Marquer la monnaie
La lecture des ouvrages et articles de Viviana Zelizer est réjouissante, toujours. Son attention sociologique aux pratiques et son attention au droit font toujours réfléchir.
Ainsi le marquage quotidien des monnaies : piles de centimes à côté de la porte d’entrée (pour faire l’appoint à la boulangerie), billets placés dans une boîte en fer (pour autre chose ?), jolis billets tout neufs pour les étrennes du doorman, argent de poche dans une tirelire…
Il existe aussi des marquages un peu moins quotidiens, des sortes d’inscriptions. Un site internet — http://www.wheresgeorge.com/ — “Où est George (Washington)”, se promeut en marquant d’un tampon certains billets d’un dollar. Si vous tombez sur un billet marqué par ce tampon, vous pourrez, en tapant son numéro d’identification, voir où il a circulé avant. (plus d’infos ici)
Flickr est plein de billets tamponnés :
source : EclecticLibrarian sur flickr
En France le marquage commercial de la monnaie est, depuis une vingtaine d’année, interdit. L’article R.642-4 du Code pénal est rédigé ainsi :
Le fait d’utiliser comme support d’une publicité quelconque des pièces de monnaie ou des billets de banque ayant cours légal en France ou émis par les institutions étrangères ou internationales habilitées à cette fin est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe.
Les personnes coupables de la contravention prévue au présent article encourent également la peine complémentaire de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit.
Si j’ai bien compris, il me semble que cette interdiction de se servir des pièces pour en faire des supports publicitaires date d’un décret du 11 août 1987, n°87-658 [texte en PDF]. Ce décret avait lui-même eu pour déclencheur l’initiative commerciale de deux étudiants : ils avaient créé des pastilles autocollantes pour les pièces de 10F. (Leur société s’appelait “Pile ou pub”) [mes seules informations se trouvent ici].
source de l’image
On trouve parfois sur e-bay des pièces ainsi marquées d’un autocollant (voir ci-contre).
Les archives ministérielles doivent, sur le processus ayant conduit au décret, être intéressantes : ce marquage temporaire par pastilles adhésives était vu comme une atteinte à certaines qualités de la monnaie.
Retournons de l’autre côté de l’Atlantique. L’idée que la monnaie puisse se transformer en un support publicitaire n’a pas disparu. On trouve même un dépot de brevet récent : “Method on advertising on currency”, par Martin A. Urban.
(source : uspto.gov)
Sautons enfin un peu au sud. Au Pérou les agents de change ont pris l’habitude de marquer, d’un tampon, les billets qu’ils échangent et ce tampon sert de garantie : le billet faux, ils le reprennent.
source de la photo
Je n’ai pas de conclusions à apporter à ces exemples. Ils ont simplement pour but d’insister, ou de porter l’accent, non pas sur le caractère uniforme du médium “monnaie”, mais sur les pratiques d’authentification, d’inscription, de modification… réalisées pour ôter cette uniformité. Parfois pour s’assurer de la valeur de la monnaie, parfois pour s’appuyer sur sa liquidité et sa capacité à passer de main en main et d’oeil en oeil.
Pour en savoir plus, et changer de perspective sur le monde, il faut lire La signification sociale de l’argent. On peut aussi lire Sociologie de l’argent de mes collègues vincennois Lazarus et de Blic.
2 commentaires
Un commentaire par Denys (29/04/2009 à 16:48)
Sans doute faudrait-il parler de “changeurs” ou de “bureaux de change” plutôt que “d’agents de change”, fonction, sous nos latitudes, tout à fait particulière et réglementée et qui, d’ailleurs, n’existe plus.
Sinon, euhm, j’ai bien peur que ces nouvelles couleurs ne me fassent un peu mal aux yeux.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (29/04/2009 à 19:35)
Passe pour “bureau” !
Mais pour les couleurs, on restera un moment en helvetica noir, avec une petite pointe de rouge/jaune dans les liens.