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Une vieille connaissance

Dans Télérama, je suis tombé sur une vieille connaissance :

Regardez bien, le premier ticket, à gauche.
Un zoom :

Comparez. C’est le ticket même que j’avais retrouvé dans un vieux livre peu consulté de la bibliothèque de l’ENS :

J’en avais parlé en mai 2009.

Même couleur, mêmes poinçonnages, et des numéros identiques.
C’est que ce ticket, après quatre-vingt-cinq ans de sommeil comme marque-page, a continué son chemin. Dans une lettre, pour Grégoire Thonnat, un ticket-de-métro-phile. Dans son livre ensuite : il a écrit une Petite histoire illustrée du ticket de métro parisien, dans lequel le ticket se trouve reproduit.
De là, il n’a suffi que d’une attachée de presse et d’un dessinateur pour le voir accueilli dans Télérama.

Fantômette, héroïne ligotée (2)

Dans Le Figaro, du 22 juin 2006, p.5, on peut lire une toute petite interview de Marie Darrieussecq sur ses lectures d’enfant : « Fantômette était un caractère féminin positif, active, mystérieuse, érotique… Oui-Oui, au potentiel érotique moindre, avait un côté “doudou” rassurant. »
Fantômette était donc dotée d’un potentiel érotique. Il fallait poursuivre l’enquête (commencée ici), surtout que la Bibliothèque rose tend à minimiser ce potentiel. Dans le communiqué de presse visant à ouvrir les festivités du cinquantième anniversaire de Fantômette, Darrieussecq, interviewée ne parle plus d’érotisme, mais de féminisme : « “Fantômette” était une héroïne extraordinaire pour la petite fille que j’étais, une féministe avant l’heure, et qui me faisait rêver. » [source].
Dans un esprit proche, les fans adultes de Fantômette considèrent que toute lecture sexualisante des romans de Georges Chaulet est perverse.
L’enquête se poursuivra donc chez d’autres romancières :
Dans Sous réserve de Hélène Frappat (Allia, 2004), Fantômette apparaît comme une tueuse, « dans un roman où la justicière égorge un journaliste dont elle désapprouve les avances ». Ce roman « s’appelait Loi Blanche car son héroïne, Fantômette, avait la passion des couteaux. » Une tueuse donc, mais pas vraiment érotique.
Dans le roman Premier rôle, d’Alice Massat (Denoël, 2008), le potentiel érotique de Fantômette est liée à son loup. Ce roman se conclut par une soirée dans laquelle participants et participantes doivent porter le masque de Fantômette, devenue l’héroïne d’un film : « À l’origine, c’est vrai, c’était pour les enfants, mais ils en ont fait un film policier, avec une héroïne aux pouvoirs spéciaux. Mais sans vous raconter toute l’histoire, on comprend au fur et à mesure qu’elle est carrément branque, victime de troubles de l’identité. »

*

Mon hypothèse

Je ferai l’hypothèse que, dans les romans de Georges Chaulet, le “potentiel érotique” de Fantômette est en partie lié aux situations d’entrave, qui reviennent suffisamment souvent pour former un motif narratif. Ces situations d’entrave, nous allons le voir, sont souvent réalisées dans des sous-sols (cuves, caves, grottes, cryptes, cales de bâteau…) ou autour d’armatures plus ou moins métalliques (cages, grilles, chaises…). Les costumes jouent un rôle (celui de Fantômette, mais aussi diverses sortes de combinaisons).

Quelques preuves de ligotage récurrent

En 1961, dans les premières aventures, Les exploits de Fantômette, le ligotage est évoqué rapidement, sur un bateau en train de couler :

[Le colonel] se baissa, empoigna un cordage et ligota Fantômette, toujours évanouie, après lui avoir retiré son poignard qu’il planta sur le pont. Puis il la prit sous son bras, entra dans la cabine et descendit au fond de la cale par un court escalier.
source : Les exploits de Fantômette, 1961, p.158

