Labo-contestation (3) : la naissance des laboratoires de sociologie
L’exploration de la revue Labo Contestation, cette revue éphémère et radicale du tout début des années 1970, continue. Avec, aujourd’hui, la transcription partielle d’un article d’histoire contestataire (et en PDF intégral pour les gros liseurs).
Les auteurs relatent la naissance des centres de recherche en sociologie. Au milieu des années cinquante, écrivent-ils, « il fallait des idéologues qui occultent leur statut d’appareil d’Etat, qui exercent seulement une violence idéologique, à l’exclusion de la force répressive d’Etat…» En bref, des sociologues : « Vous prenez une poignée de technocrates dans le vent. Vous y incorporez une grosse quantité de crédits publics. Vous laissez goutter lentement les crédits sur de jeunes graines universitaires bien perméables et soigneusement sélectionnées (sous cloche américaine de préférence). Pour faire monter, vous plongez celles-ci dans un bain de pédanterie scientiste… »
Le coeur de l’article est constitué par l’exposition des “trois variantes de la mystification” sociologique.
La première variante est appelée “les prêcheurs pour assistantes sociales” : « Le système consiste à légitimer, exorciser et occulter le rôle culturel répressif que jouent les assistantes sociales » et les travailleurs sociaux.
La deuxième variante, “les mages de la modernité” : ce sont « les domestiques de la classe dominante ». Leur discours est résumé ainsi :
la société, elle est bloquée, et les classes dirigeantes sont là pour y débloquer. Les luttes de la classe ouvrière, elles sont du 19ème siècle, et la société post-industrielle doit réfler ses problèmes entre technocrates et professionnels. Les paysans, ils y mettent du temps à disparaître, mais il faut les y aider, c’est leur intérêt bien compris. (…)
On aura peut-être reconnu un méchant résumé des thèses de Crozier, Touraine et Mendras.
La dernière partie, surtout, m’a surpris. La troisième variante est décrite comme “les restaurateurs de l’académisme”. Y est visé, directement, Pierre Bourdieu. Et c’est là qu’on sent poindre l’anti-intellectualisme des auteurs.
La relève fut assurée par de jeunes normaliens (…) Ils ont cumulé le crétinisme positiviste français et américain avec la rhétorique philosophique des normaliens. Ils ont imposé un élitisme forcené parmi leurs étudiants (…) Leur truc ce fut d’exiger des programmes pantagruelesques. Il fallait être capable de disserter à la fois sur les auteurs du 19ème siècle et connaître les oeuvres des sociologues américains parvenus (…) Dans chaque page [de leurs ouvrages] ils ont condensé des dizaines d’allusion aux oeuvres de leurs chers confrères d’hier et d’aujourd’hui.
Je n’avais si bien perçu l’opposition à une certaine idée de l’excellence académique, de la part des tenants du radicalisme, leur opposition viscérale à l’ascèse scolastique que suppose quand même l’apprentissage de la sociologie. Je connaissais (depuis peu) la rancoeur de Crozier envers les normaliens, et la tendance au recrutement sur des critères politiques à ce moment [“les gauchistes, c’était simple, on en recrutait deux, de tendances opposées, et ils se bouffaient le nez entre eux” n’hésitent pas à dire, aujourd’hui, certains des premiers Vincennois.]… [D’ailleurs, sur ce qui arriva à ces sociologues, l’ouvrage de Gérald Houdeville, Le Métier de sociologue en France depuis 1945 n’est pas inutile.]
Cela dit, d’autres critiques sont adressées à Bourdieu. Mais je vous laisse lire la genese des laboratoires de sociologie. (PDF)
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