Incompétences
En juin dernier, l’information s’est diffusée largement : Michel Maffesoli s’était auto-promu “professeur de classe exceptionnelle”, avec l’un de ses mignons, Tacussel. Cela prêterait à sourire si ces deux personnes n’étaient en charge des promotions pour la 19e section du CNU (sociologie et démographie).
Les casseroles que traînent ces deux-là sont connues, mais au ministère, ils sont en cour. [Et d’aucuns — ouh les mauvaises langues — disent qu’être franc-maçon, ça aide. Je ne puis m’associer à ces rumeurs !]
On peut lire, sur la liste de diffusion de l’ASES, des discussions au sujet de l’autopromotion. Je me permet ici d’émettre un jugement personnel : ça ne vole pas très haut. Mais jugez par vous même…
Sans transition, mais vraiment, sans transition, et sans aucun lien avec ce qui précède, car on va parler maintenant de l’Italie, pas de la France, ni du CNU : L’incompétence sert parfois de signal
[Après avoir étudié certains criminels] Gambetta affirme que quelque chose de similaire se passe chez les baroni qui président aux comités de sélection impliqués dans les modes de promotion académiques en Italie. […] Les baroni opèrent sur la base d’un pacte en réciprocité, qui requiert beaucoup de confiance, car les dettes ne sont remboursées que bien des années plus tard… Les figures les plus puissantes, dans ce système, tendent à être les moins intellectually distinguished.
(…) Etre incompétent, et le montrer, transmet un message : “je ne tirerai pas au flanc, car je n’ai pas les munitions (intellectuelles)”. Dans un marché académique corrompu, être bon, être intéressé par sa recherche, signale en revanche un potentiel de carrière indépendante de la réciprocité corrompue.
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Gambetta argues that something similar takes place among the baroni (barons) who oversee the selection committees involved in Italian academic promotions. While some fields are more meritocratic than others, he says, the struggle for advancement involves a great deal of horse trading. “The barons operate on the basis of a pact of reciprocity, which requires a lot of trust, for debts are repaid years later. …The most powerful figures in this system, says Gambetta, tend to be the least intellectually distinguished. … “… and this is what is the most intriguing, they do not try to hide their weakness. One has the impression that they almost flaunt it in personal contacts.” … Gambetta argues that the cheerful incompetence of the baroni is akin to the mafioso’s way of signaling that he can be “trusted” within his narrowly predatory limits.
“Being incompetent and displaying it,” he writes, “conveys the message * I will not run away, for I have no strong legs to run anywhere else. * In a corrupt academic market, being good at and interested in one’s own research, by contrast, signal a potential for a career independent of corrupt reciprocity…. In the Italian academic world, the kakistrocrats are those who best assure others by displaying, through lack of competence and lack of interest in research, that they will comply with the pacts.”
Se pourrait-il aussi qu’en France, les kakistocrates puissent être suffisamment nombreux pour se gratter réciproquement le dos ? Cela demande, sans doute, des recherches approfondies.
[yarpp]
11 commentaires
Un commentaire par MF (28/08/2009 à 13:27)
Bonjour, je rejoins votre indignation sur ces promotions, mais qu’en est-il de Melle Pugeault Catherine, mcf et membre du cnu qui a aussi été promue me semble-t-il par la section 19. En tant que membre du CNU chez les mcf, vous n’avez pas pu vous opposer à cela?
Un commentaire par Baptiste Coulmont (28/08/2009 à 13:44)
>MF : vous faites erreur, je ne suis pas membre du CNU (j’ai été qualifié par le CNU section 19 et le CNU section 11 en 2004, mais je n’ai été ni nommé ni élu, je n’y joue aucun rôle)
Un commentaire par MF (28/08/2009 à 13:52)
D’accord autant pour moi, cependant personne ne parle de ce cas, on se focalise sur Maffesoli et Tacussel, savez-vous pourquoi? On peut se demander ce qui dérange le plus au fond, les auto-promotions ou le fait que Maffesoli soit concerné? Ca ne change peut-être rien mais bon… je m’interroge sur ce silence malgré tout.
Un commentaire par dorant (28/08/2009 à 17:27)
Et il y a aussi Ferreol…
Un commentaire par dorant (28/08/2009 à 18:18)
Bon, pour être sérieux, ce type de pratique – autopromotion et aussi qualification préférentielle de thésards – est loin d’être nouveau et limité à la 19; dans une section voisine, sur le mandat précédent, tous les professeurs de deuxième classe, les PR2, sauf un, ont été promus PR1.
Un ancien directeur scientifique des SHS au ministère avait dit un jour qu’il estimait, toutes disciplines confondues, le taux d’autopromotion au CNU aux alentours de 30 %.
Ce qui frappe pour le CNU 19, c’est qu’apparemment une bonne partie des promotions possibles soit allée à 3 PR membres du CNU et bien sûr que cela concerne quelqu’un, visiblement né sous une bonne étoile (oui je sais c’est nul mais c’était tentant…) et qui accumule les gratifications (CA du CNRS, IUF…).
