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Labo contestation (2) : “Aron Baba et les quarante voleurs”

Billet publié le 14/01/2009

Dans la revue éphémère Labo Contestation, datant du tout début des années soixante-dix, [et dont j’ai parlé récemment ici-même], l’on trouve un texte anonyme, mais réjouissant, intitulé : “Aron Baba et les Quarante voleurs ou l’escadrille des mandarins”.
Cette fable décrit, sous une forme littéraire, quelques grandes figures de la sociologie française de l’époque comme pilotes d’avions.

Dans la carrière d’un chercheur (…) l’essentiel, c’est de repérer les courants ascendants et d’aller s’y placer avant les autres. Par exemple, c’est pour avoir repéré avant tout le monde, vers 1960, une forte ascendance en formation au dessus du lieu-dit “les Marais Lazarsfeld” qu’un certain planeur opportuniste réussit une montée foudroyante, passant devant tous ses concurrents qui peinaient ailleurs à la recherche d’un souffle d’air. Ce voleur (à voile) réputé, un certain Blanc-Boudin, se cramponnant de toutes ses forces à son manche, réussit ainsi de justesse à franchir la très haute Crète dite de la Grande Thèse, au delà de laquelle s’étend le Pays des Mandarins. Il n’avait que 32 ans et établit ainsi un record du monde de précocité.
[Arrive Mai 68 qui fait s’écraser Blanc-Boudin]
Blanc-Boudin rassembla ce qu’il put récupérer des débris de son planeur “Causality One” […] depuis ce temps, plein de rancoeur [il bombarde] de grosses pierres tous ceux qui, planant en dessous, essaient d’atteindre la crête.

Dans le Lazarsfeldien féru de causalité, très jeune Docteur d’Etat, surnommé ici Boudin, on aura reconnu un certain sociologue. Et on comprend peut-être pourquoi ce texte a été publié anonymement.

On a aussi deux vrais jumeaux dans l’Escadrille. On les appelle les “héritiers”, parce qu’ils cherchent à découvrir et à s’emparer du trésor de leur père spirituel, dit Raymond l’Ancêtre (…)
Les “héritiers” sont d’ailleurs différents. L’un deux, celui qui est sorti en second — est un très fin pilote (on l’appelle L’Oiseau); mais il s’en fout un peu, il a des moment de laisser-aller. L’autre au contraire, le Béarnais comme on l’appelle, est un vrai suceur de sillage : il a profité de celui de l’oiseau tant qu’il a pu, et, avant, de celui de l’Ancêtre. (…) L’Oiseau vole tout seul; tandis que le Béarnais s’est créé toute une flotille d’accompagnateurs, la “sauce béarnaise” ou la “Cour d’Henri IV”, comme on l’appelle parfois : Champ-d’-Edredons, Saint-Luc et Sainte-Nitouche, Olgier-le-Nul, etc…) (…)
J’allais oublier que le Béarnais s’est bricolé une mitraillette à cacahuette sur son planeur; il s’en sert pour tirer à vue sur les autres pilotes de l’escadrille. (…)
Le seul truc plaisant chez le Béarnais, à part sa mitrailleuse à cacahuètes, c’est le fait qu’il est un assez bon pilote. (…) Le jour où il décidera de forcer le passage, j’en connais un qui aura beau brandir son croc-à-philosophes, ça l’empêchera pas de prendre une bonne rafale de cacahuète dans la gueule ; pas vrai Blanc-Boudin ?

Ce Béarnais suceur de sillages, une bonne partie des lecteurs arrivés jusqu’ici l’aura reconnu. Sa “sauce béarnaise” est plus complexe. J’en ai trois sur quatre. Les commentaires devraient permettre aux lecteurs de trouver une solution.