Deux ans plus tard, dans Fantômette au carnaval, l’auteur multiplie les ligotages. Page 125 « Ce fut soudain, inattendu. Un voile noir lui tomba sur le visage tandis qu’elle se sentait soulevée de terre, puis maintenue solidement. Elle sentit qu’on lui immobilisait bras et jambes pour les attacher. » Fantômette se retrouve « ficelée comme une andouille de Vire » (p.127). Mais aussi p. 150, où Fantômette est de nouveau ligotée, et où elle déclare, étrangement, « Je veux bien qu’on m’attache », tout en évoquant diverses formes de « supplices chinois ». Idem (double ligotage) dans Fantômette contre la Main Jaune (1971), où le personnage évoque encore explicitement un supplice. Attachée à un gouvernail, elle déclare : « Tiens! C’est donc ça qu’on appelle le supplice de la roue ? » (p.69). Ré-attachée une centaine de pages plus loin, elle proteste « Encore ! C’est une manie que vous avez, de ficeler les gens ? » (p.174).

Dans Fantômette et la télévision (1966), Fantômette « était allongée par terre, sur le dos. La corde qui lui immobilisait bras et jambes était passée, par surcroît de précaution, dans un anneau de fer scellé au mur. » (p.138)

Entre 1968 et 1975, les scènes de ligotage font partie des scènes attendues. Dans Fantômette dans le piège (1972) elle est aveuglée par une sorte de sac, ligotée et enserrée dans un pneu (la scène formera la couverture et sera illustrée).

un voile noir s’abat sur ses yeux, en même temps qu’une sorte de cercle tombant du ciel, lui enserre les bras en les immobilisant. Elle tente de ses débattre, mais sent qu’on lui attache les jambes avec une corde.

La panoplie parfaite du petit sadomasochiste

Dans Fantômette contre le Hibou, les méchants portent des costumes à mi-chemin entre ceux du Ku-Klux-Klan, ceux des Grands Inquisiteurs et des bourreaux. Dans Fantômette chez les Corsaires (1973), c’est toute la panoplie du sadomasochiste qui est conviée. Menottes, entraves, caves, cages et fouets… sont combinés à une situation où les personnages féminins capturées par des sortes de pirates sont réduites en esclavage :

« Si vous m’obéissez au doigt et à l’oeil, ça ira. Si vous faites les fortes têtes, il y aura cet accessoire pour vous calmer… »
Du pouce, il désigne le fouet accroché au mur.
(…)
Dominguez décroche une chaîne reliée à deux anneaux. L’ensemble ressemble assez à des menottes. Il se baisse, ouvre les anneaux qui sont en deux parties, les referme sur les chevilles de la grande Ficelle. Puis il sort une clé de sa poche et verrouille les anneaux. Ficelle pousse un cri :
« Mais qu’est-ce qui vous prend ? Vous me mettez des chaînes aux pieds, comme aux esclaves, dans l’ancien temps ? »
Dominguez se met à rire.
« Et que crois-tu donc que tu es ? Une esclave, ma petite, tout bonnement ! »
source : Fantômette chez les Corsaires (1973), pages 80-82

Le thème du cachot revient en force dans Fantômette et le Masque d’Argent (1973), où deux hommes l’entraînent sous terre :

Fantômette ne peut rien voir, mais elle se rend compte que des poignes solides la soulèvent, l’entraînent au long des couloirs du sous-sol. Elle se débat, essaie de se libérer, donne des coups de pied, mais sans résultat. Ses adversaires sont au nombre de deux, lui semble-t-il. Le premier lui a rabattu sa cape sur sa tête, le second lui maintient les jambes. Elle sent qu’on la soulève, qu’on la porte et qu’on la dépose (p.137) sur le sol. Elle entend le claquement de la porte, suivi d’un glissement de verrous. Elle dégage aussitôt sa tête de la cape, regarde autour d’elle. La pièce est une sorte de cachot
source : Fantômette et le Masque d’Argent (1973) p.136

Esclavage, cachot… y aurait-il d’autres réminiscences d’incarcération féminine ? On trouve une aventure intéressante dans Fantômette et le secret du désert (1973), livre dans lequel non seulement Fantômette est attachée en plein désert, sur un roc, “les bras en croix”, par des “liens de cuir” par un chef de tribu arabe, mais aussi enfermée, un moment dans le harem (du même chef ou d’un autre). Dans le harem, elle est rhabillée entièrement, à la mode locale. La scène de ligotage présente une caractéristique intéressante. Fantômette y est une participante volontaire :

