Des “Baby Barack”
Le New York Times est sur la brèche : Like the Dwights and Lyndons of Old, Baby Baracks All Over : “Barack a hot name for babies”…
Les secousses nationales, en effet, se répercutent légèrement sur le choix des prénoms. Ce sont rarement des répercussions pérennes, plutôt des “bumps”, des emportements éphémères qui ne concernent qu’une petite partie de la population.
Je laisserai ici de côté les “prénoms révolutionnaires” ou “républicains” que l’on trouve un peu partout en France au début de la décennie 1790.
Je me concentrerai juste sur Joffre, Joffrette et Joffrine, qui connaissent un petit engouement populaire entre 1914 et 1918. Le graphique suivant montre le nombre de Joffre, Joffrette et Joffrine nés chaque année depuis 1914 (ces prénoms n’existent pas avant).
source : INSEE, fichier des prénoms
Plus largement, le choix des prénoms était, en 1914, fortement encadré par les officiers de l’état civil : l’on trouve donc plusieurs articles de journaux de l’époque qui essaient d’expliquer que ce n’est que parce que le personnage est entré dans l’Histoire qu’il est possible de nommer son fils Joffre. Il semble aussi que Joffre ait souvent été donné comme second prénom, comme prénom invisible. Le 14 novembre 1915, on trouve cet entrefilet dans Le Petit Parisien, page 2 :
A Troy, un brave ouvrier de ferme vient, en témoignage de l’admiration qu’il professe pour notre généralissime, de donner les prénoms de Joffre et Joffrette à deux jumeaux…
Cet engouement donnera à la sociologie Joffre Dumazedier (né en 1915).
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9 commentaires
Un commentaire par Markss (11/11/2008 à 23:00)
Je ne serais pas étonné si on trouvait assez vite quelques Barack en France (il y a aussi eu une épidémie d’Hussein comme deuxième prénom, mais c’était sur Facebook).
Sinon Chris Blattman a publié quelques posts intéressants sur la mode correspondante au Kenya: http://chrisblattman.blogspot.com/2008/11/obama-and-bin-laden-in-kenya.html
Un commentaire par hl (12/11/2008 à 10:39)
et dans libération :
http://www.liberation.fr/monde/0101265144-les-bebes-barack-et-obama-se-bousculent-dans-les-maternites-americaines
Un commentaire par Slamolo (12/11/2008 à 21:41)
Huh, c’est drôle, en lisant des listes de prénoms anciens, j’ai eu envie d’appeler mon Tumblr Joffrette, ce genre de phénomène m’a interpellée également, en néophyte absolue en sociologie.
Ma mère est médecin de santé scolaire à Alger, et j’aime bien lire les listes de prénoms (on a les sources que l’on a (sic). Il y a quelques années, pour des enfants nés en 91, il y avait de nombreux Saddam Hussein. 92-93, pas mal d’Oussama Ben Laden, même si le phénomène était moins important que pour Saddam Hussein.
Quant aux “prénoms invisible”, j’ai moi-même constaté que nombre de mes camarades (bourgeois), surtout les filles, avaient un prénom de l’époque, un peu occidental (Linda, Lylia, Sonia,…), et un second prénom beaucoup plus ancien, comme s’il eut été donné en la mémoire d’une arrière grand-mère.
Un commentaire par Cimon (14/11/2008 à 22:41)
Il semblerait qu’en Catalogne, Jofre soit un prénom (relativement) répandu, équivalent du français Geoffroy. Suffisament, en tout cas, pour devenir un nom de famille (et le Maréchal est de Rivesaltes, en Catalogne française, ce qui expliquerait le doublement du f).
On trouve des joueurs de foot espagnols portant ce prénom, comme celui-ci.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (16/11/2008 à 12:43)
>Cimon : On aurait donc eu une circulation (prénom-Catalogne)->(patronyme-France)->(prénom-France)… Intéressant !
Un commentaire par Cimon (21/11/2008 à 13:24)
Le passage de prénom à nom doit être très documenté en France (d’ailleurs, les patronymes les plus portés en France sont des prénoms), non ?
Il me semble que les Espagnols (ou les Catalans) n’ont pas le même type de passage (même s’il est proche : Fernando donne Fernandez, Hernan donne Hernandez, Rodrigo donne Rodriguez etc…).
Ce qui ferait de la circulation un mélange assez original, en effet.
Un commentaire par PM (24/11/2008 à 10:35)
Baptiste, une nouvelle énigme pour ta sagacité (ou peut-être est-ce juste moi qui considère que c’est une énigme) : sur le sité de vérification d’inscription sur les listes électorales pour les prud’hommes, ils proposent sous la case “PRENOM” : “si vous n’avez pas de prénom, tapez SANS”.
Cf. http://www.prudhommes.gouv.fr/Verification-d-inscription.html
Un commentaire par Baptiste Coulmont (24/11/2008 à 10:42)
Waouh ! je n’avais jamais vu cela !
Je pense (sans en être certain) que c’est pour permettre l’inscription de salariés qui viendraient de pays où l’Etat n’a pas encore réussi à imposer des prénoms fixes et individuels pour tous : les Hmongs du Laos étudiés par Hassoun ont, par exemple, des prénoms qui changent avec l’âge ; les Birmans ont, si je me souviens bien — mais je peux me tromper — un identifiant unique (un seul “nom”) ; etc…
Un commentaire par uju (28/11/2008 à 17:03)
il y a aussi ce vieux roman arthurien occitan, Jaufre (prononcé à peu près djaoufré, je suis pas linguiste)…
j’aurais bien essayé votre outil pour voir si à partir de la guerre d’unification linguistique de la république, Joffre ne se substitue pas dans la région à Jaufre (avec un multiplicateur à la barack, évidemment)…
l’effet militaire à *peut-être* “francisé” (catalanisé, indirectement ?) le vieux Jaufre (dont certains situent une partie des aventures dans divers pays ibériques.
hypothèse séduisante, mais hypothèse seulement…