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Les billets de July, 2009 (ordre chronologique)

Sex-shops : en solde

C’est les soldes… et amazon a décidé de solder mon livre. Vous pouvez donc acheter Sex-shops, une histoire française avec une réduction de 30% ! 12 euros, c’est donné !
Et quand amazon n’en aura plus : il existe de bonnes librairies, qui l’ont encore…

Les calendriers érotiques

En travaillant sur l’histoire des sex-shops, je me suis peu intéressé aux usages quotidiens de la pornographie, et j’ai confiné cette dernière dans un espace spécifique. Les images de femmes nues sont pourtant présentes ailleurs : sur des calendriers exposés au travail notamment.

Les “pin up” accompagnaient les soldats américains au milieu du XXe siècle. Les cabines des camions étaient parfois ornées de calendriers osés, jusqu’à des changements d’organisation du travail (ref 1).
Les sociologues du monde du travail ouvrier ont aussi rencontré ces images pornographiques. Anne Monjaret principalement, dont j’explore ici les articles. Beaud et Pialoux aussi, qui mentionnent, en passant, dans Retour sur la condition ouvrière (ref 2) la personnalisation des boîtes à outils [ils citent un ouvrage de Durand, Grains de sable…]

…on la personnalise, on la décore, on la transforme (…) Pas assez de place pour coller une femme entière. Bouts de seins et gras de fesses se juxtaposent habilement.

De manière anecdotique, j’avais trouvé dans des archives judiciaire la trace d’un ouvrier de Renault Billancourt qui faisait un petit traffic d’images pornos. Et Robert Linhart, dans L’Etabli signale un traffic similaire : des camionneurs qui apportent à Citroën des pièces de machines font aussi entrer dans l’usine d’autres objets (dont une revue qui propose une fellation en couverture) (ref 3). Une fois dans l’usine, ces photos et ces images continuent à circuler.

En cherchant bien, l’on trouve enfin sur internet des photos d’ateliers, dans lesquels les pots de peinture disputent l’espace aux calendriers pornos :

Ludo-ludovic sur flickr propose la visite d’un atelier :


Sur la photo ci-dessus, l’on voit que certaines images sont préférées à d’autres, et que les calendriers, même périmés, ne sont pas jetés : de l’autocollant permet d’avoir sous les yeux les photos souhaitées… et peut-être de les dissimuler en cas de visite impromptue.

(voir aussi : dans une usine à l’abandon, dans une usine abandonnée, un entrepot abandonné et encore un entrepôt abandonné et encore un entrepôt, et enfin : [1], [2], [3]…)

Comme on peut le voir dans certaines des photos, ces calendriers sont proposés par des fournisseurs. Ils savent que le calendrier sera affiché si les images sont érotiques.

Ces illustrations sont perpétuellement en vogue. Ainsi en mars 2002, lors d’une visite, le responsable des garages d’un établissement public explique que les fournisseurs cherchent qu’elles soient conservées. «Il y a les calendriers “pratiques” en carton ou ceux avec des femmes dessus. Personne ne réclame les premiers alors que les autres sont demandés. Les fournisseurs le savent, il ne faut pas gaspiller.» (ref 4)

calendrier-catalogueMais sortons un moment du monde ouvrier.
Parmi les grands distributeurs de calendriers, l’on trouve la Poste, ou plutôt les facteurs. En décembre, ils passent diffuser “Le Calendrier du Facteur”. Dans un article (ref 5) Marie Cartier précise

L’activité des calendriers s’étend sur toute l’année. Les calendriers sont produits par quatre entreprises. Les épreuves sont soumises au contrôle de la Poste en février. Des catalogues présentant les collections de calendriers et dotés d’un bon de commande sont envoyés chaque année en mars dans les bureaux de poste. Après avoir choisi les calendriers sur catalogue, les facteurs envoient leurs commandes aux fournisseurs. Ils reçoivent les calendriers dans les bureaux durant l’été.

