Le deuxième prénom
Comme devoir de fin de semestre, les étudiantes qui suivent un de mes cours doivent réaliser un entretien enregistré, et retranscrit, portant sur le choix des prénoms. Je suis en train de corriger ces travaux et je suis attentif aux choix des deuxièmes prénoms.
Il y a peu d’études à leur sujet. Je ne connais que celle de Bernard Vernier dans Le visage et le nom, contribution à l’étude des systèmes de parenté (Paris, PUF, coll. « Ethnologies controverses », 1999 pp.112-113), dans laquelle il remarque que ces seconds prénoms mènent une “existence clandestine”.
On peut se rendre compte, individuellement, de la clandestinité de leur existence en cherchant à dresser l’arbre généalogique de sa famille. Si l’on connaît assez bien les deuxièmes, troisièmes, voire quatrièmes prénoms de ses frères et soeurs, de ses parents, on connaît plus difficilement ceux de ses cousins ou de ses grands-parents. Les deuxièmes prénoms ne “structurent pas la parenté”, mais ils peuvent servir d’indicateur d’un espace familial restreint, un peu plus large que la famille “nucléaire”, beaucoup moins large que l’ensemble des personnes avec qui l’on entretien un lien de parenté.
Ce qui intéressait Vernier, en bon anthropologue, c’était la transmission assez fréquente du prénom d’un membre de la famille comme deuxième prénom donné à un nouveau membre de la famille. Prénom d’un grand-père, prénom d’un parrain (qui serait aussi un oncle ou un cousin…) : ce qui, au XIXe siècle, aurait été donné comme premier prénom se retrouve derrière l’identité individuelle assurée par le premier prénom.
Mais à la lecture des entretiens, d’autres pratiques apparaissent, qui ne pouvaient intéresser Vernier. Ce dernier écrivait, en gros : “Anthropologues, abandonnez l’études du premier prénom aux sociologues, leur choix n’est géré que par la mode, le goût et des luttes de classes sociales. Etudiez plutôt les seconds prénoms, qui conservent, dans les sociétés individualistes, certaines des logiques de la parenté.”
Mais d’autres pratiques apparaissent à la lecture des entretiens. Le deuxième prénom se retrouve comme dépositaire de “la liste” dressée par les parents pour trouver un prénom. Ce deuxième prénom c’est celui qu’on aimait un peu moins, disent certains enquêtés. Ou alors il est le dépositaire du choix d’un frère ou d’un cousin : un aîné a choisi un prénom, mais, comme le collier de nouilles fabriqué en maternelle, il est un peu caché et n’est porté qu’à certaines occasions.
Certains parents donnent à leurs enfants une série de prénoms alors que personne, dans leur famille, n’en avait donné aux générations précédentes. C’est ce que choisissent, parfois, les enfants d’immigrés du Maghreb pour leurs propres enfants. Pas seulement pour combiner un prénom vu comme non discriminant (prononçable en français et “pour le CV”) et un prénom arabe. C’est parfois pour donner en seconde position un prénom apprécié par une grand-mère ou un grand-père. Sans pouvoir creuser, il me semble que c’est aussi lié à une nationalisation récente des prénoms (comme le montre l’exemple marocain ci-dessous) :
L’état-civil marocain est lié — dans quelle mesure ? — à un prénom marocain, mais l’existence de nombreux MRE (“marocain-e-s résidant à l’étranger”) peut poser problème. Deux prénoms peuvent, peut-être, réduire ces problèmes : un prénom marocain pour le Maroc et ses exigences nationales, un prénom francophone pour la France et ses discriminations…
Tout ça reste à creuser…
23 commentaires
Un commentaire par sasa (18/01/2010 à 11:38)
Ca me fout un peu les jetons de correspondre tant aux normes sociologiques attendues.
Le prénom de mon fils est le fruit d’un (difficile) compromis entre son père et moi. Gaspard. Que je trouvais très original / rigolo (et correspondait à un acteur que j’aime beaucoup, Ulliel). Mais qui s’avère un des prénoms les plus donnés en 2007 (un mystère que je ne m’explique pas).
Le second est le prénom que voulait vraiment mon mari, mais qui ressemblait trop à mon goût au prénom de son propre père, mais en espagnol (Pablo / son père s’appelle Paul, est immigré espagnol de la guerre de 36).