« Si tu refuses ce que je t’offre, je te fais attacher à ce pic et je t’abandonne là jusqu’à ce que tes os blanchissent au soleil. »
Fantômette médite un moment en sifflotant entre ses dents, puis elle se lève, sort du gourbi et va tranquillement s’adosser à l’aiguille de pierre.
p.71-72

Ligotage et jeux d’eau

Dans Fantômette et le palais sous la mer (1974), le thème du ligotage est encore associé à celui de la mer. Les trois héroïnes (en combinaison moulante de plongée) sont ligotées… par ceux-là même qui avaient déjà ligotées les mêmes personnages, dans le premier épisode de la série (1961). L’auteur, on le voit, a de la suite dans les idées.
Dans Pas de vacances pour Fantômette (1984), elle est enfermée dans une machine à laver industrielle (une sorte de cage en métal, mais vouée à être mise à l’eau) :

oui je viens d’imaginer un moyen simple et efficace. Nous allons la fourrer dans une des machines à laver et ouvrir le robinet d’eau. Quand la machine sera remplie, notre amie se noiera gentiment…
Pas de vacances pour Fantômette (1984)p.12

Dans Fantômette en plein mystère l’héroïne est non seulement ligotée, mais aussi jetée dans l’eau (et sauvée in extremis par Œil de Lynx).

*

Ligotage et humiliation

Que se passe-t-il une fois Fantômette ligotée ? Le plus souvent, les ligoteurs s’en vont. Mais, assez fréquemment quand même, ils cherchent à humilier Fantômette. En lui soufflant de la fumée de cigare sur le visage (Fantômette contre Charlemagne, 1974, p.102), car, dans les années 60 et 70, les méchants fûment pas mal, et même les gentils (la pipe, pour Œil de Lynx le journaliste).

Dans Fantômette contre Charlemagne (1974), une double scène de ligotage (un ligotage simple suivi d’un double ligotage sur une grille en fer) :

La jeune justicière est entraînée jusqu’au premier étage du cinéma, puis soigneusement ficelée à une chaise. Le Furet allume alors un cigare, souffle la fumée au nez de sa prisonnière et fait un petit discours. (…)
source : Fantômette contre Charlemagne (1974), p.102

On peut aussi humilier Fantômette en mangeant ou en dînant face à elle (un thème fréquent). En la menaçant enfin de supplices encore plus vicieux :

« Ah! Tu ne veux pas parler ? Parfait! on va te délier la langue. Ah! on veut jouer au plus fin avec moi… Eh bien, nous allons voir qui aura le dernier mot. Je vais un peu te chatouiller la plante des pieds avec la flamme de cette bougie, et il faudra bien que tu parles! »
source : Fantômette et la télévision (1966), p.159.

Dans Fantômette en danger (1983), le ligotage est associé au monde médical. Fantômette est attachée par des entraves en métal sur une table d’opération et trois médecins la menacent.

Et soudain elle sent ses bras s’immobiliser. On la soulève d’un coup, on la porte sur le fauteuil d’opérations. Des cercles de métal se referment sur ses poignets et sur ses chevilles. La capture n’a pas duré cinq secondes, preuve que les infirmiers ont l’habitude de ce genre de chose.

 

Est-ce dans les cordes de Fantômette ?

Fantômette ligotée, OK. Fantômette ligoteuse ? Oui, parfois. C’est avant tout quelqu’un qui apprécie un bon ligotage. Fantômette brise la glace (1976) s’ouvre par une scène dans laquelle Fantômette regarde une jeune fille se faire ligoter.

A la lecture, Fantômette ligote peu. Je ne retiendrai ici qu’un seul ligotage, parce qu’il est parfait. C’est le ligotage d’une femme (+1), dans une sorte de cage en métal (un avion, +1), en costume (+1). Il ne manque que le sous-sol…

Conclusions

Dans une interview donnée à Hervé Guibert dans L’Autre journal en 1986, Georges Chaulet déclarait que “dans la Bibliothèque rose on ne peut se permettre ni épouvante, ni sexualité, ni argot. C’est une convention tacite qu’on suit une fois pour toute”. Mais comme on le voit, la sexualité affleure, jamais explicite, dès lors qu’elle est évacuée.