Si La Poste contrôle et valide ce qui est proposé dans les catalogues, il y a peu de risque que l’on se trouve face à une femme nue.
calendrier-chaton Les calendriers les plus connus représentent de petits chatons, des chevaux, des paysages… Des chasseurs pour les régions rurales, des châteaux historiques pour les autres…
Mais les fournisseurs de calendriers organisent aussi, en parallèle, un petit traffic. Les facteurs ont la possibilité de commander, par un bon “rose” spécial, des calendriers “SPECIAUX NUS X”, “NUS HARD” ou “NUS SOFT”.
Ces calendriers, est-il précisé, « ne peuvent être commandés qu’à titre personnel (…) Vous ne devez en aucun cas les présenter aux usagers. Seuls les Almanachs du facteur peuvent être distribués dans le public. »
facteur-calendrier-hard
Commandés “uniquement à titre personnel“, certes, mais il y a la possibilité d’en commander plusieurs exemplaires, et la commande est faite avec celle de l’Almanach. J’aimerai bien savoir ce que ces calendriers deviennent. Face à quelqu’un qui ne veut pas de petit chat ou de cascade, de cheval ou de scène bucolique, mais qui demande “Vous n’avez pas un peu plus… osé ?”… les facteurs ne sont-ils pas tentés de proposer “autre chose” ? Cela m’étonnerait.
Aujourd’hui, la commande se fait en ligne, chez Oberthur comme chez Oller. Ces entreprises proposent-elles toujours ces calendriers parallèles ?
[Note : si oui, je suis preneur de copies d’écran !]

*

Cette excursion vers la Poste et ses facteurs n’était pas qu’une digression. Celles et ceux qui ont rencontré les calendriers érotiques dans le monde ouvrier signalent leur disparition : les camions perdent leurs femmes nues (ref 1), les ateliers sont expurgés des posters “osés”. Anne Monjaret (ref 7) l’a observé de près : les restructurations, l’arrivée des femmes ou de générations plus jeunes, des modes de management nouvelles ôtent tout sens aux posters de nus :

Après le déménagement (…), les équipes qui ont suivi le mouvement ont dû fusionner, les « anciens » ont dû se confronter à la venue de « jeunes » formés autrement qu’eux. Les ateliers ne ressemblent plus à des ateliers, les établis sont devenus des bureaux. La construction d’un espace viril et plus encore corporatiste n’a, semble-t-il, pour le moment, plus lieu d’être. Quand le corporatisme n’a plus de sens, les signes référents sont abandonnés, les images de nus en faisaient partie. Elles se retrouvent parfois discrètement sur l’écran de veille de l’ordinateur. Certains « anciens » se retranchent dans cette pratique d’affichage, mais ils se savent isolés. Des « jeunes » se sont, eux, amusés brièvement avec ces images.

Les usages de la pornographie sortent du monde du travail et se privatisent : sous cette hypothèse, les calendriers “SPECIAUX NUS X” des facteurs sont sans doute destinés à des usages privés.

Il existe donc (ou du moins il existait), j’ai essayé d’en montrer des exemples, une circulation publique d’images de femmes nues, circulation connue (prise en compte par les fournisseurs d’outillage industriel, repérée par les sociologues) mais que je n’avais pas vraiment pris en compte dans ma réflexion (centrée sur le caractère privé de la consommation). Je suis fort heureux, donc, d’avoir pu lire récemment les articles d’Anne Monjaret.

*

Je suis preneur d’autres références (anglophones ?) et d’autres photos (plus anciennes par exemple)… Des anecdotes aussi m’intéressent.