Du coup, son 3ème prénom est le prénom de mon propre père, légèrement modifiié aussi pour suivre la logique du 2ème prénom (Léo, alors que mon père s’appelle ***.
Petite remarque connexe, issue d’une mère kabyle algérienne, j’ai renoncé à donner à mon enfant un prénom d’origine kabyle (alors que certains sont très jolis, et bien moins communs que celui qu’on a choisi), sur les recommandations de celle ci, qui regrette d’avoir donné à ses enfants des prénoms trop “stigmatisants” socialement (je m’appelle S***, prénom très courant au Maghreb, mes frères et soeurs M*** et M***).
Un commentaire par Baptiste Coulmont (18/01/2010 à 14:46)
>sasa : intéressant ! [j’ai un peu anonymisé votre commentaire]
Un commentaire par Mezgarne (18/01/2010 à 16:18)
En ce qui concerne le prénom “marocain” la situation est assez complexe. Le texte que vous avez trouvé, qui date de 1996, et qui est connu comme la “liste des prénoms autorisés” avait été dressée en son temps par Driss Basri, ministre de l’intérieur de Hassan II. Abolie en 2002, elle est toujours appliquée par un certain nombre de consulats, ainsi que par certaines administrations au Maroc, tout dépend de l’endroit où on habite.
Pour faire court, la liste indiquait les seuls prénoms qui pouvaient être donnés à des enfants, et ces prénoms étaient tous arabes. C’était d’abord une action contre les populations berbères, car à l’époque on était en pleine arabisation. Ce n’est qu’indirectement qu’elle a frappé les enfants de couples mixtes ou de couples émigrés, en leur interdisant aussi les prénoms français.
Il faut savoir que le prénom multiple n’est pas culturellement répandu au Maroc, (en revanche le surnom est très présent). Le prénom est encore fortement marqué par le système de parenté, le nom du premier né est souvent donné par les grands parents, et c’est un honneur que quelqu’un de votre famille “donne un nom” à votre enfant.
Les immigrés marocains se retrouvent donc confronté à un choix difficile. Car pour inscrire un enfant sur l’état civil marocain il doit avoir uniquement des prénoms marocains arabes. Sans cette inscription, pas de nationalité, et sans la nationalité, nombreuses difficultés, notamment dans la transmission d’un éventuel patrimoine immobilier.
Le “double prénom” n’est donc double que vis à vis de la France, il est unique vis à vis du Maroc.
Dans la pratique, je connais beaucoup de familles qui essaient de donner des doublons, comme par exemple Daoud / David, ou Youssef / Joseph. Mais le prénom français est aussi l’occasion pour les berbères émigrés d’échapper à la liste Basri, et il n’est pas toujours choisi parce qu’il facilite l’intégration… mais simplement parce qu’il n’est pas arabe.
Désolée de ce long commentaire sur un point de détail de votre article. J’aime beaucoup votre blog, que je lis régulièrement
Un commentaire par Tweets that mention Baptiste Coulmont » Le deuxième prénom -- Topsy.com (18/01/2010 à 18:15)
[…] This post was mentioned on Twitter by GolumModerne, coulmont. coulmont said: Deuxième prénom : à quoi ça sert ? http://coulmont.com/blog/2010/01/18/le-deuxieme-prenom/ […]
Un commentaire par Sébastien (18/01/2010 à 20:52)
Je m’appelle Sébastien, à cause de Belle et Sébastien,je n’en doute pas. Ce qui est plus curieux, c’est mon second prénom : David. J’ai fait mon arbre généalogique et au moins depuis la révolution,ma famille est … picarde. Je téléphone à maman tout de suite !
Un commentaire par Baptiste Coulmont (18/01/2010 à 22:13)
>Sébastien : je veux bien connaître la réponse de votre mère.