Références

Ont été consultés les Fantômettes suivants
Les exploits de Fantomette, 1961
Fantômette contre le Hibou, 1962
Fantômette au carnaval, 1963
Fantômette contre Fantômette, 1964
Fantômette et l’île de la sorcière, 1964, 1984
Pas de vacances pour Fantômette, 1965, 1984
Fantômette et la télévision, 1966
Fantômette et le brigand, 1968 et 1974
Fantômette et son prince, 1968
Fantômette et la lampe merveilleuse, 1969
Fantômette et le trésor du Pharaon, 1970
Fantômette chez le roi, 1970, 1974
Fantômette à la mer de sable, 1971
Fantômette contre la Main Jaune, 1971
Fantômette et la maison hantée, 1971, 1983
Fantômette dans le piège, 1972
Fantômette viendra ce soir, 1972
Fantômette chez les corsaires, 1973
Fantômette et le secret du désert, 1973
Fantômette et le Masque d’Argent, 1973
Fantômette et la Dent du Diable, 1973
Fantômette contre Charlemagne, 1974
Fantômette et la grosse bête, 1974
Fantômette et le palais sous la mer, 1974
Olé Fantômette, 1975
Fantômette contre Diabola, 1975
Fantômette viendra ce soir
Fantômette brise la glace, 1976
Fantastique Fantômette, 1980
Fantômette en danger, 1983
Fantômette en plein mystère, 1984
Fantômette contre le géant, 1984

Fantômette héroïne sexuée

Fantômette finit-elle toujours ligotée, à un moment où à un autre de ses aventures ? C’est à dire, temporairement, privée de ce que les anglophones appellent l’agency, la capacité d’action. Ce serait à la fois étrange, mais attendu pour un personnage féminin né au tout début des années soixante, c’est à dire quand les jeunes filles pouvaient à la fois espérer des études bien plus longues que celles de leur mère, mais aussi une carrière, bref, un peu plus de pouvoir — mais aussi savoir, peut-être inconsciemment, que le monde social resterait dominé par les hommes… bref, se retrouver, à un moment, ligotée.

À en croire les illustrations disponibles sur internet, sur les sites Generation Fantomette ou Mille Pompons, il semble bien que oui, Fantômette se retrouvera ligotée. Il faudrait relire l’ensemble de la production de Georges Chaulet, ou lui demander (il est toujours vivant), pour faire l’inventaire précis des situations de ligotage.
Il faudrait aussi étudier la réception des romans. Des indices parsèment l’oeuvre, probablement laissés intentionnellement par l’auteur : la meilleure amie de Françoise (le nom civil de Fantômette) est “Ficelle” (c’est à dire une petite corde), on sait aussi que “Ficelle” voue une admiration sans bornes à Fantômette. N’ayant pas relu ces romans récemment, je ne sais pas si l’on y trouve des phrases pleines de sous-entendus, comme “Ficelle serra très fort Françoise…”, mais cela ne m’étonnerait pas. Cela indiquerait, de manière sub-liminale, ce qui finit par arriver : Fantômette ligotée.
Quelques recherches, rapides, sur internet, permettent de déceler des lectures proches.
Pascale Molinier (U. Paris 13), parle de Fantômette comme d’une perverse discrète dans son costume fétiche [source : Les Cahiers du genre, 2008, n°45, p.171]. L’on appréciera le “double entendre” sur “fétiche”.
On trouve aussi une mention de Fantômette à l’article “Bondage“, dans Wikipedia, qui cite un passage d’un ouvrage d’Anne Larue (U Paris13) :

« Le brigand des brigands s’appelle Le Furet : en face de Fantômette se dresse une autre bête de la nuit, qui passe son temps à la capturer. Délicieusement ligotée, kidnappée, menacée de mort par des méchants d’opérette. Elle triomphe toujours (…) »
Anne Larue, Le Masochisme ou comment ne pas devenir un suicidé de la société, éditions Talus d’approche ISBN 2-87246-091-8, p. 129.