Références
ref 1 : Bruno Lefevre, “La ritualisation des comportements routiers”, Ethnologie française, 1996-2,
ref 2 : Beaud & Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Paris, Fayard, 1999
ref 3 : Robert Linhart, L’Etabli cité par Anne Monjaret “Posters de nus dans les espaces masculins” in Charif et Le Pape, Anthropologie historique du corps, Paris, L’Harmattan, 2006
ref 4 : Anne Monjaret, “les calendriers illustrés de nus féminins dnas les espaces de travail masculins”, in Tamarozzi et Porporato, Oggetti e immagini, Omega Edizioni, 2006.
ref 5 : Marie Cartier “le calendrier du facteur, Les significations sociales d’un échange anodin“, Genèse, 2000-4, n°41
ref 7 : Anne Monjaret, “Images érotiques dans les ateliers masculins hospitaliers : virilité et/ou corporatisme en crise“, Mouvements, 2004 n°31

Varia

Aujourd’hui : Jésus, Bourdieu, Socio-Voce :

  • Mais tout d’abord en introduction : une nouvelle maquette pour le site du département de sociologie de Paris 8.
  • La marche pour Jésus suivie par Frédéric Dejean :

    Les lieux traversés par la « Marche » ne sont pas laissés au hasard et possèdent une signification. De manière générale il s’agit bien de lutter contre certaines forces sataniques (porte d’Enfer) ou occultes (les « lignes ley » renvoyant à la radiesthésie) par le biais d’un « combat spirituel ». Ces différents éléments indiquent que le parcours n’est pas seulement une entreprise de mise en visibilité des Chrétiens dans l’espace public mais relève bien d’un projet religieux dans lequel la prière localisée en certains lieux aura des vertus positives.

  • Looking back at Bourdieu, par Michèle Lamont

    During these Paris years, I progressively moved away from Bourdieu because, to put matters bluntly, he did not know how to mentor young women, wavering between far too great proximity and distance.[NOTE] In the highly gendered (although not gender-aware) Parisian intellectual milieu of the early eighties, he was much more at ease with young brilliant men, onto whom he could project his younger self (I thought). Moreover, his research center had notoriously treacherous interpersonal dynamics which seemed far too complicated for the 21 year old woman that I was.

    NOTE : To clear any ambiguity, there was no sexual harassment involved, only awkwardness. Bourdieu’s inadequacy as a mentor of women resonates with his ignorance of the feminist scholarship and of the literature on gender inequality that was available at the time

    Il faudrait comparer cela à ce qu’écrit Luc Boltanski dans Rendre la réalité insupportable (où les filles apparaissent peu)… et aussi à ce qu’écrit Heinich (que je n’ai pas lu).

  • Socio-voce remplace “Fred et Ben sociobloguent”. Les articles sont toujours aussi bons. Mais le nouveau titre est meilleur que l’ancien.
    Soit dit en passant : connaissez-vous d’autres blogs de sociologues ouverts récemment ?

Le “wiki ATER” + rangement

Après le “wiki auditions”, les sociologues universitaires sont maintenant dotés d’un “wiki ATER” mis en place par un doctorant de Nantes. Il manque encore des informations sur quelques universités (Toulouse 2 par exemple)…
Plus d’informations sur la mailing liste de l’ASES.

*

Ci dessous : pas grand chose, si ce n’est une preuve visuelle en vidéo d’un ménage de fin d’année réalisé la semaine dernière au département de sociologie de Paris 8…
[flashvideo file=”https://coulmont.com/blog/fichiers/2009/p8rangement200907.flv” width=480 height=270 /]
[et promis, bientôt je remplacerai le .flv par du H264 / OGG pour utiliser du HTML5 et surtout le tag <video>]

Argent politique : le medium et son message

L’argent n’est pas seulement un “moyen universel d’échange”. Il circule, et sa capacité à circuler rapidement, sa “liquidité”, est probablement un élément essentiel. Certains ont pris appui dessus pour faire circuler autre chose avec l’argent.

