De Yves à Valérie
Un article du Monde a soulevé mon intérêt. Il y est fait mention du changement de sexe d’un chef d’entreprise devenue cheffe d’entreprise. L’article se termine ainsi :
en attendant son changement d’état civil, elle a voulu, dans un premier temps, que son nouveau prénom puisse chasser l’ancien de ses papiers d’identité. Fin janvier, le tribunal de grande instance de Grenoble a donné droit à ce souhait.
C’est que le prénom est, en France comme dans la quasi-totalité des cultures connues, marqueur du genre.
Mais on sait que ce n’est pas qu’un marqueur du genre. Le prénom marque aussi bien l’appartenance à une classe d’âge. 1947 est l’année où “Yves” est le plus donné [la “Yves” de l’article est née à la fin des années cinquante, à un moment où le prénom était encore populaire, mais en déclin depuis une dizaine d’années].
En changeant de prénom, Yves n’a donc pas fait que manifester un changement de sexe : elle s’est rajeunie d’une vingtaine d’années. Valérie est un prénom “typique” des années 60-70, 1969 étant l’année où il est le plus donné.
Il est peu probable que ce rajeunissement ait été aussi conscient que le changement de sexe. Mais il est intéressant de voir que ce n’est pas un prénom typique des années quarante qui a été choisi (comme “Martine”, “Monique”, “Michelle” ou “Danièle”). Reste à étudier ce lien entre changement de prénom et rajeunissement social sur un échantillon plus grand.
Mise à jour : mon échantillon a quadruplé (source : légifrance, jurisprudence judiciaire, recherche sur l’article 60 du code civil)… Il semble bien que l’abandon d’un prénom (ligne fine) pour un nouveau prénom (ligne grasse) aille dans le sens du rajeunissement. Les graphiques suivants (où Marianne est devenue Maya, Gérald est devenue Lauren, et Christian est devenue Mylène) vont dans le même sens : celles et ceux qui changent de prénom prennent un prénom donné à celles et ceux qui pourraient être leurs enfants.
18 commentaires
Un commentaire par Tweets that mention Baptiste Coulmont » De Yves à Valérie -- Topsy.com (29/03/2010 à 12:13)
[…] This post was mentioned on Twitter by coulmont, coulmont. coulmont said: De Yves à Valérie : changement de sexe et rajeunissement http://coulmont.com/blog/2010/03/29/de-yves-a-valerie/ […]
Un commentaire par J. FINEZ (29/03/2010 à 21:38)
Bonjour, Votre billet est intéressant, mais il le serait encore plus, il me semble, si vous le complétiez en indiquant quand les 3 autres personnes ont changé de prénom. Bonne continuation !
Un commentaire par Abel (30/03/2010 à 2:11)
Très intéressant. Je connais un Christophe devenu une Christelle, vers 2005. Il a dû naître vers 1967 je pense. Est-ce que cela concorde aussi avec vos conclusions (très convaincantes au demeurant, même si intuitivement elles paraissent normales) ? Je n’en suis pas certain ici….
Abel
Un commentaire par Baptiste Coulmont (30/03/2010 à 7:41)
> J. Finez : les 3 derniers changements sont validés par la justice entre 2001 et 2008. Ce sont des décisions de cours d’appel.
> Abel : je regarde ça dès que je peux [2 jours entiers de réunions de travail m’attendent !]
Un commentaire par Baptiste Coulmont (30/03/2010 à 9:52)
> Abel : Christophe–>Christelle ça marche un peu. Le “max” de Christophe est 1969 et le “max” de Christelle est 1972, mais c’est trop rapproché pour être connu ou perçu inconsciemment.
Un commentaire par Géraldine (30/03/2010 à 20:44)
C’est assez logique finalement : on peut imaginer que Yves n’est pas né en décidant de devenir Valérie, et que cette dernière est « née » à partir d’un Yves déjà grand et probablement perméable aux modes de son époque.
Dans ce cas comme dans les autres que vous mentionnez, le nouveau prénom serait plus le marqueur de l’« âge » de la décision de changer de sexe, que de l’âge de la personne elle-même.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (30/03/2010 à 21:34)
>Géraldine. Merci du commentaire. Les décisions sont sans doute logique. Ce qui m’amuse c’est de pouvoir le faire apparaître à partir de quelques statistiques.
Un commentaire par Régis (01/04/2010 à 23:03)
Dans ton interprétation, Baptiste, tu considères les choses de manière prospective: Yves suit le temps et se régénère en chisissant un prénom plus “jeune”.
Le problème est que Yves est un prénom moitié à mode moitié breton; il y a tjs eu des Yves dans le Grand-Ouest. Ce prénom peut être récurrent d’une génération à une autre. L’Yves que tu cites a peut-être eu un père appelé Pierre-Yves et une grand père Yves-Marie. Le tout dans un milieu non pas populaire mais traditiionnel bourgeois.
Je me permets une interprétation rétrospective – laquelle est la bonne?
