Il serait intéressant et amusant de faire la même chose en France. Je me demande si les compagnies d’assurance canine permettraient à un sociologue d’avoir un accès partiel à leur base de données…

    Au jury de l’ENS…

    J’étais cette année au jury d’entrée de l’ENS, à l’écrit pour l’épreuve de sciences sociales, et à l’oral, pour l’épreuve de sociologie. [J’avais fait quelques photos des épreuves écrites ici.]
    Les oraux viennent de se terminer et les résultats sont affichés sur le site de l’ENS (et sur toute une série de pages facebook)…
    Je voudrais ici dire quelques mots, romancés et un peu fictifs, de mes expériences de jury (des mots qui n’engagent que moi). Suivons donc, non pas un candidat, mais le sujet…
    Tout commence par des chouquettes (encore dans le paquet sur la photo ci-contre), chouquettes nécessaires aux discussions menant à un sujet. A partir de janvier, quelques réunions sont organisées dans des lieux tenus secrets, où, munis de chouquettes, nous préparons un sujet, et un sujet de secours. Nous étions six : trois économistes, trois sociologues, mandatés par Ulm ou par Cachan. Il faut plusieurs réunions : pour apprendre à se connaître, pour imaginer un sujet, et, comme c’est un “dossier documentaire”, une réunion pour sélectionner des documents. Et une réunion pour établir une grille de correction :
    Après les écrits (voir ici), les copies sont regroupées rue d’Ulm, puis distribuées aux correcteurs. Chacun avec cent copies au départ. Comme cela tombait pendant les “vacances”, j’avais mobilisé une table et j’alternais entre évaluation des dossiers de candidature au poste de maîtresse de conférences ouvert à Paris 8 et correction des copies des candidats à l’ENS [Les différences de fonctionnement de ces deux concours de recrutement de fonctionnaires m’ont, cette année, sauté aux yeux. Autant tout est public pour l’ENS, autant les commissions de spécialistes, sauf wiki-audition ou opérations-postes, résistent à rendre publiques leurs décisions…].

    Après avoir corrigé un paquet de 100, nous devons retrouver un autre paquet de 100. Pour ce faire, chaque économiste doit séparer en 3 petits paquets de 33 son paquet de 100. Nous nous retrouvons dans une “non-disclosed location” pour faire l’échange:

    Puis nous retournons corriger. Le deuxième paquet est moins amusant. Après 100 copies, on est rarement surpris par les textes.
    Après la double correction, vient l’harmonisation. Les copies, en effet, sont corrigées deux fois, et “à l’aveugle” : nous ne savons pas combien notre collègue a mis à telle copie. Cette harmonisation des notes, sur 600 copies, à six, prend une journée (ou une nuit entière…) :

    Avec un ordinateur, Excel, et du saucisson, toutes les copies sont passées en revue. Et cette harmonisation est nécessaire. Si l’on s’amusait à représenter les notes des premiers correcteurs en abscisse et les seconds en ordonnée, les copies se distribueraient sans doute ainsi : autour de la diagonale, avec un accord sur les très basses copies (les zéros et les uns) et sur les très bonnes, et de l’indécision autour de la moyenne, où les écarts peuvent être fort entre deux correcteurs, surtout quand deux disciplines sont représentées au jury. Il faudrait que je vérifie si la réalité ressemble à ce graphique…

    Une fois les copies harmonisées et les notes entrées dans l’ordinateur central de l’ENS, tous les jurys se réunissent pour une vérification générale des notes. Chaque candidat est passé en revue, et ses notes dans chaque épreuve sont vérifiées. Parfois, m’a-t-on dit, des erreurs apparaissent. Sur la photo ci-dessous, vous pouvez voir les tas :