Dans un article de 1994, Messages sur billets de banque. La monnaie comme mode d’échange et de communication, l’ethnologue italien Fabio Mugnaini passait ainsi en revue les usages des billets de 1000 lires (50 centimes d’euro) :

C’est une expérience courante, pour qui vit en Italie, de trouver des billets qui portent des écrits, des dessins, des messages disparates (…) La présence de textes renvoyant à des formes métriques et à des genres narratifs de la tradition orale, l’existence de messages impliquant des croyances populaires de nature magico-religieuse m’ont conduit à explorer, en ethnologue, ce chapitre de culture populaire qui circule de main en main et à faire l’hypothèse qu’il s’agit là d’un nouvel objet ethnographique à traiter comme une forme contemporaine de création culturelle.

Les billets ont donc plusieurs qualités qui aident leur transformation en posttites, en tracts, en dazibaos (dazibaii ? dazibaa)… : ils ont longtemps servi aux États à diffuser certains messages (slogans, symboles, souveraineté…), ils sont en papier (avec un espace blanc pour les filigranes), peuvent être de faible valeur (n’échappant donc pas à la souillure) et surtout, au contraire de la feuille blanche, ont quand même trop de valeur pour être jetés si souillés.

On trouve donc d’autres pays que l’Italie pré-Euro où les messages sont fréquents. Au Brésil, sur les coupures de 2 reais.

Aux Etats-Unis, moins fréquemment, sur les billets de 1 dollar [exemples : 1 2 3 4…]

Mais un correspondant, Ben, après avoir lu un billet récent (sur les marquages de la monnaie), attire mon attention vers deux exemples intéressants. En Chine et en Iran, les messages sur les billets servent à contourner la censure politique :

Adeline Cassier sur son blog, chinopsis, récemment, écrivait, qu’en Chine, suite à son interdiction, le Falun Gong diffusait sa propagande ainsi : “messages spirituels et slogans anti-Parti sont écrits, et même imprimés, sur des billets de banque, et ainsi garantis de ne pas finir à la poubelle comme de simples tracts” — car ces billets ont une valeur…
billet banque falun gong
Extrait : “Dieu ne veut plus du Parti Communiste, quitter le Parti, c’est conserver la vie”
[Voir aussi ce billet ]
Il semble que cette pratique ait été théorisée par le mouvement : S’il faut en croire un site internet : « Le 25 février 2006, Li Hongzhi a déclaré à ses adeptes : “Ecrire sur les billets de banque ‘Vive le grand le falungong’, ‘Quitter le Parti communiste chinois’ constitue, selon moi, une excellente méthode de diffusion de nos idées dans la mesure où les billets ne peuvent être ni jetés, ni détruits.“. »

Le Monde mentionnait, en passant, un usage similaire en Iran :

La coupure était couverte d’une écriture verte. “C’est notre nouveau mode de communication, a-t-elle dit en riant. Comme on nous a coupé les SMS, les portables et censuré les sites Web, on écrit des messages sur les billets de banque.” Voilà ce que disait celui-ci, en l’occurrence un poème: “Cette poussière, c’est toi [M.Ahmadinejad a traité dimanche ses adversaires de poussière], La passion, c’est moi, L’amant désespéré, c’est moi, La cruauté, c’est toi, L’aveuglement, c’est toi, Je suis téméraire et je suis impétueux, L’Iran est à moi.
source

Je n’ai pas réussi à trouver des usages semblables en URSS, dans l’Allemagne nazie ou en France occupée… et pourtant, je suis persuadé que des collectionneurs ont de tels billets “à message”… Mais peut-être que les billets, à ces époques et dans ces pays, n’étaient que des “grosses coupures”, qui ne circulaient pas aussi facilement que les toutes petites coupures supports de messages.

En gros : je cherche à remplir ce graphique :
argent-message

(Merci Ben !)
Mise à jour : sur flickr : funny money, money graffiti et the defaced presidents… mais ces messages sont ironiques (et ne semblent pas être liés à une forme de résistance)

Trois choses sans rapport entre elles

Où l’on parlera de camouflage d’objets porno, de décryptage sociologique et d’ethnographie universitaire.