Anne Larue a d’ailleurs mis en ligne, en PDF, Le Masochisme ou comment ne pas devenir un suicidé de la société :

on se tournera vers des ouvrages aussi classiques mais apparemment plus anodins, comme Le Club des Cinq ou Fantômette. Se pourrait-il que ces innocentes lectures activent les passions masochistes ?

Si ces lecture n’activent pas chez les enfants ces passions, elles semblent être reliées, chez certains adultes, à leurs passions contemporaines. Sur un forum pour adultes (NSFW), l’on peut lire ceci :

J’ai découvert le bondage ( je ne savais pas ce que c’était à l’époque) dans les livres de la bibliothèque rose et verte…
La lecture des passages ou l’héroïne (Alice ou Fantômette* par exemple) se faisait capturer provoquait un je ne sais quoi de fort agréable en moi. Et j’enrageais secrètement quand elles parvenaient a se libérer.
*Surtout Fantômette en fait, je crois même qu’elle est responsable en grande partie de certains de mes fétichismes… Il faudrait toujours se méfier de ce que l’on donne à lire à ses enfants…

Sur un blog — lui aussi pour adultes –, on trouve une petite digression sur la demoiselle au masque noir (NSFW) :

Fantômette, la jeune justicière de Framboisy… Teinte framboise alors ? Cramoisi évocateur…
Peut-être que s’il y en avait eu une version trash, ça aurait ressemblé à ça ! La Françoise de l’histoire, devenue adulte, change de bord, vire le bonnet à pompons, la cape et le collant mais garde le loup noir et devient SM…

La série des Fantômette ayant commencé à être publiée à partir de 1961, une période de contrôle important des publications pour la jeunesse, l’auteur a du essayer de jouer avec la censure. Peut-être même a-t-il, dans ses tiroirs, quelques scènes à l’époque impubliables. Il faudrait réussir à voir si les critiques, à l’époque, étaient réticentes au ligotage [une critique de 1963, dans Enfance, trouve juste les personnages trop monolithiques et pas assez nuancés].

Mise à jour du 16/12/2010 : Un autre indice, cette couverture :

Mise à jour du 18/12/2010 : Un billet et des commentaires intéressants chez Maïa Mazaurette et encore une couverture sur laquelle Fantômette est ligotée :

Mise à jour du 19/12/2010 : Poursuite des discussions sur le forum de Mille Pompons (un site de fans de Fantômette).

Action seins nus

J’ai reçu, sur une liste de diffusion, l’information suivante :

Les TumulTueuses à la piscine : le retour en force!
Quatre fois en 2008 et 2009, les militantes féministes les TumulTueuses sont allées se baigner torse nu dans des piscines de Paris. Malgré les nombreuses réactions de soutien de baigneuses et parfois de baigneurs, à deux reprises les directeurs ont fait venir la police… espérant sans doute nous ramener à plus de « décence ».
Preuve était faite que les femmes ne peuvent toujours pas s’habiller ou se déshabiller comme elles le veulent, que certaines parties de leurs corps, comme leur torse, sont mystérieusement considérées comme sexuelles (mais pas celui des hommes), bref que nos corps sont toujours sous contrôle – si besoin policier.
Toujours plus déterminées, nous seront de retour le 15 décembre dans une piscine de Paris pour faire appliquer, par de nouveaux moyens, l’égalité entre les hommes et les femmes.
Venez participer à l’action avec le maillot de vos rêves…

On trouve quelques précisions sur le site des Tumul-Tueuses.
Il y a deux ans, en 2008, j’avais relayé quelques débats que ces actions seins-nus avaient soulevés. Mais ce qui m’intéressait, principalement, c’était l’utilisation de la piscine comme espace de lutte politique.
Les TumulTueuses (qui doivent être une dizaine, en gros) participent de ces petits groupes féministes, comme La Barbe, qui font part de leurs revendications par d’autres canaux que la pétition ou la manifestation. Elles impliquent leur corps différemment, peut-être un peu à la manière des “zaps” de l’association Act-Up.
Récemment, la revue Multitudes a interviewé quelques Tumul-Tueuses :

