Réseaux musicaux
Les outils de la sociologie des réseaux permettent bien de visualiser, entre autres, les pratiques de citations. On voit apparaître des acteurs centraux, des personnes très citées, des personnes citant beaucoup. J’ai essayé, rapidement, de voir si les citations dans “L’Enquête sur l’évolution littéraire” de Jules Huret (1891) permettait d’objectiver une partie du monde littéraire de l’époque… Mais j’ai travaillé trop rapidement [avec le logiciel R]. Cela ne donne rien de bien joli :
Même une sélection d’un sous-réseau, suivant certains critères, ne donne pas d’image suffisamment synthétique pour être immédiatement explicative.
Si, donc, un-e étudiant-e s’intéressant à la socio-histoire de la culture, au monde littéraire de la fin du XIXe siècle… voulait faire un mémoire de master… je l’accueillerai avec plaisir ! et l’encadrerai (sans grande compétence) avec joie.
Car la sociologie des réseaux appliquée aux disciplines inspirées donne des choses intéressantes :
Deux articles récents se penchent sur la place des réseaux dans la constitution d’un “monde social” ou d’une “scène musicale”.
Karim Hammou s’intéresse aux invitations dans les chansons de rap, le featuring, dans un article intitulé “Des raps en français au « rap français ». Une analyse structurale de l’émergence d’un monde social professionnel” (Histoire et mesure, 2009, vol.24, n°1).
L’article m’a intéressé pour trois raisons :
Je n’ai pas lu énormément de sociologie des réseaux, mais j’ai apprécié la multiplicité des illustrations : quoi qu’en disent certains des auteurs que j’ai lus, les sociogrammes sont très utiles pour la démonstration. Visualiser des acteurs centraux et d’autres plus marginaux se fait plus facilement avec un petit dessin, surtout quand ce qui importe n’est pas l’établissement de théorèmes d’analyse structurale, mais l’usage des outils de la sociologie des réseaux pour la compréhension des données.
J’ai aussi apprécié l’aspect diachronique : les liens ne sont pas pérennes et s’élaborent dans le temps. L’article de K. Hammou montre que les liens se font et se défont, que des acteurs qui apparaissent centraux à un moment (comme MCSolaar) prennent de la distance ensuite.
Et, dernier point apprécié aussi, l’étude porte sur le rap (et pas sur la musique classique, le jazz ou un autre style plus légitime).
Un autre article, écrit par un sociologue britannique, Nick Crossley, a pour titre “The man whose web expanded: Network dynamics in Manchester’s post/punk music scene 1976–1980” (Poetics, Volume 37, Issue 1, Pages 24-49). La problématique est très proche de celle de K. Hammou, mais il me semble que ses sources, ses données, son matériau empirique… est moins solide (Crossley s’appuie sur des sources secondaires, des sites de fans, des biographies…).
It is widely acknowledged that the Manchester scene took off in the late 70s, and it is my contention that this ‘take off ’ consisted in the formation of a network between a ‘critical mass’ of key actors who, collectively, began to make things happen in the city.
Dans un article que je n’ai pas pu lire [Pretty connected: the social network of the early UK Punk Movement, Theory, Culture and Society 25 (6) (2008), pp. 89–116.] Crossley semble faire la même chose avec la scène punk londonienne.
[yarpp]
10 commentaires
Un commentaire par Arnaud (11/01/2010 à 20:48)
Hum, du coup j’imagine qu’on peut se servir de ce programme pour représenter graphiquement des entretiens: en entretien, l’informateur/rice renvoie plus ou moins implicitement à des normes sociales qu’elle pense attendues. On peut imaginer une représentation graphique de ces références. L’intérêt n’est pas d’analyser des données chiffrables, plutôt des “tendances” (qui peuvent aider à expliciter les dimensions récurrentes dans les discours).
Enfin, je me trouve pas très clair là…
Un commentaire par Baptiste Coulmont (11/01/2010 à 21:15)
> Arnaud : je pense que des solutions comme Alceste (pour l’analyse de contenu) seraient préférables. Pas de représentation graphique, certes…
En revanche, si vous travaillez sur un groupe plus ou moins large de personnes qui se connaissent et que vos enquêtées, en entretien, font référence à d’autres enquêtées et vous disent, par exemple, de contacter unetelle ou telle autre… cela ferait un beau réseau à la fin.
Un commentaire par Arnaud (12/01/2010 à 18:07)
Oui, je connais Alceste. Ca ne correspond pas réellement à ce que je recherche (et je n’ai pas un corpus suffisamment conséquent non plus). J’ai envie quand même d’essayer R, au pire ça me servira d’apprentissage.
Un commentaire par Tweets that mention Baptiste Coulmont » Réseaux musicaux -- Topsy.com (13/01/2010 à 9:08)
[…] This post was mentioned on Twitter by Franpi Barriaux and coulmont, Laurette. Laurette said: Réseaux musicaux et constitution d'une scène musicale d'après Baptiste Coulmont : http://coulmont.com/blog/2010/01/11/reseaux-musicaux/ […]
Un commentaire par Régis (16/01/2010 à 20:44)
Commentaire de béotien: je suis stupéfait que dès la fin du 19ème siècle on ait été sensible, dans le domaine des arts, à la réalité d’une organisation en réseau. La notion d’école (pour les arts, comme pour les sciences dures ou molles) prédominait. Et derrière l’école, un concept hérité de la filiation. Untel, élève de X. Ca bougeait dans la peinture, et encore… Dans la musique, les Russes ont constitué des réseaux d’artistes nationaux (le groupe des Cinq) dans la mesure où ils partaient d’un quasi néant. Les Français étaient dans l’ensemble tous de la “bande à César Franck”; en Allemagne le romantisme tardif évoluait entre deux filières (je tiens à ce terme): les pro-Wagner et les pro-Brahms.