  • 1- Voici un exemple de camouflage relevé dans Une année d’amour de Louis Doucet (1969, éditions Eric Losfeld). En 1968, un disque de chants guerriers à 45 tours pouvait devenir autre chose à 33 tours :

    langoureux-disque

    Ces disques pornographiques existaient réellement. Dans le très oubliable magazine Couple 2000 (1974, n°11) l’on peut en effet lire :

    Les secrets de votre chambre d’amour
    (p.7) Le dernier élément indispensable de votre chambre d’amour doit être une armoire ou une commode fermant à clé. Vous y rangerez soigneusement, à l’abri de toute curiosité des enfants ou de la femme de ménage, vos gadgets amoureux :
    – un vibromasseur, très utile pour la recherche mutuelle des zones érogènes. (On en trouve en pharmacie)
    – différents anneaux, à pointes caoutchoutées, à cils de vison… que l’on trouve dans les sex-shops (ventes discrètes sur catalogue pour les timides ou les éloignés). (p.8) Ces anneaux se placent autour du pénis et procurent à la femme des sensations nouvelles (au moins à essayer).
    – des parfums aphrodisiaques tels les batonnets d’encens.
    – vaseline et cold-cream indispensables pour la pénétration anale.
    – quelques photos et disques pornographiques qui peuvent aider à renouveler ou varier les plaisirs. (…)

  • 2- Sans transition, via Denis Colombi : Panda Sociologue sur http://52articles.wordpress.com/ se propose de lire, en détail, un article de sociologie par semaine, et d’en expliciter les tenants et les aboutissants.
    L’une des choses que j’ai mis longtemps à comprendre, c’est que les sociologues n’écrivent pas des histoires : leurs textes s’inscrivent dans des débats scientifiques et sont à comprendre comme des arguments dans ces débats. (Pour les sociologues, la sociologie ne vaudrait pas une heure de peine si elle n’était pas ceci.) L’ennui, c’est que, le plus souvent, ces débats ne sont pas suffisamment explicités. L’allusion l’emporte, et comprendre un article nécessite alors toute une culture sociologique…
    Le Panda Sociologue apporte un décryptage, et plus encore…
    [Par ailleurs : j’en recherche d’autres, des blogs de sociologues…]
  • 3- Eli Thorkelson est un socioanthropologue américain… sur decasia.org il livre ses réflexions sur l’université française. Ici une comparaison entre P4 et P8.
  • 4- En bonus : What is Alsace ? sur Understanding Society.

Prénoms et immigration : Les enfants de Mohamed et Larbia Dupont s’appellent Yanis et Ines

Quels prénoms les immigrés donnent à leurs enfants ? Plusieurs articles ont paru récemment sur le sujet (Arai et al. 2009; Becker 2009; Gerhards et Hans 2009; Valetas et Bringé, à paraître; Sue et Telles 2007). Deux sur la France, deux sur l’Allemagne, un sur les USA. Voici quelques mots, un peu dans le désordre.
Les auteurs font le pari que les prénoms peuvent servir d’indicateur de l’acculturation, de l’assimilation ou de l’intégration. La chose semble assez logique : les prénoms des Marocains au Maroc et des Français en France diffèrent assez fortement… ceux que les immigrés marocains en France donnent à leurs enfants sont peut-être intermédiaires, et ceux que ces enfants donnent à leurs enfants ressemblent peut-être encore plus au stock général. De plus la disparition des prénoms allogènes a été observée auparavant, avant l’existence de grandes enquêtes statistiques : les enfants des Portugais, des Polonais, des Italiens… ont pu recevoir des prénoms différents de ceux que leurs parents portaient. Maintenant que l’on dispose d’enquêtes (ou de grandes bases de données administratives) il est possible d’essayer de comprendre comment cela se passe.