Les gens qui nagent s’en foutent globalement, après quand ils voient la police qui débarque, ils sont quand même choqués qu’il y ait plus de flics que de TumulTueuses, alors ils demandent les tracts et, surtout les femmes, ils sont plutôt solidaires avec nous. Mais les actions piscine mettent les maîtres nageurs hommes ou femmes dans un état d’excitation incroyable, comme s’ils étaient soudain les garants d’une espèce d’ordre moral. « Il y a des enfants dans la piscine ! » « Vous ne ferez pas ça dans ma piscine ! » Ou bien on tombe sur des ultras beaufs sexistes : « Moi, ça ne me dérange pas que vous les montriez vos jolis seins, mais… » Je crois qu’en plus les maîtres nageurs ont l’habitude qu’on leur obéisse, ils sifflent et hop les gens sortent. Nous on s’en fiche.
[…]
je n’aime pas aller à la piscine, je ne le fais pas pour y gagner la liberté d’être seins nus. En fait, ce qu’on veut démontrer, c’est l’interdit sur le corps des femmes, le contrôle du corps des femmes.
[…]
d’une façon plus générale, la piscine, c’est un prétexte pour une action dans l’espace public sur l’inégalité de traitement social entre les corps. La revendication est immédiatement visible, elle peut immédiatement susciter la discussion, et attirer l’attention, notamment médiatique, ce qui est un enjeu fort pour l’efficacité d’une action publique et la diffusion du message politique.
source : entretien de cinq féministes avec Pascale Molinier. Multitudes, 2010-3, n°42

L’attraction pour les chiffres ronds

Dire « l’âge est une construction sociale » est parfois mal compris. « Mais non, on a tous un âge. »… s’il y a bien une donnée biologique qui échappe à la construction sociale, ce serait bien celle-là. Et pourtant, il est assez simple de montrer que, plus l’on s’éloigne de l’emprise de l’Etat, moins les gens ont un âge.
Au Maroc, dans les années soixante, voilà à quoi ressemblait la pyramide des âges :

[graphique extrait de Pison, Gilles. “Age déclaré et âge réel : une mesure des erreurs sur l’âge en l’absence d’état civil.” Population 34.3 (1979): 637-648.]
Une telle pyramide des âges montre que, personne ne connaissant précisément son âge, les agents recenseurs “arrondissent” autour des âges en “5” et en “0”. Il n’y a d’âge que parce qu’il y a un Etat : l’âge, en années, n’est pas une donnée qui fait sens en dehors de l’emprise de l’Etat.
Aujourd’hui, en France, le travail de liaison entre l’âge et la personne est suffisamment ancien pour que tout le monde (ou presque) ait un âge. Mais si l’on a appris à compter son âge, tout ne se compte pas aussi facilement.
Par exemple, à une question sur le nombre de partenaires sexuels, les enquêtés ont tendance à arrondir. Le graphique suivant s’intéresse à la distribution des “9 partenaires et plus”.

[graphique extrait de Bozon et Bajos, Enquête sur la sexualité des français.]
Il y a un pic à “10”, puis à “12” (une douzaine), à “15”, “20”, “30”, “40”… Entre ces pics, peu de réponses : les enquêtés aiment les chiffres ronds.

Faire semblant de travailler…

On apprenait récemment sur le blog de Pierre Dubois qu’un livre dont l’auteur est Ali Aït Abdelmalek, professeur de sociologie à l’université Rennes2, était pour partie constitué de citations sans guillemet d’un autre auteur (Edgar Morin). Mon collègue de Rennes 2 semble avoir oublié que l’usage des guillemets est de rigueur dans la citation de textes dont on n’est pas l’auteur. Il a mis en place sa propre stratégie de citations, en usant de périphrases comme “Selon les mots d’Edgar Morin”.
Je me suis permis, sur le blog de Dubois, de faire un peu d’ironie. Mais le commentaire du directeur de la collection dans laquelle l’ouvrage a paru m’a fait sursauter. Voici ce qu’il écrit [notez l’utilisation, pour la citation, d’un style particulier de la syntaxe HTML, le “blockquote”] :

Concernant le rôle d’un directeur de collection, je ne le conçois pas comme devant vérifier ligne par ligne si les guillemets ont été ou non mis.