Un commentaire par Régis (19/01/2010 à 2:24)
Mon pauvre Baptiste! vous devriez redescendre de vos sphères brillantes et chryséléphantines! les premiers et seconds prénoms ont été donnés à la va-vite aux services municipaux, où le fonctionnaire, parfois dur d’oreille, inscrivait dans ke parchemin républicain un prénom fort éloigné de celui prévu par les parents. Mon arrière grand père paternel, sous le coup de l’émotion, bredouilla “Toinette” pour sa fille alors qu’il pensait 3Antoinette3; et Toinette resta jusqu’à la fin de ses jours à mon AGM (sur la stelle du caveau familial, elle apparaît comme telle)
Mystère plus curieux: ma grand-mère maternelle sortit de la mairie comme Fernande alors que tout le monde l’a tjs appelée Madeleine. Pas d’explication. out le monde l’appelait Madeleine; quand elle mourut, il fallut déclarer 3Fernande”, mais dans la nécrologie et l’inscription je fis placer les deux prénoms.
Ma maman, une très gentille vieille dame, se fait appeler Nanou (ou Marcy) mais en vérité c’estr Marcelle Louise Francine (de son père et de ses tantes)
Et toi, cher Baptiste, devinerais-tu mon second et mon troisième prénoms ( qui sont séparés; si le 2 et le 3 étaient juxtaposés, ce serait connoté)
Un commentaire par Minium (19/01/2010 à 3:07)
Il me semble qu’il y a une raison qui n’est pas évoquée : le cas où le premier prénom choisi déplairait fortement à l’enfant, ou serait difficile à porter pour une raison ou pour une autre. Dans ce cas, un 2e prénom passe-partout qu’il a je crois le droit de choisir comme nom d’usage peut lui éviter des moments désagréables.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (19/01/2010 à 8:05)
>Minium : je n’ai pas trouvé cette raison dans les entretiens. Mais ça doit être possible…
>Mezgarne : Merci beaucoup ! Ne connaissant pas le Maroc, j’avais oublié l’existence de berbères marocains…
Un commentaire par Sergio (19/01/2010 à 11:34)
Je n’ai qu’un prénom (Serge), suis-je normal ?
De fait, mes parents (à ce qu’ils m’ont raconté) ont choisi ce prénom (et pas de deuxième) en 1954 :
– Traduisible en italien (mon père était italien)
– Ne vexer personne dans la famille, en n’utilisant aucun des prénoms de la famille
Un commentaire par Lulu (19/01/2010 à 14:11)
Je suis mariée à un Africain et nous avons donné à nos 3 enfants un prénom occidental en premier, puis un prénom dans la langue traditionnelle du pays d’origine de mon mari en second, ceci alors que dans sa famille (catholique) les enfants ont des prénoms occidentaux. Je trouvais important que mes enfants aient dans leurs prénoms une trace de leur culture paternelle. Ceci dit, je n’aurais pas donné ces prénoms en premier, d’abord parce que nous vivons en France et malheureusement, les prénoms étrangers sont toujours interprétés, même si vous être français, ensuite parce que comme je vous le disais, même “au pays” comme dirait mon mari, ces prénoms ne sont plus donnés.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (19/01/2010 à 15:38)
> Serge : vous êtes on ne peut plus normal (tout le monde n’a pas de second prénom, loin de là)
> Lulu : merci du témoignage !
Un commentaire par Nat des bois (19/01/2010 à 20:40)
Bonjour,
Pour ma part je n’ai qu’un prénom (mes parents sont très laïcs et c’est la raison qu’ils ont invoquée) mon fils aussi, parce que on ne voyait pas l’utilité d’un deuxième prénom.
Ma soeur a donné des deuxième prénoms a ses enfants au cas où ils n’aiment pas le premier…
Ma belle-soeur n’a jamais porté son prénom, les parents ayant changé d’avis après sa déclaration, du coup, elle me dit que c’est un peu schyzophrénique (hum l’orthographe) car ses papiers et autre carnets de chèques sont à son “vrai” prénom !
Ma belle-mère n’a jamais porté son prénom et porte le deuxième et encore il a été arrangé, de Monica il est passé à Mona.
J’attends un enfant, et donc forcément je réfléchis au prénom et comme le papa a des origines très variées (colombienne, suédoise) je réfléchis à un deuxième prénom pour laisser les origines s’exprimer.
Voilà ma petite contribution.
Nat des bois
Un commentaire par Régis (19/01/2010 à 23:34)
Mes seconnd et trosième prénoms (on ne comprend plus rien car parfois ins sont unis d’un trait d’union, des fois pas: Régis (tout a bien) Jean(-)Marie autant j’assume RJ<m autant j'éxècre R_JM pour des reaisons politiQques évidentes:: socio-libéral conservateur je vômis chaque fois que l'hoomme au baandana puis à la prothèse, ou madame sa fifille se trémoussent devant les caméras à raconter des inepties parfaitment salopes.