Les méthodes diffèrent légèrement. Travailler sur les prénoms pose des problèmes spécifiques. Les prénoms sont très nombreux et doivent être transformés en données utilisables.
Araï et alii construisent un « indice de francité » qui varie entre 0 et 1. L’indice reçoit 0 quand le prénom n’est donné que par des immigrants à leurs enfants… et 1 quand le prénom n’est donné que par des « native French ».
Les autres articles construisent des « familles de prénoms » : Gerhards et Hans classent chaque prénom en fonction de sa fréquence dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil : ils réalisent donc un travail de codage manuel, en s’assurant de la présence d’au moins un immigré de chacun des groupes parmi les codeurs (et c’est la même chose dans l’article de Becker). Sue et Telles construisent aussi un indice : 1 = « prénom English non traduisible en espagnol »… 5 = « prénom Spanish non traduisible en anglais ». Enfin Valetas et Bringé construisent 4 catégories : pour les enfants des Algériens « prénoms traditionnels » et « prénoms modernes » font référence aux prénoms en cours en Algérie, les prénoms français et prénoms internationaux étant les deux dernières catégories.
La méthode utilisée par Araï et alii me semble a priori la plus satisfaisante (mais interdit probablement certains traitements) : le traitement est grandement automatisé. Elle ne fait pas intervenir le goût de codeurs. Pour prendre un exemple, prenons « Sabrina » : ce prénom apparaîtra à certains comme un prénom classique, un peu comme « Nicolas » ; à d’autres comme une abomination, comme un prénom étranger, comme un prénom maghrébin, comme un prénom portugais, etc… Ce que l’on ressent face à un prénom dépend de sa position sociale.

Malgré la différence des méthodes, l’on va trouver d’étranges similarités.

Immigrer à un jeune âge, avoir immigré depuis longtemps… conduit à donner à ses enfants des prénoms plus proches des prénoms du pays d’accueil. Il en va de même avec le nombre d’années d’études et l’insertion sur le marché du travail : quand ces dernières augmentent, les prénoms se rapprochent. Le mariage avec un « native » (mariage mixte) conduit aussi à des prénoms éloignés de ceux du pays d’origine.

La similarité la plus remarquable concerne les filles.
Les prénoms donnés aux filles n’ont pas tout à fait les mêmes caractéristiques que les prénoms donnés aux garçons. Les bébés filles reçoivent, dans les 3 pays ici étudiés, des prénoms plus proches des prénoms déjà en usage, alors que les prénoms donnés aux garçons diffèrent de ce stock. Les filles des immigrés (qu’ils soient du Mexique, de Turquie, du Maghreb ou de Yougoslavie) ont plus de probabilité d’avoir un prénom local (allemand, étatsunien, français) que les garçons des immigrés.
Dans l’article de Becker, qui porte sur 600 familles d’origine turque : les filles reçoivent des prénoms « communs aux deux pays » trois fois plus fréquemment que les garçons. Chez Valetas & Bringé : « chez les immigrés algériens, les garçons reçoivent un prénom traditionnel à plus de 80%. Ce n’est le cas que pour deux filles sur trois ».

Les auteurs interprêtent ces résultats de plusieurs manières, parfois en rattachant cette différence à la différence de genre. Les garçons seraient détenteurs de la continuité familiale, ethnique ou identitaire… et recevraient donc des prénoms « marqués ». Ce ne serait pas le cas des filles… Cette interprêtation, qui est en grande partie celle de Sue et Telles, me gêne aux entournures (et je suis plein d’entournures) : dans d’autres cas, l’on interprêterait tout aussi bien des pratiques « féminines » comme liées au fait que ce sont les femmes qui transmettent, blah, blah…

J’aurai tendance à penser que ces différences entre prénoms donnés aux garçons et prénoms donnés aux filles sont liées à une différence de structure dans le stock des prénoms du « pays d’accueil ». Les prénoms féminins sont depuis longtemps plus variés que les prénoms masculins : en France depuis la fin du XVIIIe siècle les parents sont plus innovateurs en ce qui concerne les prénoms des filles.
Gerhards et Hans repèrent autre chose : le prénom des immigrantes (nées en Turquie par exemple) est plus fréquemment que celui des immigrants un prénom qui a court dans le pays d’accueil. Tout simplement : il y a plus de prénoms féminins communs aux deux pays que de prénoms masculins.