Reste à parler des deux qui ont franchi la Grande Crête sans dommage, et qui ont ainsi pris une bonne avance sur les autres dans la courss au légendaire trésor de l’Ancêtre : ce sont Son Altesse (S.A.) Alain von Schmück (S.A. signifie aussi : Sinécure Actionaliste) et Michel Le Zorcier, dit le Phénomène Crocrocratique, dit aussi Cercle Vicieux, ou plus familièrement Le Cercle. (…)
S.A. Von Schmück a été ainsi surnommé à cause de son physique de hobereau prussien qui aura avalé son sabre. Et, en effet, ce corps grand, glabre et raide cache une âme d’acier trempé. Von Schmück faisait partie de ce vol de gerfauts (de l’Ecole Gerfale Supérieure de la rue Plume) (…)

Alain l’Actionaliste s’écrase aussi en Mai 1968, mais tombe sur la “Maison des Chances Enormes”, «aussi surnommée “Maison des Chambres de Bonnes” à cause de l’exiguité des lieux».

Le seul candidat sérieux à la succession de l’Ancêtre restait donc le Cercle. C’est assez paradoxal, parce que le Cercle est un drôle de corps: il ne provient pas de l’Ecole Gerfale, mais, croyons nous, de la Fondation Nationale des Fientes Politiques qui est tout de même de moindre volée.

La FNFP… je n’ai pu empêcher un grand sourire à la lecture !

*

Comment comprendre un tel texte. Renaud Debailly, doctorant au CESS de Paris 4, a travaillé sur cette revue et d’autres revues de critique radicale de la science. Dans une communication, “De Porisme à Pandore” il écrit que “Labo-contestation est une entreprise de dénonciation, dans l’institution scientifique, des hiérarchies et des inégalités”. C’est particulièrement après Mai 68 que la dénonciation devient possible : en partie quand de jeunes entrants, entrés en masse dans les années soixante, voient leurs perspectives de carrière ralentie.

Pour le bénéfice de la science et l’amusement de tous, j’ai scanné le texte et il est disponible en PDF : Aron Baba et les quarante voleurs (PDF).

*

À suivre…

[yarpp]

21 commentaires

Un commentaire par XavierM (14/01/2009 à 15:21)

Champ-d’-Edredons et Saint-Luc, ça me paraît facile. Sainte-Nitouche… Serait-elle la fille de son père ?
Quant à Olgier-le-nul ça ne résonne pas pour l’instant…

Un commentaire par Kévin (14/01/2009 à 15:26)

C’est marrant Champ-d-Édredons utilise une analogie semblable (celles des pilotes de chasse) dans sa réponse à Blanc-Boudin a propos du Dictionnaire critique de sociologie (RFS, 25-2, 1984):
“Sur le style: Messieurs, je n’ai jamais déposé de bombes: pourquoi exploser ainsi .”
“A moins que MM B¹ et B² (…) n’affrètent un B52 qui volerait très haut et viserait très juste.”
B¹ et B² renvoyant à Blanc-Boudin et le Béarnais..

je me demande si il faut y voir une référence ou si c’est une pure coïncidence.

Sinon pour ma part je sèche sur Olgier-Le-Nul, c’est celui que vous n’avez pas non plus ?

Un commentaire par Baptiste Coulmont (14/01/2009 à 15:31)

Pareil… C’est en effet “Olgier” qui me pose problème.
Merci pour la référence à l’article de la RFS ! Il est possible que ce soit une référence directe à cet article : En 2002, dans son autobiographie, Crozier l’a toujours en travers de la gorge ( http://coulmont.com/blog/2008/01/29/liens-utiles-9/ )
Il y a des références à un disciple de “Von Schmück”, dans le texte en PDF, “Chateaux en Espagne”, que je n’ai pas réussi à déchiffrer non plus).

Un commentaire par Kévin (14/01/2009 à 15:35)

Par contre pour Sainte-Nitouche moi je verrais plus Monique que la fille de l’ancêtre…

Un commentaire par Kévin (14/01/2009 à 15:45)

Pour Château en Espagne, je tenterais l’hypothèse Manuel Castells a cause des références espagnoles mais je suis pas sûr…

Un commentaire par RF (14/01/2009 à 16:21)

Introuvable “Olgier-Le-Nul”… Apparemment il y a aussi un doute pour “Sainte-Nitouche” – Nat. Hei. ?