Je souhaite ici faire part de mon expérience personnelle. J’ai récemment soumis un manuscrit pour une “grande” collection d’une “grande” maison d’édition… et je pense avoir compris, une fois le manuscrit revenu, une des raisons pour lesquelles cette collection est si renommée. Non seulement mon manuscrit a été relu ligne à ligne, mais une partie des articles que je cite, eux aussi, ont été relus par la personne ayant fait la lecture du manuscrit. Vous ne me croyez pas ? Regardez plutôt ce qui est arrivé à mon manuscrit : j’ai scanné un morceau de page. J’y cite un article de Héran. Manque de pot (ou de sérieux de ma part), Héran (qui n’est pas le relecteur de mon manuscrit) dit aussi autre chose, à la même page que je cite… ce qu’a vu le relecteur, qui m’écrit : « Héran dit pourtant (avec raison) “C’est davantage l’affaire […]” (même page) ».

Le relecteur me demande même de corriger certains guillemets. J’avais, dans une citation, utilisé des guillemets “à la française” [«.»], et non pas des guillemets “à l’anglaise” [“.”]. Et c’est comme ça, page après page : la moindre incohérence (rhétorique, argumentative ou même graphique) a été traquée, pointée, entourée, griffonnée, référencée…
Et je sais par ailleurs que le relecteur est l’un des directeurs de la collection.
Revenons maintenant au cas de départ : quand le directeur de collection considère que sa tâche n’est pas de “relire ligne à ligne”… il encourage ses auteurs à ne pas vraiment écrire ce qu’ils écrivent. Et le livre ne sera pas lu (si tout le monde sait que la collection n’est pas vraiment dirigée et que ce qui s’y publie n’a pas fait l’objet d’une évaluation). Cela s’appelle faire semblant de travailler.

Sociologie statistique de la religion

Après avoir, depuis deux ans et demi, recueilli quelques 150 affiches différentes présentant des “Grandes croisades” évangéliques organisées par des pasteurs noirs, en région parisienne, me voici avec une base de données amusante à manipuler.
Les personnes photographiées ou mentionnées sur les affiches revendiquent des titres (“pasteur”, “bishop”, “maman”…). Ces titres sont associés à des caractéristiques qui ne sont pas aléatoirement distribuées : les femmes, par exemple, sont plus souvent “invisibles” (mentionnées mais pas photographiées). Certains titres sont associés de manière intense avec “tenir une bible dans la main” ou avec “tenir un micro”.
J’ai en tête que ces représentations peuvent, indirectement, être liées à une hiérarchisation interne du monde des “églises africaines”.
Une petite “analyse par clusters” donne ceci :

Apparemment, les détenteurs (et détentrices) d’un titre indiquant une position cléricale (de “évangéliste” à “pasteur”) sont relativement proches entre eux. Un groupe féminin et laïque (maman… servante) se différencie du premier. J’avais cru voir, sur les affiches, les “mamans” en position dominante (mais il s’avère qu’elles sont moins souvent visibles, qu’elles n’ont ni bible, ni micro)…

Et une analyse en composante principale donnerait ceci :

J’ai bien envie de conclure que ces affiches permettent assez bien de comprendre certains des principes de hiérarchisation d’un monde, celui des églises évangéliques et pentecôtistes dirigées par des pasteurs noirs, qui se présente avant tout comme un monde de petits entrepreneurs religieux individuels.

Des sociologies

Nuit (sociologie de la) :

  • Le temps implicite dans lequel se déroule la sociologie, c’est le jour. Quand la nuit est abordée, c’est en tant qu’objet spécifique. L’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) vient de publier une étude sur la nuit à Paris. Avec de nombreuses cartes. De quoi comprendre que la nuit, tous les chats ne sont pas gris.

Où étudier ? :

  • La T.U Chemnitz recommande Harvard et Paris 8 :

    (Entre nous, là, entre nous, parce que personne n’écoute : c’est la preuve non seulement que, “on the internet, nobody knows you’re a dog”, mais aussi que WordPress est vraiment apprécié par les moteurs de recherche — il est “S.E.O. friendly” — et enfin qu’un site de département “vivant” peut multiplier la surface réputationnelle).