Vous pouvez me dire : cela ne fait que repousser le problème d’un cran. Mais ça en résoud un autre : en choisissant des prénoms innovateurs pour les filles et des prénoms « classiques » pour les garçons, les immigrés reproduisent des pratiques en phase avec celles du pays d’accueil.

Un autre élément me gêne aussi : les auteurs ont tendance à écrire que les prénoms du pays d’origine sont des prénoms traditionnels. Mais il existe, au Maghreb, en Turquie ou au Mexique, des mouvements de mode… mais peu de travaux encore (Bulliet 1978; Borrmans 1968). Les prénoms turcs ont pourtant été modifiés par le nationalisme kémaliste, mais aussi par des mouvements politiques islamistes. Des mouvements de mode sont aussi visibles au Maghreb dès les années soixante. C’est pour cela que l’article de Valetas et Bringé propose deux groupes de prénoms du Maghreb : les “classiques” et les “modernes”.

À suivre… Car on peut observer aussi d’autres formes d’acculturation. De la même manière que certaines Françaises se trouvent des racines celtes (ou des racines occitanes, basques, corses) et donnent à leurs enfants des prénoms “bretons” (ou …), d’autres Françaises vont se trouver d’autres racines. L’indicateur “prénom” est bien complexe.

Bibliographie
Arai, Mahmood, Damien Besancenot, Kim Huynh, et Ali Skalli. 2009. Children’s first names and immigration background in France. HALSHS http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00383090/fr/.
Becker, Birgit. 2009. Immigrants’ emotional identification with the host society. Ethnicities 9, no. 2: 200-225. doi:10.1177/1468796809103460. [En ligne en version préliminaire sur EqualSoc]
Borrmans, Maurice. 1968. Prénoms arabes et changement social en Tunisie. IBLA, revue de l’Institut des Belles Lettres Arabes 121: 97-112.
Bulliet, Richard W. 1978. First Names and Political Change in Modern Turkey. International Journal of Middle East Studies 9, no. 4 (Novembre): 489-495.
Gerhards, Jürgen, et Silke Hans. 2009. From Hasan to Herbert: Name-Giving Patterns of Immigrant Parents between acculturation and Ethnic Maintenance. American Journal of Sociology 114, no. 4: 1102-1128.
Sue, Christina A, et Edward E Telles. 2007. Assimilation and Gender in Naming. American Journal of Sociology 112, no. 5: 1383-1415.
Valetas, Marie-France, et Arnaud Bringé. Prénoms des enfants d’immigrés en France: Une pratique différente selon le sexe ? Dans Du genre à l’Afrique. Hommage à Thérèse Locoh, éd. Jacques Vallin, 57-65. Paris: Editions de l’Institut national d’études démographiques, paraître.

Note : le titre du billet est une allusion à un article de Desplanques.

« Ils sont de retour »

Qui est de retour ? Les poppers : ces petites fioles vendues en sex-shops dont le contenu avait été interdit à la vente, en novembre 2007, par décret.
Mélismes, sur son blog, retraçait début 2008 le processus ayant conduit à ce décret : la volatilité du droit.
En mai 2009, le Conseil d’Etat annule le décret : une telle interdiction était excessive.

poppers
Pendant une bonne année, donc, les poppers ont été interdits à la vente. Les sex-shops ont du s’habituer à la perte de ce “produit d’appel” aux marges très intéressantes et qui occasionnait les visites de clients peut-êtres plus jeunes que les habitués.
Jeunes ? Ce ne sont pas seulement les vendeurs qui parlent de jeunes consommateurs, “teufeurs” ou autres. Les enquêtes sur la consommation des “produits psychoactifs” ont repéré la consommation juvénile des poppers. Ainsi peut-on lire ce tableau dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire de mars 2008 :
behmars2008
source : Les usages de drogues des adolescents et des jeunes adultes entre 2000 et 2005. B.E.H., 25 mars 2008 / n°13.

