Etat, prénoms
Dans le Reichsgesetzblatt (I, 1938, p.1044) on lit, en caractères gothiques, que les Juifs qui n’ont pas les prénoms autorisés par le Reichsminister des Innern doivent prendre un prénom additionnel : Israel pour les hommes, Sara pour les femmes.
Ce décret daté du 17 août 1938 est l’oeuvre de Hans Globke, qui, avant même l’arrivée de Hitler au pouvoir, alors qu’il était haut fonctionnaire prussien, avait donné l’ordre à son administration de s’opposer aux changements d’état-civil des Juifs (Annette Wieviorka, Le Procès Eichman, Bruxelles, Complexe, 1989, p.121-122). L’un des buts du décret : visibiliser les Juifs, par leur prénom, dans tous les actes juridiques qui ne requièrent ni l’interconnaissance, ni la co-présence. Le linguiste Victor Klemperer, visé par le décret, écrit en 1938 dans son journal :
24 août 1938
Que l’Allemagne serait belle si l’on pouvait encore se sentir allemand, et se sentir allemand avec fierté. (Je viens de lire, il y a cinq minutes, la loi récemment publiée sur les prénoms juifs. Il faudrait en rire si ce n’était pas à en perdre la raison. Pour la plupart, les nouveaux prénoms ne sont pas tirés de l’Ancien Testament, mais de la tradition yiddish et du ghetto, des noms aux sonorités bizarres. (…) Je suis donc moi-même tenu de signaler aux bureaux d’état civil de Landsberg et de Berlin, ainsi qu’à la mairie de Dölzschen, que je m’appelle Victor Israel, et je dois signer de ce nom toutes mes lettres officielles. Je ne sais pas encore si Eva doit désormais s’appeler Eva-Sara.)
source : Victor Klemperer, Mes soldats de papier. Journal, 1933-1941 Paris, Seuil, (trad. Ghislain Riccardi), p.406.
C’est là un cas limite de l’action de l’Etat sur l’identification des personnes puisqu’il consiste à rendre étranger, ou “bizarre”, toute une catégorie de population.
Demande de renseignement : je n’ai pas réussi à trouver la “liste des prénoms autorisés” pour les Juifs par le Reichsminister des Innern… et je ne sais pas trop où chercher.
3 commentaires
Un commentaire par Markss (03/07/2008 à 20:21)
Je croyais me souvenir que la femme de Klemperer n’était pas juive… C’est pour ça qu’il écrit qu’il ne sait pas si elle devra s’appeler Eva-Sara?
Un commentaire par Baptiste Coulmont (04/07/2008 à 6:48)
>Markss : exactement !
Un commentaire par Mohamed (18/04/2013 à 19:03)
c’est tout à fait possible qu’elle s’appelait Sara tout court en substitution de son premier prénom Evra
mais pas les deux à la fois sauf à entendre Evra comme synonyme de Sara en hebreux