Categories

Archives

Billet

Sex toys en boîte

Billet publié le 25/09/2008

Je n’avais aucune idée de la fréquence des “soirées sex-toys” dans les discothèques, que j’ai découvertes en lisant un petit mémoire de recherche. J’ai en effet, récemment, reçu le travail de deux étudiants sur les sex-toys (Melchior P. et Eugénie F.). Ils ont comparé, de manière classique, deux lieux de vente, un sex-shop et un magasin de lingerie qui propose des gadgets. Mais ils se sont aussi penchés sur un nouveau circuit, les discothèques.

Petite collection de flyers de “soirées sex toys” dans diverses discothèques françaises

Source : soonnight.com

On entend parfois parler de “banalisation”, ou, pire, de “démocratisation” de ces gadgets, parce qu’une série télé en a montré ou que la fille d’une couturière en a vendu quelques milliers. Se posent alors de fausses questions : “est-ce banal ?”, “est-ce vraiment démocratisé ?”, “en tant que sociologue, que pensez-vous de ce phénomène social ?”.
J’essaie toujours de répondre en insistant sur ce qui m’apparaît comme une démarche sociologique : l’objectivation des circuits d’accès à ces jouets pour adultes.
Jusqu’aux années 2000, on en trouvait dans les sex-shops, dans les catalogues de vente par correspondance (Trois Suisses, La Redoute, etc… sauf Camif apparemment), dans quelques arrière-boutiques de magasins de lingerie en province profonde, dans des magasins de farce et attrape. Les circuits étaient déjà variés.
Au cours des dernières années, des magasins spécialisés en sex-toys, la reconversion de quelques magasins de lingerie, des “gadgèteries”, des sites internets, des vendeuses à domicile, des sex-shops de zones commerciales… ont ouvert d’autres circuits, qui ont en commun de présenter l’achat des vibromasseurs comme une décision féminine. Mon intérêt pour les circuits vient de la lecture des ouvrages de Viviana Zelizer : aux circuits différents qu’emprunte l’argent, les biens et les services sont associés des significations différentes (le “cadeau” circule entre intimes, le “pot de vin” entre corrupteurs et corrompus, la “rétribution” entre deux parties définies encore autrement, etc…).
Disons que j’étais bien content avec mes petits circuits et que je me suis endormi d’un bon sommeil dogmatique.

Comment avais-je pu passer à côté de cette acculturation à l’objet que représente les soirées “Spécial Sex Toy” en discothèque ? Probablement parce que ces lieux ne sont ni de mon âge, ni de mon milieu, ni à proximité. [Comptez-donc le nombre d’articles ou de livres sociologiques rédigés sur ces lieux d’intense sociabilité juvénile… A part les travaux de Bertrand Réau, je n’en connais pas. Voilà encore un beau sujet de thèse pourtant : il existe probablement des sources d’archive policière, des associations professionnelles, des tonnes d’articles dans la presse pour adolescent, la possibilité d’un public captif et à moitié îvre pour des entretiens…]

*

Donc, non seulement ai-je appris quelque chose en lisant le travail de ces deux étudiants, mais j’ai apprécié leur esprit d’initiative. Voici, ci-dessous, un extrait :

« Ces interrogations nous ont orientés dans notre enquête, et nous ont permis de nous pencher sur différentes approches du concept de sex toy. Nous avons par exemple découvert qu’il y avait une soirée « * * * * » en boite de nuit à * * * * qui avait pour thème accrocheur : « Spécial Sex toys ». Nous y avons eu l’occasion de mieux cerner le public touché par ce type d’effets d’annonce, et avons pour cela préparé un questionnaire visant à sonder les clients pour nous donner des pistes, des orientations, et répondre à nos deux questions centrales : qu’est-ce qu’un sex toy et qui l’utilise ?
Cette étude a été un relatif échec. La principale raison en a été que nous étions face à un public très jeune (17-20 ans), et de fait, comme nous l’expliciterons plus loin, peu sensible à ces questions. Le sex toy était perçu exclusivement dans sa dimension de rite de passage, symbole de l’entrée dans « la sexualité », et non pas comme objet d’une pratique, d’un type de sexualité. Mais les torts de cette enquête ont aussi eu pour nous des avantages, puisque cela nous a permis de mieux cerner les limites de notre questionnement, notamment en fonction des âges concernés »

Je ne partage pas entièrement l’idée de l’échec, ne serait-ce que parce qu’expérimenter une méthode est toujours profitable. Voici donc ci-dessous quelques tableaux croisés. Précisons tout de suite que tous ces chiffres sont à prendre avec de grosses pincettes : les deux étudiants ont été apparemment attirés par les chiffres ronds (30 filles, 20 garçons) et cet échantillon de 50 individus n’a probablement pas même la structure des clients de la discothèque ce soir là.
Mais viser l’excellence statistique en permanence, c’est comme critiquer le château de sable du petit neveu parce qu’il n’a pas de pont-levis.

Plus largement, il convient d’associer autant que possible ethnographie et statistiques. Dans un article de 2005, Le questionnaire ethnographique, Emmanuel Soutrenon écrivait :

Vouloir administrer un « petit questionnaire » dans le cours d’une enquête de terrain est une tentation que bien des ethnographes ont expérimentée à un moment ou à un autre. Aussi banal qu’il puisse paraître, ce projet n’est pourtant que rarement mis en œuvre, comme si sa légitimité était au fond douteuse ou mal assurée.