On le constate aisément : l’enquête repère ici que les poppers sont l’autre produit psychoactif le plus consommé [ne figurent pas, dans ce tableau, l’alcool et le cannabis]. En très bref, en 2005, à 17 ans, 5% des Français en ont déjà consommé (au moins une fois). L’intérêt de cette enquête, “ESCAPAD”, c’est qu’elle est reproduite régulièrement. En 2008, beaucoup plus de jeunes semblent avoir touché aux poppers : un peu plus de 13% déclarent en avoir déjà consommé. Thrill face à l’interdit ? Plus grande facilité de déclaration ? Influence de la tektonik ? [Cherchez l’hypothèse étrange.]
poppers-ofdt-2009
source : Les drogues à 17 ans – Résultats de l’enquête ESCAPAD 2008, OFDT, juin 2009.
Les auteurs de l’enquête semblent perplexes devant une telle augmentation :

Cela pourrait être en lien avec le changement de statut légal de ces produits dont la vente était contrôlée (limitée aux majeurs dans les sex-shops) avant d’être interdite en novembre 2007. Une soudaine augmentation de l’offre via une baisse des prix pour liquider les stocks des fabricants et des revendeurs autorisés n’est pas à exclure. De plus, la visibilité et la disponibilité de ces produits sont également croissantes sur Internet. En 2008, le poppers domine donc largement les expérimentations de produits psychoactifs illicites (…)

Mais en 2009, ces produits ne sont (de nouveau) plus illicites…
Et les sex-shops cherchent à le faire savoir : à part les abonnés du Recueil Lebon en effet, rares étaient les personnes au courant de la décision du Conseil d’Etat.
L’on a vu fleurir, à côté des “Déstockage Massifs DVD Rocco Siffredi”, de petites affichettes : “Ici Poppers”. L’entreprise fabricant le “Sex Line” propose même une petite affichette pour les vitrines.
poppers 2009
On a peu parlé de ce retour du poppers… pour quelles raisons, je l’ignore. Que trouve-t-on ? Un article intéressant dans La Voix du Nord qui interviewe un sexshopiste :

Il faut dire qu’avant le décret, sa boutique écoulait « en gros, entre quarante et cinquante flacons par mois. Ça se vend 12€ la bouteille, c’était un vrai manque à gagner. » Soit entre 480 et 600€ de perte tous les mois. Laurent était donc le premier surpris quand, en mai, le Conseil d’État a annulé le fameux décret. Une « très bonne nouvelle », assure-t-il.
Rapidement, il affiche sur la porte du magasin une affiche qui dit : « Ici, vente de vrai poppers ». Le but étant de retrouver la clientèle perdue durant le temps de l’interdiction.
source. Le vrai poppers est de retour, La Voix du Nord, (Arras), juillet 2009

Et un autre article dans Sud Ouest qui développe l’idée selon laquelle l’interdiction a rendu le produit plus attractif.

Après le décret ministériel, la quête du poppers devient un nouvel enjeu. À Bordeaux, comme ailleurs, la consommation progresse. (…) Franck, homosexuel bordelais, âgé de 35 ans raconte : « Le poppers était un produit un peu ringard il faut bien le reconnaître, à l’image du Viagra… Du fait de l’illégalité, il a gagné une seconde jeunesse. Une espèce de “revival”. Et surtout, nous n’avions aucun mal à en trouver.
On entrait dans un sex-shop pour acheter du poppers, on nous répondait “vous savez que c’est interdit” et en général, on nous sortait une ou deux fioles de derrière les fagots. Le fameux stock à écouler… Il existait un trafic dans les bars gays (…) Et puis, les gens achetaient sur des sites Internet belges ou anglais à 20 euros la fiole, au lieu des 15 habituels.
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