Le transsexualisme de leur rejeton ayabt pu donner des boutons aux Pierre-Yves et Yves-Marie précités, Yves a peut-être souhaité rompre les pontset éviter Yvonne et Yvette (Vovonne et Vévette, comme de bien entendu…) et solder au moins moralement sa parenté avec une famille dont il avait transgressé les valeurs.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (02/04/2010 à 8:45)
> Régis : il est toujours possible d’interpréter les histoires individuelles et de rechercher les justifications données par les personnes. Mon objectif est différent : passer par l’objectivation statistique permet, je pense, de mettre en lumière ce “rajeunissement social” associé au changement de prénom. Un petit “supplément gratuit”. Il est toujours possible de raffiner les choses, en s’intéressant à la popularité des prénoms dans les départements de résidence, mais pour l’instant, cela ne m’apparaît pas nécessaire.
Un commentaire par Régis (04/04/2010 à 14:06)
Baptiste: il y a une valeur générationnelle des prénoms mais le “temps continu des prénoms” prévaut pour certaines classes plus que d’autres. Les Anthony et les Gregory n’ont pas supplanté les Antoine et les Grégoire dans toutes les classes. Dans certains milieux, le temps des prénoms est cyclique.
Mais l’effet de rajeunissement pourrait être étudié à travers les choix de prénoms autres que celui généré par l’aboutissement du transsexualisme. Voir par exemple les noms de résistants: souvent ils ont pris un pseudo correspondant à un prénom qu’ils auraient facilement donné à leurs enfants: colonel Rémy, Roger “Patrice” PELAT. Egalement les noms en religion: combien de Soeur Emmanuelle, Marie-Matthieu, et Marie-Noëlle, qui sont pour l’état civil des Mauricette, des Martine ou des Monique? Frère Aloys, prieur de Taizé, fait un peu exception.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (04/04/2010 à 15:45)
> Régis : les prénoms-de-maquis et les “prises de nom” peuvent être intéressants en effet. Et il devrait être possible de trouver des données systématiques, je pense. Merci.
Un commentaire par Régis (05/04/2010 à 0:31)
Serais-tu intéressé par une étude sur les changements de noms lors du passage de la vie séuclière à à vie régulière? Je suis en bons termes avec une communauté de soeurs ST6vincent de Paul impliquées dans la gouvernance d’une clinique en Dauphiné. Ces petites soeurs ont un groupe d’éthique et on l’esprit large et pourraient constituer un échantillon d’étude intéressant (elles peuvent aussi recommander auprès d’autres communautés régulières)
En ce qui concerne le nom des papes, la chose est différente, après 5.5 siècles d’italiens les <pie, les <benoît et les <Clément expriment une identité politique, celle des Etats de l'EGLISE. je m'éloigne un peu. Je n'entends pas répondre à tes problématiques organisées par des plans rigides. je vas "à sauts et à gambades" tant "le monde est une branloire pérenne".
Je suis qd même surpris que le concept d'identité ne transparaisse pas au travers de tes dissertations.
Un commentaire par dorant (05/04/2010 à 19:54)
Régis : j’ai du mal à voir en quoi les noms pris par les Papes que tu cites ont à voir avec les états de l’Eglise…Ils me semblent surtout refléter des choix spirituels et politiques bien plus universalistes effectués lors de l’élection. Ainsi Jean XXIII, qui en fait était un second Jean XXIII, Paul VI, référence au concile de Trente. Pour la vague de Pie après Pie IX, inutile d’épiloguer sur le conservatisme des trois Pie suivants, Jean-Paul I et II, des essais de synthèse avec les deux prédécesseurs.
Un commentaire par Baptiste Coulmont (05/04/2010 à 20:29)
> Régis : Merci, mais il y a déjà quelques articles sur la prise de nom des religieuses. Je vais essayer de trouver des choses sur les Résistants.
Un commentaire par Régis (16/04/2010 à 0:15)
Dorant:le premier JeanXXIII était un antipape oublié.
Tous les Pie ont été des clones, depuis Pie Vi et surtout Pie VII, bienheureux religieux qui a placé la fonction excrétrice au pinacle des vertus religieuses.
Pie IX a eu un rôle très ambigu et a joué sa propre carte dans le Risorgimento, comme s’il avait pu “se faire” Cavour, Garibaldi, Victor-Emmanuel, Mazzini et La Farina.
Un commentaire par Régis (16/04/2010 à 0:49)
Nous avons réfléchi sur les noms en religion, en maquis, en transsexualisme. Ne fadrait-il pas élargir l’étude sur les pseudos du net et leur valeur significative?
Que celui qui décryptera mon nickname sur le site de David Madore se fasse connaitre et justifie les positions que j’ai prises sur les jeunes sarkozystes sur ce blog; il y a une bouteille de Dom Pérignon à la clé.
Un commentaire par Baptiste Coulmont » Recherche étudiants de master (19/04/2010 à 12:04)
[…] à jour : ce billet sur le rajeunissement social lié aux changements montre mon intérêt persistant pour cette question. Un lecteur pointe l’intérêt […]
Un commentaire par Baptiste Coulmont » Une liste (19/06/2010 à 19:53)
[…] Etat-civil et transsexualité / transgenrité / transidentité [Remarque : Delphine (prénom dont la fréquence d'attribution maxi est en 1977) est le nouveau prénom de Thierry (sommet en 1964) : ce qui confirme l'hypothèse du rajeunissement onomastique] […]