Le romantisme, même dans son expression la plus révolutionnaire, a voulu garder ses références. Berlioz, un de ses plus virulents émules, n’a pas craint de dire qu’il avait pris la symphonie dans l’état où Beethoven l’avait laissée.
Le réseau, c’est un peu la négation de la filiation et de la transmission pyramidale du savoir. Qui se met en réseau, d’une certaine façon, tue le père. Les mathématiciens, avec leur nombre d’Erdös, ont l’art de structurer leurs relations en faisant abstraction de la reconnaissance que chacun doit à qui lui a transmis la connaissance. Mais peut-être ne s’agit-il que d’une illusion…
Cette réflexion m’est venue lors de la découverte, il y a un an, d’un réseau de chercheurs en biologie et médecine, je ne sais par quel hasard (je pense que j’ai dû envoyer une publi et que le site en question, à ce moment-là, m’a rattaché). Mon nom apparaissait dans une jungle de billes rouges et de connexions. A la lecture de ce diagramme, impossible de savoir qui m’a formé… et je me trouve acoquiné avec des collègues avec qui j’ai des relations distantes (je dis cela parce que je ne suis pas un conflictuel). Quelle drôle d’image!
Pardon pour cette digression.
Un commentaire par Régis (17/01/2010 à 5:36)
Impossible de savoir qui m’a formé… (je suis oncologue radiothérapeute, médecin issu d’une discipline scientifique jeune) et malgré ce schéma, impossible de savoir ce qui me reliait avec madame Curie… Manquait un chaînon oublié par les moteurs de recherche. D’où un travail de romain, pour savoir qui était mon arrière -grand-père dans la discipline (mon “père étant le professuer JP GERARD, mon grand-père le professeur Jean PAPILLON) Eh bien, mo AGP est le professeur Paul PONTHUS, qui a abandonné la chaire de radiologie de LYON pour s’installler à BEYROUTH et a très peu publié avec son disciple (et les moteurs de recherche sont inopérants ans la période 1940-50) et , auparavant, le docteur Thomas NOGIER, agrégé de radiologie (il n’a jamais obtenu le titre de professeur) et de physique médicale, qui avait passé sa thèse en 1901 sur “la lumière et la vie” et collaboré, discrètement, vrai physicien médical, aux découvertes de Cladius REGAUD, père de la radiobiologie, et associé de Marie CURIE dans la plupart de ses travaux.
Chacun n’est pas sensible à l’archéologie de son savoir, sauf que de tps en tps, nos devons nous interroger sur l’origine de notre savoir. Ne serait-ce que par devoir de mémoire pour ds maîtres oubliés ou, au contraire, pour dénoncer des acquis arrachés au forceps et de validité scabreuse.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (17/01/2010 à 9:30)
> Régis : les mathématiciens ont créé une base de donnée “généalogique” : en tapant le nom d’un mathématicien, vous pouvez savoir combien il a eu d’enfants (i.e. de doctorants) et qui étaient ses parents (i.e. sa direction de thèse). http://genealogy.math.ndsu.nodak.edu/
Pour ce qui est des écoles littéraires : le livre “Enquête sur l’évolution littéraire” classe les auteurs par école, mais leurs citations, dans l’ouvrage, révèle une autre structuration.
Un commentaire par Régis (17/01/2010 à 11:16)
Merci de ces précisions, Baptiste. Je ne suis pas sociologue et ai vraiment des lacunes dans ce domaine. J’ai pourtant fait des efforts: il y a une qinzaine d’années j’ai passé, après une maîtrise de statistiqes et d’épidémiologie, un DEA d’économie et de sociologie de la santé dont je n’ai pas tiré grand chose, à art que si on voulait être in, il fallait coller du “réseau” au moins une igne sur 2. C’était plutôt une DEA de politique et de langue de bois….
Un commentaire par Claire Lemercier (17/03/2010 à 21:53)
En réponse à Arnaud et Baptiste plus haut, en fait rien n’oblige à ne faire de graphes que sur des réseaux entre personnes… au contraire les réseaux de mots/”contenus”, ou incluant à la fois des contenus et des personnes, sont un peu la nouvelle frontière des réseauistes ces temps-ci (m’a-t-il semblé lors d’une récente conférence). Bien sûr, c’est facile de faire n’importe quoi sur le sujet. Mais dans une correspondance/un journal/des mémoires, envisager “de quoi on parle en connexion avec qui” (ou vice versa) peut être intéressant…
Merci pour ce billet en tout cas !
Un commentaire par Le rap en réseaux | Sur un son rap (09/04/2010 à 16:14)
[…] sociaux ou de scènes musicale a également été examinée à propos du punk anglais (merci à B. Coulmont d’avoir attiré mon attention sur cet article), du jazz7 ou du rap américain8. Claire […]