L’exemple proposé par les deux étudiants, bien que bancal, est donc à relever : enquête de terrain et petit questionnaire ne s’opposent absolument pas. Je vais ici insister sur quelques tableaux croisés.

L’une des questions posée était : “Voudriez-vous repartir de cette soirée avec un sex-toy ?”

En fonction du sexe des enquêtés :

oui

non

Total

F

25 (83%)

5 (17%)

30 (100%)

M

12 (60%)

8 (40%)

20 (100%)

Total

37

13

50

Les hommes et les femmes (ici de jeunes hommes et de jeunes femmes) en tant que population ne manifestent pas le même enthousiasme face aux objets proposés. Mais le test du chi-deux vient diminuer notre propre enthousiasme : en fait, on trouve surtout qu’il n’y a pas de liaison statistiquement significative.

En fonction du “statut matrimonial”

oui

non

Total

Célibataire

20 (77%)

6 (23%)

26 (100%)

En couple

17 (71%)

7 (29%)

24 (100%)

Total

37

13

50

Les comportements des célibataires et des couples ne diffèrent pas (le chi-deux est ici de 0,0282 bien trop petit pour indiquer une liaison entre variables).

En fonction de l’âge

oui

non

Total

16 à 18 ans

16 (73%)

6 (27%)

22 (100%)

19 ans

10 (90%)

1 (10%)

11 (100%)

20 ans et plus

11 (65%)

6 (35%)

17 (100%)

Total

37

13

50

Rien de bien significatif ici en fonction de l’âge… Sinon que la population a l’air bien jeune : dans un des flyers reproduit en dessous, l’on peut lire “Nuit du Bac !!! Sex Toys Party !!!”. Et c’est sans doute ceci qu’il faut retenir : pour une partie de la population, les adolescents de discothèque, le premier vibromasseur est un cadeau reçu en boîte.

Suite de la collection de flyers…

[yarpp]

10 commentaires

Un commentaire par XavierM (25/09/2008 à 9:39)

Un autre travail sur une discothèque (également parisienne):
Christine Salomon, “JUNGLE FEVER. GENRE, ÂGE, RACE ET CLASSE DANS UNE DISCOTHÈQUE PARISIENNE”, Genèses, n° 69, 2007.
À partir de l’ethnographie d’une discothèque afro-antillaise à Paris, où se rencontrent des hommes « noirs » et des femmes « blanches » plus âgées qu’eux, l’article s’intéresse à une forme d’échanges économico-sexuels où le sens habituel de la transaction est renversé : les femmes fournissent la compensation économique pour les prestations affectives et sexuelles des hommes. Il montre une imbrication spécifique des normes de genre, d’âge, des stéréotypes racistes et des préjugés de classe ainsi que la force d’imposition des conceptions normatives de genre dans l’assujettissement des femmes.
http://www.cairn.info/revue-geneses-2007-4-p-92.htm

Peut-être d’autres choses du côté de Welzer-Lang ?

Un commentaire par Baptiste Coulmont (25/09/2008 à 9:45)

Merci ! mais chez Salomon, c’est une boîte pour vieux… (idem chez les échangistes de Welzer-Lang). Il y a aussi quelques textes d’inspiration maffesolienne, mais ce n’est pas utilisable.

Un commentaire par JP (25/09/2008 à 10:10)

A ajouter également : les soirées sex toys régulièrement organisé au sous-sol d’un café en face de la station de métro “Saint-Paul”, à Paris.

Un commentaire par Matoo (25/09/2008 à 12:09)

A toi aussi il va te plaire de dernier hors-série de Fluide Glacial. ;)

Un commentaire par Baptiste Coulmont (25/09/2008 à 17:02)

> JP : merci. A Paris, station Saint-Paul, ça ne m’étonne pas. A Besançon au Macoumba, pour une soirée bac, un peu plus… du moins, je ne savais pas.
> Matoo : il faut que j’aille voir ce hors série !

Un commentaire par Antoine (25/09/2008 à 17:23)

J’ai fait très peu de statistiques (sauf en Terminale S, il y a quelques années)… d’où ma question : le test du “chi-deux”, qu’est-ce ?

Un commentaire par Baptiste Coulmont (25/09/2008 à 17:39)

>Antoine : sur le chi-deux ou khi-deux, ou χ², je vous renvoie à wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Test_du_χ²
Et un jour si j’ai le temps et si je trouve une série de données amusantes, j’en parlerai plus en détail ici.

Un commentaire par Antoine (25/09/2008 à 18:27)

Merci ! (le lien est cassé, wordpress ne doit pas reconnaître le khi, il faut copier-coller l’adresse)

L’article de Wikipedia est un peu théorique, je serais ravi d’une application pratique, à l’occasion…

Un commentaire par soiree sextoys (01/02/2009 à 9:31)

Bonjour,

sur Toulouse, le site L*stendress** organise ce type de soirées a thème sextoys…
Je peux vous dire que ce genre de soirée sex toys est très apprécié des discothèques qui y voient aussi leur interet .

Un commentaire par Sextoys (10/06/2009 à 23:11)

L’age moyen des clients et clientes pour les sextoys se situe aux alentours des 39 ans pour les boutiques en ligne. Des adultes blasés par leur sexualité et qui veulent profiter par d’autres moyens ?
Il me parait évident qu’avec cette tendance marketing et sociale de fond de recherche du plaisir cet age moyen risque de diminuer à long terme avec toutes ces soirées sex-toys en discothèque qui sont incitatives. Sans parler des médias presse, radio et TV…
Cela ressemble à la vague du poker…
Sextoys et poker menteur peut-être…