    A cette étape, les candidats sont toujours anonymes. Nous ne les connaissons que par un numéro : BL000503 par exemple. Et l’on commence à repérer des tendances. Au hasard BL00* : histoire, 1/20; français 1/20, sciences sociales 3/20… etc… et d’autres BL0005** : sciences sociales 18/20, histoire 15/20, français 19/20, philosophie 17/20… Mais là encore, les écarts entre disciplines sont grands : mathématiques 20/20, français 5/20… (ou le contraire).
    J’ai arrêté ensuite de prendre des photos :

    La dernière : la salle dans laquelle ma co-jury et moi-même avons fait passer les candidats. Une salle de cours du boulevard Jourdan, donnant sur un jardin, avec huit chaises pour le public.
    Félicitations aux candidats reçus, je sais par expérience que ce n’est pas facile (j’avais eu, la première année, 1 en sciences sociales et 1 en philosophie…). Bon courage à ceux qui continuent les oraux des autres ENS.

    Etat, nation, prénom

    Pour Embruns et Sasa Laloute, apparemment intéressés par le “Top 50” des prénoms… voici les prénoms belges :
    Métro Bruxelles Prénoms
    Il existe, entre unité nationale et unité onomastique, un bel accord, qui disparaît quand l’unité de la nation se désagrège… Statbel, organisme statistique fédéral propose listes wallonnes (Léa, Clara, Manon… Noah, Hugo, Nathan…) et listes flamandes (Emma, Lotte, Lore… Milan, Wout, Robbe…).
    Soit dit en passant, Statbel donne accès gratuitement à des données fort riches (au contraire de notre INSEE nationale, qui fait payer…) mais sans mention du groupe social des parents : on ne peut pas connaître facilement les prénoms appréciés des bourgeois belges.

    Etat, prénoms

    Dans le Reichsgesetzblatt (I, 1938, p.1044) on lit, en caractères gothiques, que les Juifs qui n’ont pas les prénoms autorisés par le Reichsminister des Innern doivent prendre un prénom additionnel : Israel pour les hommes, Sara pour les femmes.
    Ce décret daté du 17 août 1938 est l’oeuvre de Hans Globke, qui, avant même l’arrivée de Hitler au pouvoir, alors qu’il était haut fonctionnaire prussien, avait donné l’ordre à son administration de s’opposer aux changements d’état-civil des Juifs (Annette Wieviorka, Le Procès Eichman, Bruxelles, Complexe, 1989, p.121-122). L’un des buts du décret : visibiliser les Juifs, par leur prénom, dans tous les actes juridiques qui ne requièrent ni l’interconnaissance, ni la co-présence. Le linguiste Victor Klemperer, visé par le décret, écrit en 1938 dans son journal :

    24 août 1938
    Que l’Allemagne serait belle si l’on pouvait encore se sentir allemand, et se sentir allemand avec fierté. (Je viens de lire, il y a cinq minutes, la loi récemment publiée sur les prénoms juifs. Il faudrait en rire si ce n’était pas à en perdre la raison. Pour la plupart, les nouveaux prénoms ne sont pas tirés de l’Ancien Testament, mais de la tradition yiddish et du ghetto, des noms aux sonorités bizarres. (…) Je suis donc moi-même tenu de signaler aux bureaux d’état civil de Landsberg et de Berlin, ainsi qu’à la mairie de Dölzschen, que je m’appelle Victor Israel, et je dois signer de ce nom toutes mes lettres officielles. Je ne sais pas encore si Eva doit désormais s’appeler Eva-Sara.)
    source : Victor Klemperer, Mes soldats de papier. Journal, 1933-1941 Paris, Seuil, (trad. Ghislain Riccardi), p.406.

    C’est là un cas limite de l’action de l’Etat sur l’identification des personnes puisqu’il consiste à rendre étranger, ou “bizarre”, toute une catégorie de population.
    Demande de renseignement : je n’ai pas réussi à trouver la “liste des prénoms autorisés” pour les Juifs par le Reichsminister des Innern… et je ne sais pas trop où chercher.