Un commentaire par Baptiste Coulmont (14/01/2009 à 16:46)

“Châteaux”/”Castells” : très convaincant !

Un commentaire par Maxime (14/01/2009 à 20:20)

hypothèse pour olgier le nul : ca serait pas Alain qui aime l’art ? Comme ce truc est un peu tiré par les cheuveux, je propose une interprétation postmoderne du nom : on peut voir une référence à Olgier le Danois, Olgier état un nom du vieux norrois, qu’on peut rapprocher du cercle de Noroît ou Alain qui aime l’art a beaucoup contribué … mais ca reste une interprétation sauvage et vaseuse …

Un commentaire par MxSz (15/01/2009 à 0:50)

Heinich pour Sainte-Nitouche, bof bof. Saint-Martin, plus convaincant (ne me demandez pas pourquoi) ?

Par ailleurs, qui est l’auteur du texte ?

Un commentaire par Baptiste Coulmont (15/01/2009 à 9:15)

> Maxime : votre interprétation est en effet “sauvage” !
> MXSZ : l’auteur est inconnu (inconnu de moi, car Renaud Debailly a plus d’informations sur la préparation de cette revue).

Un commentaire par Kévin (15/01/2009 à 15:08)

Moi il m’en manque trois qui apparaissent dans le texte et que j’ai pas vraiment réussi à déchiffrer: Jean-la-cuisine dit boudin-blanc dit jeannot la conserve et son second le ver-chauve et le jean-la-quinine moqué par castells.
Quelqu’un a des pistes ?

Un commentaire par Baptiste Coulmont (15/01/2009 à 15:44)

Le “Vers-chauve”, aucune idée non plus…
Pour “La Cuisine”, il faut rechercher du côté du musée des arts et traditions populaires et de son conservateur de l’époque…

Un commentaire par Kévin (15/01/2009 à 17:44)

Merci, ce cuisinier m’était inconnu. Trop de distance avec le mélange ethnologique sûrement…

Un commentaire par Remi (18/01/2009 à 14:23)

Un petit indice pour “Le Cercle” de la fondation nationale des fientes politiques? Je suis sûr que c’est évident mais je n’arrive pas à le trouver.

Un commentaire par Baptiste Coulmont (18/01/2009 à 15:25)

Si vous lisez le fichier PDF ( http://coulmont.com/vordpress/wp-content/uploads/2009/01/aron-baba.pdf ) vous en saurez plus sur lui. Il est aussi surnommé “Le Phénomène Crocrocratique” et le Zorcier.

Un commentaire par Frédéric (20/01/2009 à 15:57)

J’ai une explication pour Olgier-le-nul : si Olgier le Danois est nul, c’est qu’il ne s’acquitte pas de sa tâche légendaire, à savoir se réveiller pour sauver le Danemark. Il y a donc quelque chose de pourri au royaume de Danemark. Et qu’est-ce que ce Danemark pourri, sinon un E(s)tat blet ?
(Comment ça, non ?)

Un commentaire par Baptiste Coulmont (20/01/2009 à 16:35)

Dans le même genre, si Olgier le Danois est nul, c’est peut-être parce qu’il bô de l’eau…

Un commentaire par Vincent (22/01/2009 à 0:12)

Texte anonyme écrit par un actuel sociologue de la mobilité sociale, de formation X-Sup Aéro d’où l’image des pilotes d’avions …

Un commentaire par Baptiste Coulmont (28/01/2009 à 9:27)

Le mystère Olgier a été résolu, par un correspondant ayant fait appel à la connaissance d’un plus ancien…
Le nom derrière le pseudo apparaît ici : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1974_num_15_1_2235

Un commentaire par Frederic (28/01/2009 à 13:15)

Je dois être bouché, je ne vois pas en quoi cet Olgier est “nul”…

Un commentaire par Baptiste Coulmont (28/01/2009 à 13:44)

Aucune idée non plus. Les auteurs du texte ne précisent pas pourquoi ils le qualifient ainsi. Rancoeur personnelle ? Rumeurs d’alors ? Réputation ?