Cela dit, la moitié des promotions est gérée en local, par les universités, et là-aussi il y a pas mal d’autopromotions ou l’inverse d’ailleurs.
Au-delà des effets de clan et de réseau, il y a aussi simplement sans doute des effets d’interconnaissance et d’autogratification, issus du sentiment d’appartenance à une même instance, celle qui décide et propose – donc en gros et de façon innocente, les membres finissent par penser qu’ils sont les meilleurs et donc le tabou de l’autopromotion saute.
Quelles solutions? Dans les sections du comité national au CNRS, qui promeuvent également les chercheurs, les élus prennent l’engagement de ne pas se présenter à la promotion de directeur de recherches pendant leur mandat.
Satisfaisant de prime abord, mais un peu hypocrite en réalité, bien que ce terme soit fort- pour en avoir été témoin, j’ai observé que le mandat suivant “récompensait” ceux qui ne s’étaient pas présentés au prétexte du retard de carrière subi par ces élus…
Donc difficile de trancher ou de proposer- en tous cas, une instance locale me semblerait non plus pas être satisfaisant.
Au CNRS, la section peut être désavouée par la direction de l’organisme quand les cas sont trop flagrants. Peut-être à envisager pour le CNU? Mais quelle serait l’instance décisionnelle?
Un commentaire par Thierry (28/08/2009 à 19:25)
J’aime beaucoup votre esprit Baptiste, mais j’apprécie aussi monsieur Tacussel pour le connaitre : il me semble que son parcours, trop proche de Maffesoli, nuit à sa propre autonomie, à sa production aussi. Je pense qu’il aurait pu faire mieux avec ses propres capacités (et aussi bien en terme de “reconnaissance institutionnelle/académique”).
Bien sur moi non plus je n’approuve pas beaucoup toutes ces promotions, auto-promotions, décorations…je n’en vois pas l’intérêt. Et les insultes qui sont échangées sur la liste de discussion de l’AFS (les uns renvoyant au passé des autres, les autres montrant le présent) sont d’une nullité insondable.
Par contre ” l’un de ses mignons” pour qualifier Tacussel > je trouve cela trop fort, cela me gêne, car Tacussel a une envergure intellectuelle que beaucoup de sociologues français n’ont pas aujourd’hui.
Tacussel fut mon directeur de recherche, je n’ai pas suivi sa voie (pour infos, je m’intéresse à la “sociologie de l’Internet” et une approche post-moderne de la chose ne m’apporte pas beaucoup, selon mon opinion ) mais je le respecte vraiment, tout en lui reconnaissant certaines maladresses parfois, et surtout , à mon avis, le fait qu’il aurait pu rayonner par lui-même (mais, à qui la faute ?).
Maintenant il ne faudrait pas me tomber dessus, vu les vifs débats qui agitent les sociologues depuis des années autour de ces “figures”, et vu que je n’appartiens pas (ou alors ce fut éphémère, en DEA, il y a 10 ans) à leur courant / réseau…
Mais je voulais vous dire, en tant que lecteur, ce qui me gène.
Cordialement.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (28/08/2009 à 20:19)
>Thierry : merci du commentaire. Je comprends que mon billet puisse irriter…
Un commentaire par Antoine (28/08/2009 à 20:54)
Ca ne va pas arranger mes affaires, moi qui essaye de vendre sur Amazon deux bouquins de MM que ma grand-mère m’a offert…
Une question, Baptiste : jusque là, tu ne citais pas nommément, préférant parler de “Michel M***”. Ce n’est plus le cas ?
Un commentaire par Baptiste Coulmont (28/08/2009 à 21:38)
>Antoine : en effet, je suis passé au nom complet. De toute façon, j’étais déjà surveillé…
Un commentaire par DM (01/09/2009 à 20:11)
Un directeur de recherche de ma connaissance s’énervait contre ces instances d’évaluation, pleines, selon lui, de personnes inconnues scientifiquement et que l’on ne rencontre ni dans les revues internationales, ni dans les conférences internationales de bon niveau…
Un commentaire par RF (02/09/2009 à 2:31)
Si le terme de “mignon” (presque un anglicisme) renvoie à l’organisation de la petite société de cour qui s’est montée à l’intérieur du courant de recherche dont il est question, alors il est exact. S’il sert à autre chose (par exemple, à nier la possibilité que la personne ainsi qualifiée soit un chic type par ailleurs), ou s’il ne traduit pas correctement l’état de cette organisation, alors il ne l’est plus.
Je pense que le terme se justifie ici, dans sa première acception. Il faut rappeler que Patrick Tacussel a servi d’alibi à la “thèse” d’Elizabeth Teissier. On fait difficilement pire en termes de trahison de l’ethos scientifique, à moins de falsifier des résultats ou de nuire au bien-être de ses enquêté(e)s. Cela marque un niveau de déférence totalement excessif – minion.