Naturalisation de l’arbitraire :

  • Et si les hommes avaient leur règles : « Les soldats, les politiciens conservateurs et les fondamentalistes religieux citeraient les menstruations (et dans menstruation il y a “men”) comme preuve que seuls les hommes peuvent s’engager dans l’armée (“tu dois donner du sang pour prendre celui des autres”), »

Et quelques liens dans le désordre le plus artistique :

Et je terminerai par une photo : par une sorte de coïncidence, j’ai reçu le même jour les preuves de deux publications auxquelles j’ai participé.

Un ouvrage collectif, paru chez Beauchesne, étudie la figure de David et Jonathan [lien amazon]. J’ai écrit, avec Céline Béraud, un chapitre sur les usages qu’en ont fait les associations homosexuelles aux Etats-Unis et en France. Dans le Dictionnaire des faits religieux [lien amzn], j’ai écrit une notice un peu marginale (par rapport à celles de Céline, qui étaient, elle s’en souvient, Prêtre, Clergé(s) et Vocation religieuse).

Aller au CNU ?

La section 19 du CNU examine les dossiers des docteurs demandant leur “qualification” aux fonctions de maître de conférences en sociologie et démographie (la “qualification” est cette chose nécessaire pour pouvoir ensuite candidater sur les postes ouverts au recrutement). Le CNU gère aussi une partie des avancements de carrière des enseignants-chercheurs, notamment leur passage en “classe exceptionnelle”.
Il y a deux ans maintenant, un scandale a secoué la 19e section : des membres de cette section s’étaient “auto-promus”, s’accordant réciproquement la “classe exceptionnelle”. Les deux tiers du CNU avaient ensuite démissionné, protestant contre cette pratique. Les restants (ceux qui s’étaient autopromus et leurs affiliés) avaient ensuite coopté certains collègues pour former une nouvelle section. Je passe sur les détails les plus affligeants, l’on en trouve des traces sur la liste de diffusion de l’ASES.
L’année prochaine, des élections auront lieu pour renouveler le CNU. Il ne s’agit pas seulement de faire sortir celles et ceux qui se sont compromis dans des pratiques déontologiquement douteuses, d’empêcher que ces personnes soient candidates, ni d’empêcher qu’elles soient élues si elles formaient une liste. Si je me portais candidat (ou si, au Ministère, “on” décidait de me nommer membre du CNU) — je réfléchis encore — ce ne serait pas (que) dans ce but (mais plutôt comme une manière de poursuivre, par d’autres moyens, ce que j’avais commencé avec le “wiki-auditions”).
La chose est assez grave : le CNU, depuis la dernière réforme universitaire, a reçu de nouveaux pouvoirs. Les sections vont notamment évaluer les dossiers individuels des collègues en poste, en plus de gérer l’avancement “exceptionnel” et la qualification des docteurs.
C’est en prévision de ces responsabilités accrues qu’un décret et un arrêté sur les indemnités des membres du CNU a été publié en juillet dernier.

Prière de ne pas citer

L’on peut trouver, dans les communications envoyées en avance d’un colloque ou d’une journée d’étude, parfois l’avertissement suivant : « Ne pas citer sans l’accord préalable de l’auteur » ou des variations sur le thème de la publication interdite, de la republication interdite, de la diffusion interdite, sans l’accord de l’auteur.
Chose amusante, une floppée de ces textes à ne pas citer se trouvent diffusés tels quels : exemples google 1 et google 2.
La richesse de la langue anglaise, qui différencie la “quotation” de la “citation“, est mal rendue en français dans le “ne pas citer”, qui voudrait interdire toute citation longue d’un extrait, mais aussi même toute référence au papier (alors même qu’il existe, sous la forme d’une littérature grise s.d.).
Je ne me souviens pas avoir jamais demandé à un auteur si j’avais la permission de citer un de ces textes restreints. C’est un peu comme ces “licences” que l’on doit accepter pour avoir accès à tel ou tel logiciel (iTunes ou Word), et qu’on ne lit jamais totalement.
Bref, plus j’y réfléchis, moins je comprends l’intérêt de l’usage. J’éviterai d’y avoir recours à l’avenir. Et ça fera peut-être augmenter mon indice-h.