Si je devais recevoir de nouveaux prénoms je choisirais bien sûr Régis ( saint qui a évangélisé le Velay et le Vivarais, et restitué au Puy-en-Velay sa tradition de broderie fine)) par conformisme Stépahane que 12% des mecs de ma clase s'âge ont porté, aussi, pour troisième prénom, irais-je chercher où dans la trivialité ou dans la rareté: Tancrède ou Beaudoin… mais pas Kevin ou Enz
Un commentaire par Arnaud (20/01/2010 à 10:20)
D’origines hispaniques, il fallait que mon premier prénom soit prononçable par la famille et notamment ma grand mère. Mon second prénom est celui que mes parents auraient aimé me donner (et notamment ma mère qui aimait particulièrement celui ci). Il semble que la voix de mon père se soit imposée in fine dans le choix de mes deux premiers prénoms. J’ai hérité en troisième prénom de celui de mon père -très hispanisant.
On m’a raconté (et j’ai pu l’observer aussi) que je portais un certain nombre d’enjeux dans la famille entre autres par rapport à ma mère (dont la présence a mis du temps à être acceptée : l’un et l’autre de mes parents s’étaient mariés une première fois et avaient eus des enfants de ce premier mariage). Je me demande si le fait que mon prénom (prononçable dans l’une et l’autre langue), choisi par mon père (et réaffirmé avec mon troisième prénom) ne confirmait pas la présence de ma mère dans la famille. Mon frère du côté de mon père porte aussi un prénom prononçable en espagnol, mais il ne porte pas d’autres prénoms.
Un commentaire par Denys (20/01/2010 à 20:39)
Et n’oublions pas le Marie, deuxième prénom non usuel (et sans tiret) des individus de sexe mâle dans les familles gouvernées par le catholicisme le plus traditionnel. Ce qui, bien sûr, n’a aucun rapport avec quelque notion de statut social que ce soit.
(Au fait, j’ai migré sociomotards sous WordPress. Chouette, non ?)
Un commentaire par Baptiste Coulmont (20/01/2010 à 20:42)
Parfois même comme premier prénom, Marie : comme le Lieutenant Général Marie Pierre Koenig…
(Il était temps d’utiliser wordpress… dotclear, quand même, c’était pas sérieux !)
Un commentaire par Régis (22/01/2010 à 0:35)
Baptiste, ne vous en souvient-il pas des deux ménechmes d’Une Ténébreuse Affaire de Balzac? Marie-Paul et Paul-Marie. C’est un formidable polar. Le Député d’Arcis, inachevé, devait en être la suite.
Ayez la gentillesse de me dire si je peux éviter de vous voussoyer; sur internet, c’est difficile, mais à toi de faire la démarche.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (23/01/2010 à 11:25)
> Régis : le vouvoiement ou le tutoiement est laissé aux désirs des commentateurs. Je n’ai pas de politique à ce sujet.
Un commentaire par Louise (25/07/2010 à 23:25)
Bonsoir,
Après avoir lu de nombreux articles je me permet de répondre a celui la…
Je porte le prénom de ma grand mère, qui se retrouve dans le prénom de mon père. Quant a mon second prénom c’est celui de ma mère ( ma sœur ayant celui de mon autre grand mère). Il semblerai que dans ma famille de vieille traditions persistent…
Un commentaire par Baptiste Coulmont (26/07/2010 à 10:21)
>Louise : Tradition du XXe siècle, oui. Au XIXe et avant, c’est le premier prénom qui se trouvait être, souvent, celui des aïeuls.
Un commentaire par Poélise (02/09/2010 à 23:53)
Voila justement l’article sur les 2d prénoms ! je ne l’avais pas vu avant…
Un sujet à creuser c’est sûr !
Personnellement je porte au quotidien mon 2e prénom (par choix de mes parents… un peu long à expliquer ici le pourquoi du comment…)
Un commentaire par Médard (24/03/2011 à 22:12)
Moi, c’est Dominique-Marie et un 3e prénom, celui d’un grand-père ou d’un oncle ? (pas sûr pour le trait d’union)
Mon fils n’a qu’un seul prénom…