Au jury de l’ENS…
J’étais cette année au jury d’entrée de l’ENS, à l’écrit pour l’épreuve de sciences sociales, et à l’oral, pour l’épreuve de sociologie. [J’avais fait quelques photos des épreuves écrites ici.]
Les oraux viennent de se terminer et les résultats sont affichés sur le site de l’ENS (et sur toute une série de pages facebook)…
Je voudrais ici dire quelques mots, romancés et un peu fictifs, de mes expériences de jury (des mots qui n’engagent que moi). Suivons donc, non pas un candidat, mais le sujet…
Tout commence par des chouquettes (encore dans le paquet sur la photo ci-contre), chouquettes nécessaires aux discussions menant à un sujet. A partir de janvier, quelques réunions sont organisées dans des lieux tenus secrets, où, munis de chouquettes, nous préparons un sujet, et un sujet de secours. Nous étions six : trois économistes, trois sociologues, mandatés par Ulm ou par Cachan. Il faut plusieurs réunions : pour apprendre à se connaître, pour imaginer un sujet, et, comme c’est un “dossier documentaire”, une réunion pour sélectionner des documents. Et une réunion pour établir une grille de correction :
Après les écrits (voir ici), les copies sont regroupées rue d’Ulm, puis distribuées aux correcteurs. Chacun avec cent copies au départ. Comme cela tombait pendant les “vacances”, j’avais mobilisé une table et j’alternais entre évaluation des dossiers de candidature au poste de maîtresse de conférences ouvert à Paris 8 et correction des copies des candidats à l’ENS [Les différences de fonctionnement de ces deux concours de recrutement de fonctionnaires m’ont, cette année, sauté aux yeux. Autant tout est public pour l’ENS, autant les commissions de spécialistes, sauf wiki-audition ou opérations-postes, résistent à rendre publiques leurs décisions…].
Après avoir corrigé un paquet de 100, nous devons retrouver un autre paquet de 100. Pour ce faire, chaque économiste doit séparer en 3 petits paquets de 33 son paquet de 100. Nous nous retrouvons dans une “non-disclosed location” pour faire l’échange:
Puis nous retournons corriger. Le deuxième paquet est moins amusant. Après 100 copies, on est rarement surpris par les textes.
Après la double correction, vient l’harmonisation. Les copies, en effet, sont corrigées deux fois, et “à l’aveugle” : nous ne savons pas combien notre collègue a mis à telle copie. Cette harmonisation des notes, sur 600 copies, à six, prend une journée (ou une nuit entière…) :
Avec un ordinateur, Excel, et du saucisson, toutes les copies sont passées en revue. Et cette harmonisation est nécessaire. Si l’on s’amusait à représenter les notes des premiers correcteurs en abscisse et les seconds en ordonnée, les copies se distribueraient sans doute ainsi : autour de la diagonale, avec un accord sur les très basses copies (les zéros et les uns) et sur les très bonnes, et de l’indécision autour de la moyenne, où les écarts peuvent être fort entre deux correcteurs, surtout quand deux disciplines sont représentées au jury. Il faudrait que je vérifie si la réalité ressemble à ce graphique…
Une fois les copies harmonisées et les notes entrées dans l’ordinateur central de l’ENS, tous les jurys se réunissent pour une vérification générale des notes. Chaque candidat est passé en revue, et ses notes dans chaque épreuve sont vérifiées. Parfois, m’a-t-on dit, des erreurs apparaissent. Sur la photo ci-dessous, vous pouvez voir les tas :
A cette étape, les candidats sont toujours anonymes. Nous ne les connaissons que par un numéro : BL000503 par exemple. Et l’on commence à repérer des tendances. Au hasard BL00* : histoire, 1/20; français 1/20, sciences sociales 3/20… etc… et d’autres BL0005** : sciences sociales 18/20, histoire 15/20, français 19/20, philosophie 17/20… Mais là encore, les écarts entre disciplines sont grands : mathématiques 20/20, français 5/20… (ou le contraire).
J’ai arrêté ensuite de prendre des photos :
La dernière : la salle dans laquelle ma co-jury et moi-même avons fait passer les candidats. Une salle de cours du boulevard Jourdan, donnant sur un jardin, avec huit chaises pour le public.
Félicitations aux candidats reçus, je sais par expérience que ce n’est pas facile (j’avais eu, la première année, 1 en sciences sociales et 1 en philosophie…). Bon courage à ceux qui continuent les oraux des autres ENS.